Les mots et les maux du ministre

Habib Yimbering Diallo
Habib Yimbering Diallo

Cher ami,

Après les événements de la semaine dernière, qui ont fait de ton ami un ex-ministre, je voudrais, pour me consoler, partager avec toi les péripéties que j’ai connues suite à ces événements. Avant tout, laisse-moi te dire que, malgré ce qui s’est passé au Mali et au Tchad, je n’ai pas imaginé un seul instant que cela pouvait arriver ici. Je m’attendais donc à tout sauf à quitter mes fonctions suite au renversement du régime. 

Quand je me couchais le samedi soir, je ne doutais de rien. Même quand je me suis levé le dimanche matin. Comme à l’accoutumée, je me lève tard le dimanche. Ce 5 septembre n’a pas fait exception. C’est au moment où je suis passé à table qu’un ami m’a appelé pour me dire que la ville n’est pas bonne. Pour moi cela ne voulait rien dire. Je lui ai demandé d’être plus explicite. Il m’a répondu que je suis censé être mieux informé que lui concernant la situation à laquelle il faisait allusion. Ajoutant qu’il y aurait une tentative de coup d’Etat. 

Les derniers mots furent pour moi comme un coup de poignard en plein cœur. J’ai immédiatement allumé mon téléphone de service. La nouvelle défilait sur les réseaux sociaux. Alors j’ai jugé nécessaire d’appeler quelques collègues pour savoir ce qui se passe. Le premier était injoignable. Le second en ligne en permanence. J’ai compris que quelque chose n’allait pas effectivement. Habituellement si j’appelle un collègue et qu’il soit en ligne il me rappelle. Cette fois rien. J’ai compris que la situation est si grave que, désormais, c’est le chacun pour soi. 

J’ai imaginé mille et une solutions. Entre autres, prendre la voiture et tenter de quitter le pays. Mais pas la voiture de fonction. Ce serait trop risqué. Voiture banalisée, mais pour quelle destination. Mieux valait attendre mon triste sort chez moi que de m’exposer dans la nature à mes risques et périls. J’ai donc attendu avec beaucoup d’anxiété chez moi. Dans la foulée, mes téléphones sonnent mais quand je regarde je trouve qu’il s’agit d’un ami ou d’un parent qui veut probablement avoir des informations. Or la situation dans laquelle je me trouvais j’avais besoin d’information plus qu’eux. Je n’ai donc décroché personne. 

Je me suis rappelé que s’il y avait quelque chose de grave la radio nationale devait être concernée. Je tournais et retournais le bouton du poste radio. Celle-ci jouait de la musique. Côté radios privées, pas un seul mot sur une situation éventuellement grave. Je suis donc resté, partagé entre l’angoisse et l’espoir. L’espoir que tout cela soit un cauchemar et que je me réveille pour trouver que tout va bien. Mais plus les minutes passaient plus les choses se précisaient et mon anxiété grandissait. 

L’image de mon patron, se trouvant dans une situation comme celle qu’ont connue Saddam Houssein, Laurent Gbagbo ou encore Mohamar Kadafi m’a plongé dans une terrible méditation. En me disant que s’il n’avait pas cédé à ce que l’autre avait appelé les sirènes révisionnistes, on ne serait pas là. Mais c’était moins le sort de mon patron qui m’inquiétait que mon propre sort. Je me dit qu’il ne fallait pas attendre qu’on vienne me chercher. Il fallait trouver refuge quelque part. chez un parent ou chez un ami. Mais je me suis demandé si les agents, chargés de ma sécurité, me laisseraient partir. 

Je fus terrifié à l’idée que ce sont ces agents qui pourraient mettre main sur moi. Je fus pris d’une panique qui fit probablement monter ma tentation à un niveau mortel. Refugié dans ma chambre, ne sachant s’il fallait prier ou pleurer, je ne supportais aucun bruit. En lorgnant dehors par la fenêtre, j’ai compris que les agents de sécurité avaient les yeux rivés sur leurs téléphones. Et j’étais plus qu’angoissé quand l’un d’entre eux recevait un appel, pensant qu’il s’agit d’un ordre leur demandant de m’arreter. Je n’ai jamais recité les versets du livre saint que je connais comme ce jour-là. 

Quand j’ai entendu le communiqué de ceux qui ont fait de moi un ancien ministre j’étais partagé entre la tristesse et le soulagement. D’un côté ils ont pris mon patron. Mais de l’autre ils se sont engagés à ne pas procéder à une chasse aux sorcières. A partir de cet instant j’ai commencé à décrocher les appels des miens pour les rassurer que tout allait bien. Aussi j’ai pu joindre quelques collègues. Leur sérénité a augmenté la mienne. 

Cette épreuve passée, une autre a suivi. En l’occurrence celle de notre convocation au palais. Pour te dire la vérité, en allant à ce rendez-vous palpitant, nous étions comme l’agneau que l’on conduit à l’abattoir. Sachant qu’un homme doit s’attendre au pire, je me suis malgré tout forcé à afficher une sérénité à toute épreuve. Donnant l’impression à mon garde du corps et à mon chauffeur que rien n’avait changé. Et pourtant les deux se sont rendu compte que quelque chose avait changé. 

Arrivé au palais, les badauds m’ont hué à ma descente de voiture. Mais pour moi cela n’était que la fumée. Le feu devait se trouver à l’intérieur. Les choses se plutôt bien passées. A l’exception de ce qui était en quelque sorte une extrême humiliation pour nous, c’est-à-dire la fameuse minute de silence pour ce qu’ils ont appelé les victimes du régime. Le symbole était fort mon ami. Lorsqu’on demande à quelqu’un de rendre hommage aux victimes du régime auquel a appartient, tu comprends que ce fut le comble pour mes collègues et moi. Nous nous sommes regardés sans rechigner. 

L’autre temps fort de cette rencontre fut la demande de rendre nos véhicules de fonction, nos passeports et notre interdiction de sortie du territoire. Nous avons rendu ce qu’ils ont demandé. En outre, cette injonction a bouleversé mon agenda. Je voulais rendre visite à la famille. Malheureusement je ne peux plus. Je me remets à Dieu. Tu vas rigoler en te demandant depuis quand ton ami est devenu si religieux pour se remettre à Dieu. En réalité, et quel que soit notre comportement, quand on est soumis à une épreuve comme celle que je traverse, on se remet à son Créateur. 

Bref, je suis pour le moment à la maison. Evitant tout contact avec les gens. Car on nous a mis en garde contre toute tentative de déstabilisation. Raison pour laquelle je voudrais que tu gardes pour toi seul cette lettre. Mon temps est partagé entre la télévision, le téléphone et le lit. Moins préoccupé par mon sort immédiat que le futur. Car les gens veulent exclure de la vie politique tous ceux qui ont fait la promotion du 3ème mandat. Or pour te dire toute la vérité, a l’exception de la politique, je ne sais et peux rien faire désormais. 

En attendant que l’orage passe, je te demande de prier pour moi afin que cette situation ne me fasse pas péter les plombs. Car, tu le sais plus que quiconque, en dépit des apparences ton ami est très fragile à la fois physiquement et psychologiquement. 

Ton ami, le désormais ex-ministre.

Habib Yembering Diallo, joignable au 664 27 27 47

Toute ressemblance entre cette histoire ministérielle et une autre n’est que pure coïncidence.

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