Guinée : 12 ans après le massacre du 28 septembre 2009, Bah Oury parle (Interview)

Bah Oury, président de l’Union des Démocrates pour la Renaissance de la Guinée (UDRG)
Bah Oury, président de la commission d’organisation de la manifestation du 28 septembre 2009

« Plus de 157 morts, plusieurs dizaines de femmes violées ! » C’est le triste bilan de la répression dans le sang d’une manifestation des forces vives, le 28 septembre 2009, contre la volonté du Capitaine Moussa Dadis Camara (président du CNDD) de se maintenir au pouvoir après la mort de feu président Lansana Conté. Ces violences d’une gravitée extrême avaient également fait des blessés et des portés-disparus.

Ce triste évènement, symbole d’une barbarie des forces de défense et sécurité guinéennes, avait ému le monde entier. Mais, 12 ans plus tard, les victimes et leurs familles sont toujours en quête de justice. L’information du dossier a été bouclée depuis 4 ans déjà et quelques personnes ont été inculpées. Cependant, le procès peine encore à s’ouvrir.

Mais, comment en est-on arrivé à ce massacre ? Comment ce qui était « un référendum par le nombre » pour s’opposer aux velléités de Dadis Camara a viré à un carnage au stade du 28 septembre de Conakry ? Qui a ouvert le stade et pourquoi ? Qui sont les militaires qui se sont rendus coupables de telles atrocités ? Ce sont encore quelques questions qui taraudent les esprits en Guinée. C’est pourquoi, à l’occasion de la commémoration du 12ème anniversaire de ce massacre, Guineematin.com a donné la parole à Bah Oury, actuel leader de l’UDRG et président de la commission d’organisation de la manifestation du 28 septembre 2009.

Bah Oury, président de la commission d’organisation de la manifestation du 28 septembre 2009

« Des éléments voulaient coûte que coûte que le chef de la junte, Dadis Camara, soit candidat à la présidentielle. Il fallait donner l’illusion qu’il y avait un soutien populaire à cette candidature, avec des cars qui ramassaient des gens partout pour aller au palais du peuple et faire croire qu’il y a un plébiscite en faveur de cette candidature. Le point d’orgue a été atteint lorsque le Président Abdoulaye Wade (l’ancien président sénégalais) est venu à Conakry et qu’une manifestation a été organisée au palais du peuple pour donner une image d’un soutien populaire à cette initiative. C’est à ce moment-là que Me Wade avait dit qu’il prend les photos de cette manifestation pour les diffuser auprès de ses pairs pour accréditer la thèse que cette candidature était bien accueillie par la population guinéenne. Donc, il fallait trouver une réponse adaptée, d’où la nécessité de montrer que l’écrasante majorité de la population guinéenne ne voulait pas de la candidature du chef de la junte… Vous savez, personne ne s’attendait à ce qu’il y ait ce massacre. Personne ne pensait que les militaires et la junte pouvaient prendre la responsabilité d’organiser à ciel ouvert, en pleine journée, un massacre qui a ému le monde entier… On ne pouvait pas imaginer que des responsables guinéens pouvaient s’engager d’une manière aussi barbare dans une répression aussi aveugle et disproportionnée et chercher à humilier les femmes qui étaient présentes au cours de cette manifestation… L’idée était de se joindre au niveau de l’esplanade du stade du 28 septembre avec les gens (les manifestants). C’était un référendum par le nombre, de manière visible. C’était ça l’idée de fond ; mais, au niveau de l’esplanade, on ne sait pas comment des gens ont ouvert l’entrée du stade. C’était comme si le piège était fait sciemment pour que les gens entrent et on referme », a dit Bah Oury.

Décryptage !

Guineematin.com : vous étiez le président de la commission d’organisation de cette manifestation appelée par les forces vives le 28 septembre 2009. D’abord, rappelez-nous ce qui avait conduit à cette manifestation ?

Bah Oury : peut-être c’est le moment d’aller un peu plus en profondeur sur les circonstances qui ont prévalu à ce qu’il y ait cette manifestation du 28 septembre 2009. Je crois que l’origine du problème date de la réunion et de la mise en place du comité ad hoc composé de 11 membres des partis politiques, y compris des forces vives et de 11 membres qui étaient affiliés au CNDD. Lors de cette concertation, puisqu’il y avait blocage du processus au mois de juin 2009, la nécessité de relancer le processus a amené à la mise en place de ce comité ad hoc. Et, au cours de la rencontre qui n’avait pour but que de relancer le dialogue et le processus politique entre le CNDD et les forces vives, ce comité ad hoc, de manière unilatérale, a modifié le calendrier des élections. Initialement, c’était organiser d’abord les élections législatives avant la présidentielle. Au cours de cette rencontre qui n’a pas fait l’objet de publicité ni de concertation au niveau des partis politiques, le chronogramme du processus électoral a été changé. Ils ont mis en avant l’organisation de l’élection présidentielle et que par la suite, lorsque le président sera élu, il se chargera d’organiser les législatives. Ceci était en contradiction avec notre point de vue et le point de vue du RPG pour ne parler que de ces deux partis.

Guineematin.com : vous étiez à l’UFDG à ce moment-là ?

Bah Oury : bien entendu, puisqu’il va de choix. A partir de ce moment-là, la logique de l’organisation de la présidentielle a mis tout le monde en branle, notamment au sein du CNDD. C’est en ce moment-là que des slogans ‘’Dadis où la mort’’, ‘’Dadis doit se présenter’’ ont fleuri par-ci par-là, encouragés par des éléments qui voulaient coûte que coûte que le chef de la junte, Dadis Camara, soit candidat à la présidentielle. Et, vous savez les conséquences que cela avait values. Il fallait donner l’illusion qu’il y avait un soutien populaire à cette candidature, avec des cars qui ramassaient des gens partout pour aller au palais du peuple pour faire le nombre et que des associations lançaient des slogans pour faire croire qu’il y a un plébiscite en faveur de cette candidature. Le point d’orgue a été atteint lorsque le Président Wade est venu à Conakry et qu’une manifestation a été organisée au palais du peuple ; et, à ce moment-là, des cars avaient ramassé des gens un peu partout pour donner une image d’un soutien populaire à cette initiative en présence du Président sénégalais, Me Abdoulaye Wade. C’est à ce moment-là que Me Wade avait dit qu’il prend les photos de cette manifestation pour les diffuser auprès de ses pairs pour accréditer la thèse que cette candidature était bien accueillie par la population guinéenne. Donc, il fallait trouver une réponse adaptée d’où la nécessité de montrer que l’écrasante majorité de la population guinéenne ne voulait pas de la candidature du chef de la junte comme c’était indiqué tout au début du processus de la transition.

Guineematin.com : alors les problèmes ont commencé entre les forces vives et CNDD au niveau de la date choisie, le 28 septembre. Il a été demandé à ce que vous fassiez un report, vous avez refusé. Pourquoi est-ce que vous avez tenu à ce que la manifestation se tienne le 28 septembre ?

Bah Oury : vous savez, il y a toujours des subterfuges pour faire croire de reporter la date du 28 septembre. C’est une date symbolique, une date qui appartient à l’histoire de la Guinée. C’était la date du 28 septembre 1958 où le peuple guinéen a voté non à la colonisation et oui à l’indépendance. Et, le 28 septembre 2009, il fallait montrer que le peuple de Guinée dit non à la dictature et oui à la démocratie, d’où les 2 dates différentes l’une de l’autre, mais étant plus ou moins les faces d’une même pièce, d’une volonté d’un peuple qui a choisi l’indépendance de manière solitaire par rapport à la communauté francophone de l’époque et le 28 septembre 2009 il fallait montrer que le peuple de Guinée, dans sa majorité souhaite aller à la démocratie. Et, c’est ce qui a été l’origine de la démonstration de la manifestation du 29 septembre 2009.

Guineematin.com : Si vous saviez que les autorités allaient réagir de façon aussi disproportionnée, est-ce vous auriez accepté de reporter la manifestation ?

Bah Oury : vous savez, personne ne s’attendait à ce qu’il y ait ce massacre. Personne ne pensait que les militaires et la junte pouvaient prendre la responsabilité d’organiser à ciel ouvert, en pleine journée, un massacre qui a ému le monde entier. Personne n’avait pensé à cela ; mais, comme vous le savez, on ne pouvait pas imaginer que des responsables guinéens pouvaient s’engager d’une manière aussi barbare dans une répression aussi aveugle et disproportionnée et ensuite chercher à humilier les femmes qui étaient présentes au cours de cette manifestation.   

Guineematin.com : par rapport à ce qui s’est passé dans le stade, il y a beaucoup de versions. Vous qui étiez sur le feu de l’action, qu’est-ce que vous avez constaté ce jour ?

Bah Oury : c’est difficile de dire ce que j’ai constaté, puisque j’étais un parmi des milliers et des milliers. Chacun a son histoire, chacun a vu des scènes qui ne sont pas les mêmes par rapport à ce que quelqu’un d’autre a pu vivre. Mais, tout a démarré lorsque, de manière concomitante, monsieur Jean Marie Doré est entré à l’intérieur du stade. Vous savez, c’est toute une histoire, parce qu’on avait demandé à monsieur Jean Marie Doré et à l’évêque, monsieur Gomez, de rester chez eux pour attendre des émissaires qui auraient pu venir de la part du gouvernement. J’avais demandé aux autres responsables, puisque la foule avait déjà commencé à s’amasser le long des artères menant l’esplanade du 28 septembre, il fallait que des responsables assument leur responsabilité en étant auprès des manifestants. Donc, on a demandé que les deux doyens restent et que les autres aillent auprès de la foule pour montrer leur acte d’engagement et de solidarité. Nous avons été bloqués pendant quelque temps au niveau de l’entrée de l’université Gamal Abdel Nasser par le colonel Tiegboro, les pourparlers avaient commencé, vous avez les images de tout ça. On a délibérément cherché à faire retarder les pourparlers le temps que les grosses vagues de manifestants puissent arriver au niveau du stade. Donc, lorsque cela fut fait, vous savez il y a eu un peu partout de la débandade et le processus a pris une autre envergure. L’idée était de se joindre au niveau de l’esplanade du stade du 28 septembre avec les gens qui venaient de Kaloum d’un côté, les gens qui venaient du côté de Madina de l’autre et ceux qui venaient de l’axe Dixinn. C’était de montrer une étoile qui montre que toutes les forces et les populations guinéennes étaient dans l’harmonie par rapport au refus d’une candidature du chef de la junte. C’était un référendum par le nombre, de manière visible. C’était ça l’idée de fond ; mais, au niveau de l’esplanade, on ne sait pas comment des gens ont ouvert l’entrée du stade.

Guineematin.com : il n’était pas prévu d’entrer au stade ?

Bah Oury : il n’était pas prévu d’y entrer. Ça n’avait aucun objet, puisque c’était sur le ciel ouvert. Certains ont ouvert qui ? Comment ? Pourquoi ? Et, naturellement, la foule s’est engouffrée dans le stade croyant avoir remporté une bataille. C’était une erreur monumentale. Mais, en ce moment-là, personne n’aurait pu arrêter un processus qui était déjà avancé. Les uns ont été soulevés, transportés, on les a fait entrer dedans. Et, c’est ce qui a contribué, lorsque le massacre a commencé, à faire en sorte que les gens ne pouvaient se libérer aussi facilement.C’était comme si le piège était fait sciemment pour que les gens entrent et on referme. Et, voilà ce qui explique le nombre de morts qu’on ne connait pas exactement.

Guineematin.com : vous avez l’impression que c’est fait sciemment ou bien c’est de façon inconsciente que les gens ont décidé d’entrer dans le stade ?

Bah Oury : personnellement, c’est lorsque le jugement sera fait, lorsque les faits seront étayés, il serait bon de savoir pourquoi et qui a ouvert le stade du 28 septembre pour entrainer la foule à l’intérieur.

Guineematin.com : lorsque les militaires sont arrivés, ceux qui ont réprimé la manifestation, est-ce qu’ils se sont adressés d’abord aux organisateurs ou bien dès qu’ils sont arrivés, ce sont les tirs qui ont commencé ?

Bah Oury : il y avait un groupe de bérets rouges qui étaient conduit par commandant Toumba qui est venu chercher les responsables politiques au niveau des tribunes. Certains sont partis, il les a conduits pour les faire sortir. Elhadj Cellou (le président de l’UFDG : ndlr) a reçu un coup et il est tombé. J’étais à côté, je ne pouvais pas le laisser là-bas. Donc, j’ai dit à un de nos maintiens d’ordre de m’aider à le soulever, parce que si on le laisse-là, il risque de péril et d’être tué. C’est comme ça qu’on l’a soulevé ; et, heureusement, à l’époque, il n’y avait pas tellement d’image. Parce que c’est Bah Oury qui était recherché beaucoup plus, parce que c’était lui qui avait été le président de la commission d’organisation. Mais, vous savez qu’à l’époque il n’y avait pas les images. Donc, les gens ne pouvaient pas connaître qui est Bah Oury. Ils s’étaient beaucoup plus concentrés sur les autres qui étaient là. Mais, on l’a soulevé, il (Cellou Dalein Diallo) était évanouie. On a reçu beaucoup de coups ; mais, bref,  à la sortie, on a rencontré le colonel Tiégboro. Lui (colonel Tiégboro Camara) on se connait, puisque j’étais ministre de la réconciliation nationale. Il (colonel Tiégboro Camara) est venu vers nous et un des maintiens d’ordre de l’UFR est venu aussi à la rescousse pour nous aider à transporter Elhadj Cellou avec Tiégboro.

Guineematin.com : Cellou Dalein Diallo était toujours inconscient ?

Bah Oury : oui ! Et, Tiégboro nous a conduits vers sa jeep. Il y a des scènes que je préfère ne pas relater, parce qu’à chaque fois ça m’émeut. Donc, le colonel Tiegboro nous a fait sortir, nous a mis dans sa Jeep, nous a conduit d’abord à la clinique Ambroise Paré. Au moment où les médecins commençaient à s’activer pour soigner nos blessures, des militaires qui avaient en bandoulière des balles et des grenades se sont interposés pour dire que si on nous soigne ils vont jeter des grenades à l’intérieur de la clinique. Donc, le colonel Tiegboro était obligé de nous reprendre et de nous mettre dans sa Jeep pour nous conduire d’abord à côté du PM3 à l’époque, il a hésité. Peut-être qu’il voulait aller à l’état-major de la gendarmerie, ensuite il a bifurqué au Camp Samory Touré là où il y a une infirmerie. C’est là-bas qu’on a eu les premiers soins ; et, dans l’après-midi, on nous a emmenés à la clinique Pasteur où les autres responsables politiques étaient déjà conduits le matin par le Commandant Toumba Diakité.

Guineematin.com : Si on comprend bien, c’est le Colonel Tiegboro qui vous a aidés à sortir du stade ?

Bah Oury : Oui c’est lui qui nous a aidés à sortir du stade, c’est lui qui nous a emmené jusqu’à la clinique du camp Samory Touré.

Guineematin.com : lorsqu’il y avait les violences, est-ce que vous avez reconnu certains agents qui vous ont porté main, qui ont fait des violences ? Est-ce que vous avez pu reconnaître certains visages?

Bah Oury : C’est difficile de reconnaître dans des circonstances aussi exceptionnelles et d’autant plus que nous, peut-être qu’on a eu la chance de sortir plus tôt et de n’avoir pas pu assister à ce qui s’est passé par la suite. Parce que ceux qui n’ont pas pu sortir, certains sont restés des heures à l’intérieur du stade. 

Guineematin.com : Ça fait 12 ans maintenant  depuis que cela s’est passé ; et, les gens attendent d’avoir la lumière sur ce massacre, de connaître la vérité, toute la vérité et que les auteurs de ces crimes-là soient punis. Selon vous, qu’est-ce qui retard le procès ? Est-ce une question de volonté politique ou une question purement judiciaire ?

Bah Oury : vous savez, lorsqu’on a une volonté de faire en sorte que la violence ne soit plus utilisée comme une arme politique, on se donnera les moyens de faire en sorte que cette tragédie puisse être jugée pour tourner définitivement la page de ce genre de méthodes. Mais, peut-être que la volonté politique de faire en sorte que la Guinée tourne la page de ces violences n’existait pas ; et, les événements ultérieurs l’ont prouvé. Donc, il n’y avait pas cette volonté. Et, les déclarations lénifiantes pour dire qu’on va juger n’était que pour gagner du temps et leurrer les victimes, ceux qui veulent qu’il y ait la justice et leurrer aussi la communauté internationale. Donc, je pense qu’il n’y avait jamais eu une réelle volonté politique de juger cette affaire ; et, en plus, la répétition des événements similaires qui sont intervenus au cours de dix dernières années montre que l’absence de cette volonté politique n’est pas due à un agenda chargé, mais c’était en fait comme si on ne veut pas se passer d’un instrument qu’on est en train soi-même d’utiliser. 

Guineematin.com : Au sein de l’opinion, il y a aussi certains qui expliquent ce retard par le fait que le président Alpha Condé lui-même pourrait avoir une responsabilité dans ces violences, même s’il n’était pas là au moment des faits. Est-ce que vous avez la même impression qu’il pourrait être l’un des commanditaires de ce massacre du 28 septembre 2009 ?

Bah Oury : Il faut rendre à César ce qui appartient à César. Je ne vois pas de quelle manière le président Alpha Condé a pu être d’une manière ou d’une autre impliqué ou responsable du massacre du 28 septembre 2009, d’autant plus que certains de ses lieutenants étaient avec nous au stade du 28 septembre. Elhadj Tidiane Traoré a failli avoir son crâne fracassé, M’Balou a été aussi sévèrement atteint. Donc, peut-être que certaines informations par la suite l’ont amené à informer certains proches responsables de quitter rapidement le stade avant que les choses ne se déferlent contre les citoyens qui étaient massivement représentés. Et, je dois dire que les militants du RPG étaient aussi dans la manifestation du 28 septembre 2009. Donc, il y a beaucoup de choses qui sont dites, mais je crois que c’est par la suite, avec les implications, que ça aurait pu déboucher que la volonté politique a été atténuée. Parce que les répercussions pouvaient être assez profondes et amener à l’exclusion de toute idée et toute volonté d’exploiter aussi bien la pratique ethno-stratégique que l’utilisation de la violence pour obtenir des gains politiques ou pour faire prévaloir des situations acquises. 

Guineematin.com : Comment comprenez-vous le fait que le capitaine Moussa Dadis Camara, qui était à la tête du pays au moment des faits, soit toujours au Burkina Faso? Officiellement, il était en convalescence, on ne sait plus ce qui le retient là-bas.

Bah Oury: Moi je pense que c’est difficile de savoir, puisque je ne suis pas dans les secrets de certains milieux. Mais, est-ce que le capitaine Dadis n’a pas été profondément manipulé pour se retrouver dans un engrenage qui, dans une certaine mesure, le dépassait. Donc, tout ça, les  enquêtes devraient permettre de faire ressortir la lumière. Mais, son isolement empêche d’une manière ou d’une autre la manifestation de la vérité.

Guineematin.com : Il y a des nouvelles autorités qui sont à la tête du pays, dirigées par le Colonel Mamady Doumbouya. Ces autorités ont laissé entendre que la justice sera désormais ce qui va guider toutes les actions. Alors, qu’est-ce que vous attendez du CNRD spécifiquement par rapport au dossier du 28 septembre ?

Bah Oury: Il ne faut pas leur (CNRD) demander de faire ce que d’autres n’ont pas pu faire pendant 11 ans. Et, il ne faut pas charger le bateau alors qu’il y a d’autres charges qu’il faut gérer. Ce qu’il faut gérer principalement, il faut préparer l’avenir et le futur pour que cela se passe dans d’excellentes dispositions, c’est ce qui est fondamental attendu du CNRD. Pourquoi ? Parce que c’est ça qui permet de tourner positivement la page. 

Guineematin.com : c’est-à-dire qu’il ne faut pas demander au CNRD d’engager ce procès, parce que c’est une transition qui s’ouvre ?

Bah Oury : C’est déjà une question de transition, les problèmes ne sont pas résolus. Ce qui est beaucoup plus utile actuellement, c’est de comprendre pourquoi il y a eu cette tragédie du 28 septembre 2009. Pourquoi la transition 2009-2010 n’a pas atteint ses objectifs dans le calme, dans la sérénité, dans la paix ? Et, ce sont ces leçons qu’il faut tirer pour ne pas répéter les mêmes approches, les mêmes erreurs et les mêmes mécanismes qui pourraient conduire à des situations similaires à ce qu’on a connu dans la transition 2009-2010. C’est ça qui est fondamental, c’est là où on attend le CNRD. Je pense qu’il faut laisser à un gouvernement démocratiquement élu, à  des institutions qui se sont établies et qui ont eu leur légitimité, le soin d’instruire ces dossiers qui sont des dossiers extrêmement importants pour permettre de définir la nature de la démocratie guinéenne. S’il faut engager un processus, ce que je préconise, il est possible de mettre en place de ce côté-là, en ce qui concerne le passif historique, c’est-à-dire toutes les tragédies qui se sont accumulées, cette question d’impunité, de violence, de morts, des violations des droits de l’homme, à une commission dont la durée de vie ne sera pas adossée à la durée de vie de la transition pour qu’elle prenne le temps nécessaire, comme un comité vérité-justice-réconciliation à l’image de ce que d’autres pays ont connu et de réparation aussi, pour engager le processus de la manière la plus professionnelle, la plus déterminée et dans la sérénité pour que le processus continue son cours au-delà d’une période de transition qui doit se focaliser sur des objectifs pour permettre de restaurer les fondamentaux des textes de lois et de repenser et de  refaire le système électoral par un recensement exhaustif de la population électorale. C’est déjà suffisamment beaucoup sans compter des situations de difficultés de vivre, la société est impatiente, les gens ont enduré énormément durant ces dernières années. Donc, il faut trouver des solutions appropriées pour apporter des réponses idoines à la souffrance de la population avant que cela ne dégénère dans des impatiences et de revendications tout azimut. Donc, c’est déjà suffisamment chargé comme ça pour ne pas, comme je l’ai dit tout à l’heure, alourdir le bateau. 

Guineematin.com : sauf que certains estiment que ce retard est en train de jouer en défaveur des victimes, parce qu’il y a certaines victimes qui sont déjà décédées, il y a d’autres vivent des situations terribles, notamment des enfants dont les parents sont décédés à cette occasion-là. Ces derniers estiment qu’il faut agir très vite, parce que le temps est en train de jouer contre eux.

Bah Oury: lorsqu’on se précipite par rapport à ces dossiers, dans un contexte d’une relative instabilité tant sur le plan juridique que sur le plan politique, en ce qui me concerne, ce ne serait pas rendre service aux victimes. Parce que cette instabilité peut dégénérer en d’autres instabilités beaucoup plus meurtrières que celles que nous avons connues par le passé. Donc, il faut faire preuve de sérénité, de sagesse et permettre, à un rythme qui est celui de trouver d’une manière irrévocable des solutions à ce type de problèmes d’impunités, de violences, de trouver des solutions pour que la Guinée ne puisse plus tomber à des situations dramatiques comme celles que nous avons connues pratiquement depuis 2009. Parce qu’après, il y a eu d’autres drames. Donc, il faut que la société guinéenne, dans ce contexte de transition qui commence, ait le courage de réfréner ses ardeurs et de faire en sorte que toutes les velléités susceptibles de faire régénérer des dynamiques de violences soient systématiquement combattues. Et ça, la responsabilité de ceux qui dirige est totale. Parce que les mêmes pratiques, c’est-à-dire la culture de l’ethno-stratégie, cette volonté effrénée d’avoir le pouvoir n’importe comment dans n’importe quelle condition, il faut que ça soit normalisé et que les uns et les autres respectent la voie tracée. C’est-à-dire la feuille de route qui aura permis de créer un consensus national autour d’une transition apaisée, transparente et efficace comme nous le souhaitons. 

Guineematin.com : Est-ce que vous avez confiance que la justice guinéenne va effectivement faire la lumière sur cette situation, sanctionner les auteurs et rendre justice aux victimes ?

Bah Oury : la justice guinéenne, on a déjà beaucoup à dire là-dessus. Et, si vous avez écouté les magistrats, cela veut de facto indiquer que la justice guinéenne n’est pas en mesure de gérer dans des situations qui se révèlent d’une très grande complexité. Par contre, il y a l’exemple de la chambre africaine qui a jugé Hussein Habré. Elle pourrait être un exemple qui permet d’utiliser la supranationalité d’une cour qui sera internationale d’accompagner et d’aider à ce que des juridictions de ce genre puisse prendre en charge des dossiers lourds. Parce que la justice guinéenne, dans les conditions actuelles, n’a ni la capacité, ni la force ni la volonté de juger.

Interview réalisée par Alpha Fafaya Diallo, Alpha Assia Baldé et Mamadou Yaya Diallo pour Guineematin.com

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