Les mots et les maux du ministre

Habib Yembering Diallo
Habib Yembering Diallo

Cher ami,

Je commencerai cette lettre par te dire que ce qui vient de passer chez nous confirme l’adage selon lequel le malheur des uns fait le bonheur des autres. Il aura fallu un évènement malheureux pour qu’on poignarde mon patron dans le cœur. Tu comprends à quoi je fais allusion. Nous, qui avons la chance d’assumer une responsabilité de haut niveau dans ce pays, sommes en permanence hantés par la perte de cet avantage.

Cette perte à elle seule est une épreuve difficile à surmonter. Mais, que cette épreuve intervienne à un moment où le responsable traverse une autre épreuve, c’est le comble de douleur. En réalité, si le pouvoir nous ouvre les portes du paradis, il arrive souvent qu’il nous mène droit dans l’enfer. Je veux dire qu’il te fait goûter le meilleur mais aussi te fait subir le pire. Comme ce qui vient d’arriver à mon patron. Lequel n’avait pas besoin d’être remplacé pendant qu’il traverse un moment des plus douloureux.

Tu me diras que c’est un choix. Celui qui ne veut pas se heurter à ce genre de situations n’assumera jamais une parcelle de responsabilité. Parce que celle-ci est inséparable de ses corolaires cruelles et implacables. Par définition, le pouvoir c’est celui qui vous élève jusqu’au ciel et vous laisse chuter dans un brasier de feu. C’est à prendre ou à laisser. Comme dit Henri Rochefort « Si haut qu’on monte, on finit toujours par des cendres ». Bien malgré tout, si la politique avait de l’humanisme du poids d’un atome, il aurait fallu attendre cette période pour trouver un remplaçant à mon patron. Fût-il un intérimaire.

Cher ami,

Laisse-moi te dire que je suis en train de m’apitoyer sur le sort d’un homme qui est tout sauf pitoyable. Même s’il traverse un moment pénible, c’est quelqu’un qui a un moral d’acier. En outre, il connait bien celui à qui il a affaire. Il est donc bien préparé à toute éventualité. Dont entre autres celle de la confirmation de son successeur.

Pour être franc avec toi, si mon patron est préparé à prendre ce coup, en revanche certains de ses collaborateurs dont moi le sont moins. Pour te planter le décor, les membres du gouvernement sont issus de catégories très différentes voire opposées. Il y a les militants de la première heure du parti. Parmi eux celui qui assume l’intérim de mon patron. Il y a les technocrates sans appartenance politique. Il y a enfin les transhumants dont mon patron et moi-même.

Il est inutile de te dire que le jour où mon patron partira il partira avec ceux que la première catégorie qualifie d’opportunistes. Dans maints départements, les secrétaires généraux et autres chefs de cabinet ont commencé à annoncer les couleurs. Chez moi, le lendemain de la nomination de l’intérimaire, le secrétaire général, en grimpant l’escalier du bâtiment, a lancé pour que je l’entende qu’avec la nomination du gardien du temple, le vent qui doit balayer les opportunistes a commencé à souffler. Depuis ma nomination cet homme n’a jamais toléré ma présence à la tête de ce département.

Bref, les jours à venir s’annoncent plutôt sombres pour ton ami. L’éventuel départ de mon patron implique de facto le mien. Pour le moment, certains amis minimisent la situation. Estimant qu’après son deuil, mon patron reprendra son poste. Personnellement je pense que la nomination d’un intérimaire est tout simplement le signe annonciateur du vent dont parlait le secrétaire général de mon département.

Je ne me fais donc aucune illusion. Je sais que ça va prendre fin bientôt. Pour te dire la vérité, cette perspective est plus qu’angoissante pour moi. Car je ne sais plus faire autre chose que ce que je fais depuis quelques années. Or, si je quitte le gouvernement, je n’ai pas un point de chute. Comme tu le sais, autant le patron du parti au pouvoir fait l’objet de pressions pour appliquer le RPG first, autant celui de l’opposition subit les mêmes pressions désormais afin de fermer la porte aux transhumants.

Le repli sur soi du pouvoir et de l’opposition n’est pas sans rappeler le vieil adage selon lequel le jour où l’orphelin aura grandi et l’idiot devenu intelligent, il n’y aura personne à tromper. Voilà la situation dans laquelle bon nombre d’entre nous vont se retrouver.

Confronté à cet état mélancolique, j’ai tenu à partager ces quelques lignes avec quelqu’un. En l’occurrence toi dont la discrétion est insoupçonnable. Pour m’aider à traverser cette autre étape, je te prie de me répondre dans les plus brefs délais pour me donner ton point de vue sur la situation que j’ai décrite ci-haut.

Ton ami, le ministre.

Habib Yembering Diallo, joignable au 664 27 27 47.

Toute ressemblance entre cette histoire ministérielle et une autre n’est que pure coïncidence.

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