Election du président de la République : Baadicko Bah propose de « sortir du suffrage universel direct pour des assemblées régionales »

Mamadou Bah Baadiko, président de l'UFD
Mamadou Bah Baadiko, député et président du parti UFD

Depuis le 05 septembre dernier (date du renversement du régime d’Alpha Condé par les militaires), la Guinée vit une transition qui peine encore à réellement démarrer. La junte militaire actuellement au pouvoir (le CNRD) a promis de panser les maux de la société à travers une refondation de l’Etat et la mise en place d’institutions fortes avant de céder le pays à une autorité civile qui sera élue par le peuple de Guinée. Et, c’est dans ce sens que le CNRD a récemment organisé deux semaines de concertations nationales avec les forces vives du pays. Mais, pour l’homme politique guinéen, Mamadou Baadicko Bah, on ne sait pas encore quelle orientation donner à la présente transition, en dépit des déclarations de bonnes intentions de la junte militaire dirigée par le colonel Mamadi Doumbouya (le président du CNRD).

Dans un entretien accordé à Guineematin.com samedi dernier, 25 septembre 2021, le leader de l’union des forces démocratiques (UFD) a livré son analyse des trois semaines de pouvoir du CNRD et a fait une proposition pour l’élection prochaine du président de la république.

« Il faut sortir de l’élection du président de la République au suffrage universel direct. Nous avons proposé pour l’élection du président de la République que ce soit des assemblées régionales, au nombre de 40 membres par région naturelle, qui se réunissent aux deux tiers pour un ticket de président et de vice-président, les 2 (le président et le vice-président) désignent un premier ministre qui ne soit pas de leurs régions et on élit également un président de l’assemblée nationale, la 2ème ou la 3ème personnalité de la République, qui ne soit des régions des 3 autres, de manière à sortir de l’exclusion. Je le dis, ce n’est pas une histoire de coloration ethnique, ce n’est pas un partage de gâteau. C’est un partage de responsabilités sous un contrôle vigilant d’un véritable système judiciaire qui est indépendant », a expliqué Baadicko Bah.

Décryptage !

Guineematin.com : la Guinée est dans une transition depuis le 5 septembre dernier. Quelle analyse faites-vous des semaines de pouvoir des militaires dirigés par le colonel Mamadi Doumbouya ?

Honorable Mamadou Baadiko Bah : ce que nous constatons trois (3) semaines après l’arrivée du CNRD au pouvoir, c’est que je ne sais pas quelle est leur orientation. Il y a eu beaucoup de discours ouverts et de bonne volonté qui ont été prononcés, il y a eu des actes également que nous avons trouvés positifs. Mais, à ce jour, on ne sait pas ce qu’ils (le CNRD) font ; et, la grande inquiétude se situe à deux niveaux. D’un côté, le CNRD est assailli par des ordres des gens qui cherchent à se placer par tous les moyens. Il y a des commissions, pareille-t-il, constituées qui étudient des positions. On ne sait pas de quel pouvoir ces commissions disposent, sur quelle base ces gens sont réunis autour du CNRD et qu’est-ce qui va en sortir. Ça c’est l’une des plus grandes inquiétudes.

La deuxième, c’est le fait que ceux qui constituaient l’opposition, donc les forces d’hommes politiques, sont totalement divisés. Nous avons plusieurs alliances qui, plutôt que coopérer, sont entrées en compétition. Ce qui est vraiment dommageable pour l’indispensable consensus pour sortir le pays de cette situation extrêmement dramatique dans laquelle il se trouve.

Guineematin.com : le colonel Mamady Doumbouya a promis de poser « les bases d’une nouvelle ère en matière de Gouvernance, de Sécurité et de Développement économique » dans notre pays. Mais, selon vous, comment doit-on procéder pour matérialiser cela sur le terrain ?

Honorable Mamadou Baadiko Bah : Ce que nous attendons, ce sont des solutions durables aux problèmes qui ont amené la Guinée, au bout de 63 ans d’indépendance, à cette situation de faillite totale, de division, de misère indescriptible, de pays totalement détruit. Vous avez vu dans quel état se trouve aujourd’hui notre pays. Il n’a pas de routes, il n’y a pas de développement, on importe tout ce que nous consommons. Le pays vie pratiquement aux crochets de sa diaspora qui se trouve à l’étranger. Les mines, vous avez vu, c’est le pillage effréné des ressources minières sans aucun profit pour les populations, des situations même d’esclavage de certains salariés dans les mines comme à Fria avec les fameux sous-traitants. Et, donc, aujourd’hui, il faut revenir aux fondamentaux. Un développement économique, la paix et la sécurité, c’est sur des bases institutionnelles solides, crédibles qu’il faut aller. Et, aujourd’hui nous devons reconnaître que 63 ans après, la colonisation nous a laissés avec un pays qui n’est pas une nation et qui n’est pas aussi devenu une nation. Nous en sommes encore aux ensembles de la période précoloniale avec 4 régions naturelles et des composantes dont chacune essaie de tirer le pouvoir de son côté pour s’en servir à son profit exclusif. Mais, tout ça, nous l’avons vu sous le régime de l’ex président Alpha Condé. Tout ça n’a amené que la misère intégrante et la ruine pour la totalité des régions du pays. Donc, il nous faut une véritable réforme institutionnelle pour relancer un développement économique social et culturel dans la paix, sortir de ce trou politique, de cette bataille électorale extrêmement ruineuse. Vous avez vu que l’ancien président Alpha Condé n’est pas sorti de la catastrophe qu’il a provoqué en ayant saigné toutes les ressources de l’Etat pour son 3ème mandat dans des élections ruineuses et coûteuses. Et, pour cela, il faut avoir la force de reconnaître qu’il n’y a pas de nation, il n’y a qu’une unité culturelle, puisqu’on est tous de la culture négro-africaine. Il y a de bonnes bases pour faire cohabiter normalement dans le pays, mais le tout basé sur les régions avec des droits égaux et une solidarité agissante pour toutes les régions avec un pouvoir central qui est concentré réellement sur le développement et non pas sur la bataille pour se partager les biens de l’Etat.

Guineematin.com : Pensez-vous que le CNRD est entrain de partir sur de bonnes bases ?

Honorable Mamadou Baadiko Bah : eh bien, nous avons dit qu’il y a des actes concrets que nous avons bien appréciés. Mais, comme on dit, 2 ou 3 décisions ne font la politique. Il faut arriver à faire une transition qui permet qu’on aille sur les bases consensus de tout le corps social guinéen et non pas des gens qui, par affinité ou par cohabitation réciproque, se retrouvent dire qu’ils vont décider le sort de la Guinée. Donc, le problème est lancé et on ne peut pas faire le bonheur d’un peuple sans lui ou encore malgré lui. C’est une très bonne chose qu’il reconnaisse ce que nous avons toujours dénoncé. Il faut sortir la Guinée de cette spirale qui n’a mené qu’à la ruine et à la paupérisation extrême du peuple de Guinée. Et, pour ça, il faut arriver à recentrer totalement le pays sur des préoccupations de développement de la base vers le sommet et du sommet vers la base. Et, surtout, il faut savoir que dans les conditions actuelles, toute élection du président de la République aux suffrages universels directs, comme on le voyait avant, ne peut mener qu’à des fichiers électoraux falsifiés au profit de ceux qui ont les moyens de le faire, des élections truquées pour ceux qui sont forts pour un système où c’est l’élite qui va être la principale prédatrice des biens de l’Etat, plutôt que de les consacrer au bien-être de la population. C’est ça le vrai sujet et le véritable enjeu pour l’élection du président de la République. Il faut sortir de l’élection du président de la République au suffrage universel direct. Nous avons proposé pour l’élection du président de la République que ce soit des assemblées régionales au nombre de 40 membres par région naturelle qui se réunissent aux deux tiers pour un ticket de président et de vice-président, les 2 (le président et le vice-président) désignent un premier ministre qui ne soit pas de leurs régions et on élit également un président de l’assemblée nationale, la 2ème ou la 3ème personnalité de la République, qui ne soit des régions des 3 autres de manière à sortir de l’exclusion. Je le dis, ce n’est pas une histoire de coloration ethnique, ce n’est pas un partage de gâteau. C’est un partage de responsabilités sous un contrôle vigilant d’un véritable système judiciaire qui est indépendant. Vous avez vu ce à quoi on a assisté. Moi j’ai du respect pour les juges en général, mais j’étais totalement effondré quand on a vu des gens gardés pendant 10 mois sans jugement avec des dossiers soi-disant accablants et qu’au lendemain du coup d’Etat qu’on leur dise examiner le dossier, dites-nous qui doit être maintenu en prison et qui doit être libéré. Et, finalement, que la quasi-totalité, sauf malheureusement quelques uns, a été libérée par les mêmes juges. Il nous faut un véritable corps judiciaire indépendant avec une probité à toute épreuve, contrairement à tout qu’on a vu jusqu’à présent afin de pouvoir contrôler les pouvoirs régionaux.

Guineematin.com : Le CNRD qui a annoncé la refondation de l’Etat et la mise en place d’institutions fortes commence déjà à rétablir les institutions républicaines graduellement. Pensez-vous qu’une telle démarche pourra changer les vieilles habitudes de ces institutions tant décriées ?

Honorable Mamadou Baadiko Bah : tout le monde sait que toutes ces institutions, particulièrement celles issues de la fameuse Constitution de 2020 avec des versions multiples, sont du pouvoir dictatorial de l’ancien président Alpha Condé qui lui ont été soumises au doigt et à l’œil. Donc, aujourd’hui, est-ce qu’elles ont changé de nature jusqu’à devenir des institutions capables de dire la vérité à ceux qui les ont rétablies dans leurs fonctions ? Nous avons des doutes, puisqu’ici c’est le pouvoir exécutif qui est omnipotent comme dans toutes dictatures. Donc, normalement, cela devrait être dans un cadre consensuel, qu’on s’entende sur la façon de remettre ces organes qui sont tout à fait nécessaires même pendant la transition. S’agissant des juges, il faut qu’on se penche sur la situation de chaque juge, qu’on sache quel acte il a posé, quelle probité, quelle preuve nous avons de sa neutralité, de son courage face au pouvoir exécutif. Malheureusement, on ne voit pas ce que font tous ces organes-là sur le travail de contre poids qu’on leur demande vis-à-vis du pouvoir exécutif.

Guineematin.com: pour la refondation de l’Etat et des institutions républicaines, faut-il changer de méthode ou changer les hommes ?

Honorable Mamadou Baadiko Bah : pour les institutions, c’est un ensemble de réforme. Vous savez très bien que ces institutions, c’était la mangeoire. On a des institutions totalement inutiles, budgétivores et pléthoriques qui étaient au service de la dictature. Donc, il faut se pencher sur la situation de ceux qui se servaient dedans, mais aussi chercher à savoir en quoi ils ont les compétences, l’engagement, le courage et la probité pour réellement servir l’intérêt général, ne pas servir leur intérêt propre ou ne pas être au servir d’une dictature quelconque.

Guineematin.com : les institutions républicaines notamment la CENI et la Cour constitutionnelle sont des éléments clés pour ce qui est des élections dans notre pays. Nous savons ainsi que la CENI actuelle qui est politique est composée de 25 membres dont 10 pour la mouvance, 10 pour l’opposition et les 5 autres répartis entre l’administration du territoire et les organisations de la société civile. Pensez-vous que cette configuration pourra nous amener à des élections libres et transparentes ?

Honorable Mamadou Baadiko Bah : Le premier signal fort que l’on va avoir c’est de savoir est-ce que cette CENI qui est entièrement inféodée à  l’administration du territoire va encore superviser quoi que ce soit. Les élections qu’on a  eues ici au mois de mars 2020, c’était un modèle du genre. Je vous rappelle que les procès verbaux étaient fabriqués au crayon et que les élus étaient fabriqués au crayon par l’ancien dictateur aujourd’hui déchu. La CENI est un organe qui n’est que l’appendice du ministère de l’administration et qui profite, puisqu’ils ont énormément d’argent à dépenser. Mais, ils sont au service du pouvoir exécutif, ils ne jouent aucun rôle positif pour avoir une élection libre, transparente et équitable. Et, je dis que la clé de tout ça c’est quand-même le fichier électoral. Vous savez bien de quoi il est fait. Il y a des régions qui sont contrôlées par l’ancien parti (le RPG arc-en-ciel) où on a gonflé à outrance le fichier électoral avec des bambins au vu et au su de tout le monde. Des burkinabés, des maliens et des ivoiriens y étaient inscrits et tout ça a gonflé le fichier électoral. Et, l’autre problème, c’est qu’on envoyait des gens sur le terrain où tantôt les machines sont en panne ou il n’y a de carburant. A cela s’ajoute le problème recensement des guinéens de l’étranger où on ne recense pas les guinéens de l’extérieur. Une façon de priver les citoyens de leurs droits. Pour prévenir tout cela, il faut sortir de la démocratie soi-disant du nombre pour revenir à une véritable démocratie participative à  travers les 4 régions naturelles ayant des droits égaux chacune avec 40 députés et tous décidant ensemble dans le cadre d’une Assemblée nationale aux deux tire des membres. Ce qui va éviter les ententes entre les régions : 2 contre 2, 1 contre 3 et 3 contre 1.

Guineematin.com : que faut-il faire pour l’efficacité de ces 2 institutions, la CENI et la Cour constitutionnelle, afin de réduire les problèmes liés aux élections ?

Honorable Mamadou Baadiko Bah : le jour qu’on aura un véritable Etat de droit sur lequel on peut miser. Et, d’ailleurs, pour ça, on ne va pas hésiter de demander l’aide des pays frères et amis de la CEDEAO et de l’Union Africaine, des Nations Unies jusqu’à ce qu’on puisse installer ces institutions basées sur un pouvoir central des 4 régions.

Guineematin.com : Aujourd’hui, s’il y a lieu d’organiser les élections dans notre pays, faut-il les coupler ou bien les séparer ?

Honorable Mamadou Baadiko Bah : Vous mettez les charrues avant les bœufs. Vous parlez d’élections alors qu’il n’y a pas de Constitution, il n’y a de fichier électoral acceptable et réel, il n’y pas de CENI sérieuse et indépendante. Ça veut dire que c’est des parodies d’élections qui vont être sources de troubles, d’affrontements fratricides.

Guineematin.com : le CNRD a clôturé jeudi dernier sa série de concertations nationales avec les forces vives. Quels conseils avez-vous à donner à la junte par rapport à l’ensemble des informations recueillies ?

Honorable Mamadou Baadiko Bah : c’est une entrée en matière où chacun a deux minutes ou trois minutes pour se vider de ses préoccupations. Ce n’est pas ça qui règle les problèmes de la Guinée. Il faut une véritable concertation de tout le pays, de toutes les forces vives de la nation pour qu’on entre de façon approfondie dans la recherche des solutions aux problèmes du pays, à commencer par le système institutionnel dont nous parlons et qui est préalable, avant de faire quoi que ce soit d’autre. 

Guineematin.com : merci beaucoup honorable Mamadou Baadiko Bah pour la disponibilité.

Honorable Mamadou Baadiko Bah : merci à vous aussi d’être passé.

Propos recueillis et décryptés par Mamadou Bhoye Laafa Sow pour Guineematin.com

Tel: 622919225

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