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Regard sur l’alternance de pouvoir en Guinée : enthousiasme débordant, nécessité d’une veille intellectuelle

Alpha Ousmane BARRY, professeur dans les Universités en France
Alpha Ousmane BARRY, professeur dans les Universités en France

La Guinée, un pays euphorique à enthousiasme débordant

Au regard de ce qui domine l’actualité en Guinée, on est enclin d’accepter l’idée que les habitudes ont la tête dure. Vraie ou fausse, cette doxa tenace se vérifie en se livrant à un petit exercice d’analyse du cycle de changements de pouvoir intervenus de manière inopinée dans notre pays. Dans ce cas, il ne serait donc pas exagéré de considérer les manifestations publiques auxquelles se livrent des Guinéens, un peu partout dans le monde, dans le sillage du changement de pouvoir intervenu le 5 septembre 2021, comme un phénomène social qui a guidé l’esprit de plusieurs observateurs à nous attribuer le qualificatif de pays d’exception.

Acte 1 : En votant Non au référendum du 28 septembre 1958, la Guinée s’est singularisée par rapport aux autres pays d’Afrique francophone. Ainsi, s’est-elle lancée à corps perdu dans une expérience politique exaltante. Mais n’ayant pas pu contenir l’euphorie suscitée par l’indépendance, qui réunissait déjà toutes les conditions d’une dérive de pouvoir, les Guinéens se sont laissés imposer l’emprise sur la société d’un Etat rhizome.  

Acte 2 : A l’image de l’euphorie suscitée par l’accession à l’indépendance le 2 octobre 1958, l’irruption sur la scène politique du CMRN en 1984 est accueillie en libérateur. L’ambiance est si débordante que les Guinéens se laissèrent aller par la situation, oubliant dans la foulée l’essentiel : poser le diagnostic de la situation. Or aucun pays au monde ne peut aspirer au développement en faisant fi de son passé, car porter le regard sur le passé permet de mieux se projeter dans l’avenir. On comprend aisément pourquoi la Guinée, qui traîne derrière elle l’héritage d’une superstructure colossale, n’arrive pas à changer les habitudes de violence et de mauvaise gestion.

Acte 3 : Tel le retour cyclique d’une tradition dans les sociétés coutumières, quelques heures seulement après la mort de Lansana Conté en 2008, Capitaine survient à jeun qui cherchait aventure, mais la chemise qu’il a enfilée s’est troquée dans la foulée en robe longue trop ample pour lui. L’issue finale se veut sans commentaire ! Accueillie avec grand enthousiasme par les Guinéens, le pouvoir du CNDD s’achève dans un bain de sang tragique.

Acte 4 : Malgré le scandale de l’eau empoisonnée et la renaissance des vieux démons du communautarisme politique à la guinéenne, les citoyens se targuent d’avoir porté au pouvoir en 2010 le génialissime Professeur qui allait guérir le pays des maux qui l’accablent. Mais en lieu et place de la démocratie et du développement, sous la bannière du RPG, il impose la violence qui s’incarne sous toutes ses formes dans les institutions et les cités. Les Guinéens sont alors excédés par les multiples abus du pouvoir en place à tel point que même les marmites au feu des pauvres ménagères n’ont guère été épargnées. C’est ainsi que les abus de pouvoir ont violé des Mosquées, des cimetières ; pour les domiciles des citoyens n’en parlons pas.

Acte 5 : C’est dans ce contexte de vase trop plein, qu’on leur présente sur la scène publique le chef de l’Etat déchu habillé à la pagaille. Autant les Guinéens ont été scandalisés par les abus du pouvoir de notre professeur-bien-aimé, autant la scénographie de cette image humiliante rappelant celle de Saddam devant la potence, du cadavre Kadafi abandonné aux regards indiscrets du monde entier, de Samuel Do à la merci de ses ravisseurs et enfin du Colonel Diarra Traoré en pleurs, dont on rase la tête sans l’avoir humidifiée ; toutes ces choses-là laissent perplexe plus d’un observateur avisé sur la suite des événements en cours. Même si l’esprit moyen pourrait inférer qu’il s’agit pour Alpha Condé d’une simple rétribution des mauvais actes qui ont ponctué ses mandats ; peu importe qu’on dise : « il s’est entêté, il est resté sourd aux conseils », « il l’a mérité » ou enfin « il a récolté le fruit de son travail ». Mais une certitude demeure : son image mise en scène ternie davantage celle de la Guinée, considérée par plus d’un observateur comme « un pays d’exception et de violence ».

Puisse Dieu nous préserver de l’œil indiscret de ceux qui nous guettent ou d’une mésaventure inconsidérée nous laissant à la merci de nos ennemis. S’agit-il d’une leçon de morale ou d’une simple leçon de choses de la vie ?  Confronté à une image aussi funeste que celle d’Alpha Condé hébété, il est louable de souhaiter même à son pire ennemi que Dieu le préserve de l’emprise de quelques ravisseurs le jetant en pâture.

Appel à la vigilance, à plus de réalisme et à un sursaut national

Tous les événements qui ont ponctué la vie politique guinéenne nous invitent aujourd’hui à réfléchir davantage en ne nous laissant pas emporter par l’enthousiasme des manifestations publiques. Car tout se passe comme si, à toutes les étapes de son histoire politique, la Guinée, à défaut d’emprunter la bonne voie à suivre, s’était enfoncée durablement dans l’abîme. En effet, aussitôt après le Référendum du 28 septembre 1958, des hommes politiques, férus de leur jeunesse et fiers d’avoir chassé le colon blanc, colonisent à leur tour le peuple pendant vingt-six ans. Puis viennent le cycle de militaires qui s’emparent du pouvoir au nom d’une responsabilité citoyenne et patriotique. Mais à peine la période enthousiasmante du changement passée, violence et mal-gouvernance reprennent le dessus sur les bonnes intentions clamées à gorge déployée dans des discours tonitruants.

Au cours de toutes ces périodes de changement, au lieu de s’organiser pour prendre en main les affaires et les conduire efficacement en vue de mettre la Guinée sur le bon chemin, la couche intellectuelle, affectant une indifférence totale face aux problèmes sociaux qui gangrènent le pays, bombe au contraire son torse à l’assaut de postes de responsabilité. Quasiment absente de la scène politique, sauf pour ceux qui se livrent à la propagande du pouvoir en place en vue d’obtenir ou de conserver un poste de haut fonctionnaire déjà acquis, les intellectuels guinéens se réfugient dans un mutisme coupable, sinon une indifférence totale. En bons caméléons, ils s’adaptent à chaque contexte politique au grand dam du pays et au profit exclusif de leurs affaires personnelles. En se constituant en bourgeoisie politico-administrative, leur seul objectif est de profiter au mieux des avantages de l’exercice du pouvoir. C’est cette attitude, qui a contribué à façonner les mentalités, à créer de mauvaises habitudes et à conditionner durablement les représentations collectives autour de l’apparence des villas, des voitures 4×4 somptueuses voire du bien-être personnel : mon ministère, ma femme, mes enfants…

Même si ce coup d’Etat militaire a libéré le peuple d’une dictature, plutôt que de danser et de chanter à la gloire du CNRD, les Guinéens devraient se ressaisir, s’organiser en cellules de veille intellectuelle, informationnelle, juridique, sociétale et stratégique. On sait que seule la mobilisation de la couche intellectuelle a préversé le Sénégal d’un troisième mandat que voulait s’octroyer Abdoulaye Wade. Cet exemple va-t-il servir de lanterne aux Guinéens ? Même si rien n’est moins sûr, chacun doit se convaincre que seule la couche intellectuelle est à même d’insuffler l’esprit républicain à l’armée guinéenne.

A la lecture-découverte des réflexions sur la situation de notre-beau-pays-la-Guinée à l’œuvre dans ce texte, vous êtes invités à un exercice de nourriture de l’esprit. Et comme la nuit est longue, il sied de cogiter avant de se laisser entraîner dans un profond sommeil.

Alpha Ousmane BARRY

Professeur des Universités (en France)

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