Guinée : 12 ans après le massacre du stade, encore plus d’incertitude pour la justice suivant le récent coup d’État

Les auteurs des crimes doivent être tenus responsables par un procès efficace et équitable

(Conakry – 28 septembre 2021) – Douze ans après le massacre de plus de 150 manifestants et le viol de dizaines de femmes dans un stade à Conakry le 28 septembre 2009 par les forces de sécurité guinéennes, le procès des individus suspectés d’être responsables de ces crimes devrait être ouvert dans les plus brefs délais, ont déclaré aujourd’hui six organisations de défense des droits humains.

Les victimes et familles des victimes ne doivent plus attendre pour que justice leur soit enfin rendue. Alors que la Guinée s’engage dans un processus de transition politique après le coup d’État du 5 septembre, l’ouverture de ce procès serait un signal fort, démontrant la volonté des autorités de placer le respect des droits humains et la lutte contre l’impunité au centre de leurs priorités. 

Ces groupes sont l’Association des victimes, parents et amis du 28 septembre 2009 (AVIPA), Les Mêmes Droits Pour Tous (MDT), l’Organisation guinéenne de défense des droits de l’homme (OGDH), la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH), Amnesty International et Human Rights Watch. 

Malgré les nombreuses années écoulées, le besoin de justice ne diminue pas pour les survivant.es du massacre et les familles des victimes. Il y a tout juste un an déjà, les six organisations dénonçaient les délais, et le temps perdu quant à l’organisation du procès.

Leur attente est même insupportable alors que l’instruction est clôturée depuis fin 2017, et que le gouvernement guinéen a promis à plusieurs reprises l’organisation du procès dans les plus brefs délais, au plus tard en juin 2020. Les organisations restent préoccupées par le manque de volonté affichée à organiser ce procès en Guinée.

Ces derniers mois, le comité de pilotage pour l’organisation du procès du massacre du 28 septembre, composé des autorités et de partenaires internationaux, avait relancé ses travaux et adopté une feuille de route.

Les travaux pour aménager la cour d’appel de Conakry censée abriter le procès avaient avancé et une formation des magistrats était envisagée par le gouvernement de la France. Pourtant, malgré l’implication des partenaires internationaux pour mettre en place les conditions nécessaires à la bonne tenue du procès, aucune date n’a été fixée à ce jour.

Selon Mme Aissatou Diallo, une survivante des événements du 28 septembre, « compte tenu de l’état de santé des survivant.es qui se dégrade, nous demandons avec l’Association des victimes, parents et amis du 28 septembre 2009 que cette année soit la dernière commémoration avant la justice. Il est impérieux que le procès soit organisé et que les réparations soient accordées avant que toutes les victimes ne meurent. »

L’enquête menée par des juges d’instruction guinéens avait été ouverte en février 2010. Plus de 13 suspects ont été inculpés – et 11 d’entre eux sont censés être renvoyés au procès. Parmi eux figurent Moussa Dadis Camara – actuellement en exil au Burkina Faso, l’ancien chef de la junte appelée Conseil national pour la démocratie et le développement, qui gouvernait la Guinée en septembre 2009. Certains suspects inculpés occupaient des postes d’influence jusqu’au récent coup d’État, notamment Moussa Tiegboro Camara, chargé de la lutte contre le trafic de stupéfiants et le crime organisé.

Les organisations suivent avec attention la période de transition politique dans laquelle la Guinée est entrée, à la suite de la prise de pouvoir par le Comité national pour le rassemblement et le développement (CNRD), le 5 septembre dernier, et réitèrent leur appel pour le respect des droits humains et des libertés fondamentales de tous les Guinéens.

Alors que le chef du CNRD, Mamady Doumbouya, a annoncé que « la justice sera la boussole qui orientera chaque citoyen guinéen », les organisations appellent à ce que la lutte contre l’impunité soit au cœur de l’action des autorités.

« Il est plus qu’urgent, pour la Guinée, de mettre fin au cycle de l’impunité, qui a profondément marqué l’histoire du pays depuis plus de 60 ans. Nos organisations rappellent que le droit international stipule que les États doivent offrir des recours effectifs aux victimes des violations des droits humains et que toute absence de justice ou adoption d’une amnistie pour des crimes graves n’est pas compatible avec ces exigences », ont déclaré les organisations.

« Il est également essentiel que les nouvelles autorités garantissent la protection des défenseurs des droits humains et activistes qui n’ont que trop subi des violations de leurs droits aux libertés d’expression et de réunion pacifique depuis des années. Les nouvelles autorités devront faire de la justice une condition sine qua non de leur action », ont-elles ajouté.

La Cour pénale internationale (CPI) avait ouvert un examen préliminaire sur la situation en Guinée en octobre 2009. La CPI, conçue comme un tribunal de dernier recours pour les crimes les plus graves, prend le relais lorsque les tribunaux nationaux ne peuvent pas ou ne veulent pas, instruire et juger ce type d’affaires.

Dans son dernier rapport, la CPI avait indiqué avec déception que “le procès ne s’est pas encore ouvert et le Gouvernement de Guinée n’a communiqueì aucun calendrier ou plan d’action aÌ ce sujet.” La CPI avait indiqué que “les autorités guinéennes doivent démontrer, dans les prochains mois, qu’elles ont la volonté et la capacité aÌ la fois de lutter contre l’impunité et de prévenir de nouveaux cycles de violences.”

Les organisations appellent les partenaires de la Guinée, et particulièrement la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), l’Union africaine, l’Union européenne, la CPI et les Nations unies, à accorder une attention accrue à la situation prévalant actuellement dans le pays, et à renforcer leur action et accompagnement en faveur, d’une part de l’organisation du procès du 28 septembre dans les plus brefs délais, et d’autre part du respect des droits humains par les nouvelles autorités en Guinée.

Complément d’information

Peu avant midi, le 28 septembre 2009, plusieurs centaines d’agents des forces de sécurité guinéennes ont ouvert le feu sur des dizaines de milliers de personnes rassemblées pacifiquement dans le stade du 28-Septembre à Conakry, en vue d’une marche contre l’intention de Dadis Camara de se présenter à l’élection présidentielle. Les forces de sécurité ont également violé plus de 100 femmes, individuellement ou collectivement, et agressé sexuellement certaines d’entre elles avec des objets tels que des matraques ou des baïonnettes, pendant ces événements ou peu après. Les forces de sécurité ont tué plus de 150 personnes et en ont blessé des centaines d’autres.

Les forces de sécurité ont ensuite organisé une opération de dissimulation, bouclant tous les accès au stade et aux morgues et emportant les corps pour les enterrer dans des fosses communes, dont beaucoup doivent encore être identifiées.

Après la fin de l’investigation, en avril 2018, l’ancien ministre de la Justice, Cheick Sako, a mis en place un comité de pilotage chargé d’organiser le procès. Le comité a désigné la Cour d’appel de Conakry comme lieu du procès.

En janvier 2020, le ministre de la Justice, Mohammed Lamine Fofana, a annoncé aux Nations Unies que son gouvernement soutenait « sans équivoque » l’ouverture du procès. Alors qu’il avait assuré que les procédures démarreraient en juin 2020 dès que la construction de la salle du procès serait terminée, il n’y a eu aucune avancée concernant le procès pendant presque un an.

En juin 2020, Me Mory Doumbouya a été nommé ministre de la Justice. Le ministre Doumbouya a déclaré qu’il soutenait le procès, mais que la responsabilité de son organisation incombait à la justice.

Communiqué signé

  1. Pour Amnesty International, à Dakar, Fabien Offner, (anglais, français) ;
  2. Pour l’Association des victimes, parents et amis du 28 septembre 2009 (AVIPA), à Conakry, Asmaou Diallo (français);
  3. Pour la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH), à Paris, Marc de Boni (français) ;
  4. Pour Human Rights Watch, à New York, Elise Keppler (anglais, français) ;
  5. Pour Les Mêmes droits pour tous (MDT), à Conakry, Frédéric Foromo Loua (français) ;
  6. Pour l’Organisation guinéenne de défense des droits de l’homme (OGDH), à Conakry, Alseny Sall
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