Les mots et les maux du ministre

Mohamed Béavogui, ancien Premier ministre

Monsieur le Premier ministre,

Ayant exercé de très hautes responsabilités dans ce pays, je sais que vous êtes très sollicité en ce moment. Ce qui fait que cette lettre a peu de chance d’être reçue, lue et examinée comme je le souhaite. Qu’à cela ne tienne, je vous l’adresse malgré tout dans l’espoir que mon nom à lui seul suffira pour vous inciter à la lire. 

Tout d’abord, permettez-moi de vous adresser mes vives et sincères félicitations suite à votre nomination au poste de Premier ministre. Je vous souhaite tout le succès pour mener à bout votre noble mais exaltante mission. Par ces lignes, je puis vous assurer de tout mon soutien et de toutes mes bénédictions. Et ce indépendamment de la satisfaction ou non de ma sollicitation. 

Monsieur le Premier ministre,

C’est après avoir pesé le pour et le contre, les avantages et les inconvénients, la réussite et l’échec de ma sollicitation que j’ai enfin décidé de vous adresser cette lettre. L’objectif est de vous expliquer un certain nombre de choses et solliciter votre soutien pendant cette période de traversée du désert à laquelle je suis confronté. En contrepartie, je vous ferai une proposition plus loin qui nous permette à chacun de tirer profit d’une collaboration secrète. 

Comme vous le savez, les anciens membres du gouvernement traversent une période qui est tout sauf enviable. Je n’échappe pas à cette règle. Hués souvent en public, stigmatisés par les voisins, nous faisons la risée de nos familles. A cela s’ajoute la pression exercée sur les nouvelles autorités afin de nous exclure de la vie politique. Et c’est ce dernier point qui est le véritable objet de ma lettre. 

Monsieur le Premier ministre, 

En homme d’expérience, je ne vous apprends rien en vous disant que tous les membres de l’ancien gouvernement ne sont pas coupables de tout ce qu’on nous reproche. Si tous sont responsables c’est peut-être du point de vue moral. A cause notamment de la solidarité gouvernementale. Sinon il y avait parmi nous des gens qui étaient totalement marginalisés pour certaines décisions. Je fais partie de ces gens-là. Je n’ai jamais pris part à une réunion au cours de laquelle une décision contraire à l’intérêt national a été prise. Si j’ai eu la malchance de ne pas me désolidariser de cette histoire de troisième mandat, je n’ai pas non plus joué un rôle de premier plan. Bref, j’’étais au service de la nation et non à celui d’un homme.

Je voudrais vous prier donc de faire le tri entre les bons et les mauvais. Je dirai entre les mauvais et les pires. Mais la sanction collective n’est pas une solution. Connaissant votre humanisme et votre sens de persuasion, je vous prie d’essayer de convaincre votre parton afin que lui-même fasse ce tri nécessaire. Il ne s’agit pas de nous réhabiliter immédiatement. Mais il s’agirait d’éviter de diaboliser tous les anciens. 

Monsieur le Premier ministre, 

Vous conviendrez avec moi que si vous faites table rage sur le passé en excluant tous ceux qui ont géré une parcelle de responsabilité hier vous vous priverez des expériences et des compétences non négligeables. D’où, encore une fois, la nécessité de faire le tri. Personnellement, je pourrai vous être utile directement ou indirectement, officiellement ou officieusement. 

Voilà donc ce que je vous propose : essayer de persuader votre patron de ne pas loger tous les anciens dans la même enseigne. Plus tard, faire appel à certains d’entre nous dont moi bien évidemment pour vous aider à conduire le navire à bon port. 

En contrepartie, je vais vous rendre un service précieux. Comme vous pouvez l’imaginer, dans pareil cas, il y a une certaine solidarité que les anciens membres du gouvernement, devenus les nouveaux parias de la société, entretiennent. De cette union de survie que nous allons former, germera infailliblement l’idée de mettre des bâtons dans les roues des nouvelles autorités. Eh bien, je vais être cet agent double qui vous rapportera tout ce qui se trame. 

Comme vous le savez Monsieur le Premier ministre, l’armée la plus puissante au monde ne peut rien face à l’ennemi si elle n’est pas bien informée. De même, un gouvernement ne peut réussir que s’il est bien informé. Et comme dit l’adage, la vie est un prix qui n’est pas toujours convenu à l’avance. Je veux que vous travailliez à mon intégration future. De mon côté, je vais vous fournir les informations les plus précieuses. 

Espérant que je vous ai pas vexé dans mon exposé, et si tel était le cas vous m’en pardonnez, je vous prie de garder strictement confidentielle cette correspondance. Si vous voulez me répondre, je vous prie de passer par la même personne qui vous a apportera cette lettre qui, je l’espère ne sera pas la dernière. 

Le ministre, Habib Yembering Diallo, joignable au 664 27 27 47

Toute ressemblance entre cette histoire ministérielle et une autre n’est que pure coïncidence.

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