63 ans de la Guinée : les mots et les maux du ministre

Habib Yembering Diallo
Habib Yembering Diallo

Cher ami,

Face à ce qui s’est passé à l’occasion de la célébration du 63ème anniversaire de notre indépendance, je ne peux pas rester sans t’adresser ces quelques mots. L’observateur que je suis, j’ai eu l’impression que nos compatriotes ont célébré deux fêtes : celle de notre indépendance mais aussi celle du départ du gouvernement auquel j’appartenais jusqu’au 5 septembre dernier.

Alors que ces dernières années la célébration ne donnait lieu à aucune manifestation populaire, cette année nos compatriotes l’ont célébrée avec faste. Aussi bien dans la capitale qu’à l’intérieur du pays. Dans la foulée, quelqu’un a fait remarquer qu’à la souffrance succède l’espérance. D’autres ont indiqué qu’ils n’ont recouvré la véritable liberté que le 5 septembre. C’est vrai que tout cela relève de l’euphorie. C’est vrai qu’après ce temps, les gens vont vite revenir à la réalité. Mais que nos compatriotes aient le sentiment d’être libérés par le départ d’un régime démocratique, cela m’a fait froid dans le dos.

Autre réalité qui a plein d’enseignement, c’est la célébration officielle de l’événement. Si tu as regardé les images de la télévision nationale, à quelques exceptions près, il n’y avait que de nouveaux visages à ladite cérémonie. Ce fut une situation inédite. Tous ceux qui comptaient il y a encore un mois étaient absents. A la fois les membres de l’ancien gouvernement, les députés de l’assemblée nationale dissoute et les membres de toutes les anciennes institutions.  

Mais il n’y a pas qu’au sommet de l’Etat où nous -responsables de l’ancien régime- sommes exclus. Partout dans le pays, nous sommes devenus les parias de la société. A titre d’exemple, j’ai voulu ces derniers jours rompre mon isolement à la maison pour reprendre une vie normale. Moi qui étais rarement présent aux affaires sociales de la famille en raison notamment de mes responsabilités gouvernementales, j’ai assisté récemment à une affaire sociale.

Cette sortie, qui était censée me soulager en me permettant de me refaire une autre vie après celle de ministre, a failli tourner au cauchemar. Au cours de cette cérémonie, un oncle très écouté, voire vénéré par les miens, a pris la parole pour lancer des flèches. Tout d’abord il a qualifié mon ancien patron de criminel. Ajoutant que ceux qui ont collaboré avec lui jusqu’à la fin n’avaient aucune excuse, en citant les exemples de mes anciens collègues qui ont démissionné.

Après ce discours, toute l’assistance, visiblement gênée, m’a mitraillé avec des yeux parfois approbateurs du discours du sage. Lequel a ajouté que ce qui s’est passé entre mon patron et l’actuel patron ressemble exactement à ce qui s’était passé entre Pharaon et Moïse. Selon lui, quand le premier, plein d’orgueil, d’arrogance et de mépris, s’est autoproclamé dieu, le vrai Dieu a envoyé celui qu’il a élevé pour mettre fin à son règne. Ces propos ont suscité beaucoup d’intérêt auprès de l’assistance.

Après mon patron, le vieux s’est déchaîné sur moi sans me nommer en disant que c’est seulement le jour où un homme a été enterré qu’on peut dire qu’il est béni ou maudit. Pour lui, ce n’est pas le début qui compte. C’est plutôt la fin. Bref, j’ai eu l’impression que cette cérémonie n’était rien d’autre qu’un procès contre mon patron et moi-même. C’est pourquoi, au lieu d’être un soulagement pour me permettre de reprendre une vie normale d’un citoyen normal, elle a tourné au cauchemar.

Désormais je vais réfléchir deux fois avant d’aller à une cérémonie. Or si je n’ai aucun rôle à jouer au plan politique et je suis exclu au plan social, la terre deviendra un enfer pour moi. C’est pour cette raison que je t’écris. Je voudrais que tu m’apportes tes conseils. Pour me dire, selon toi, quelle devrait être la démarche à suivre, sachant que la solution n’est pas de rester enfermé dans ma chambre.

Ma situation est d’autant plus préoccupante que je crains de développer une maladie. Non pas physique mais mentale. Car si on a le sentiment que la terre se rétrécit autour de soi, il y a des risques. La plus grande erreur que j’ai commise c’est de me consacrer uniquement à la politique ces dernières années. Or malgré l’engagement du nouveau patron de ne pas procéder à la chasse aux sorcières, la réalité est tout autre. Dès lors qu’il a dit solennellement que les anciens membres du gouvernement ne seront membres ni du nouveau gouvernement ni de l’organe législatif.

Cela veut dire que je dois continuer à vivre comme je le fais actuellement dans les deux années qui viennent. Encore que rien ne me garantit que mon parti pourrait faire exception en survivant après ce qui s’est passé le 5 septembre. Bref, l’avenir s’annonce sombre. Et, comme dit le dicton, c’est pendant les difficultés qu’on reconnaît les vrais amis.

Attendant avec impatience tes sages conseils qui pourraient soulager ma douleur, je te prie de transmettre mes salutations à toute ta famille.

Ton ami le ministre Habib Yembering Diallo, joignable au 664 27 27 47

Toute ressemblance entre cette histoire ministérielle et une autre n’est que pure coïncidence

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