Transition en Guinée : mémorandum de certains partis politiques

Colonel Mamadi Doumbouya, président de la transition
Colonel Mamadi Doumbouya, président de la transition

A Monsieur le Président de la Transition, Chef de l’Etat, Colonel Mamady DOUMBOUYA

MEMORENDUM

Le samedi 09 octobre 2021 au siège de la CORED-Guinée sis à Dixinn Bora cinq (5) coalitions de partis politiques (BOC, CORED, CPA, CPR, AD) se sont retrouvées pour échanger sur les nouvelles perspectives de gestion de la transition dans le cadre d’un processus démocratique réussi en Guinée. A l’issue de travaux francs, fraternels et chaleureux, il a été convenu de vous faire part de ce qui suit :

Au soutien à la transition politique 

Les différentes coalitions signataires de ce présent document ont eu à faire des déclarations saluant le nouvel élan de la conduite des pouvoirs publics dont l’amorce fut faite, le 14 septembre dernier, par les concertations nationales avec les forces vives du pays. Nous réitérons notre engagement collectif d’apporter notre appui pour une transition concertée, apaisée et réussie. A cet égard, nous avons positivement apprécié les premiers pas de votre action publique.

De la feuille de route de la transition

La publication de la charte de la transition et la cérémonie officielle de votre investiture comme Président de la Transition constituent des actes majeurs créant la confiance entre les forces armées guinéennes et les acteurs politiques et sociaux. Par ailleurs, il faut signaler que la charte, quoique bien faite et soutenue par toutes les couches socioprofessionnelles du pays, laisse tout de même un important vide qu’il convient de combler à l’effet de réguler l’ensemble des actes à poser dans un espace de temps préalablement convenu. En outre, nous avons noté avec satisfaction votre détermination à conduire cette transition dans une dynamique de concertation et d’inclusion qui permettra à chaque citoyen de se sentir impliqué à travers sa corporation D’ores et déjà nous sommes conscients que le régime de transition politique est des plus inconfortables puisque s’entrechoquent concomitamment le désir « de changer profondément le pays » et les limites objectives inhérentes à sa mission de restauration d’un nouvel ordre constitutionnel dans un « délai raisonnable ». La rectification institutionnelle, le rassemblement, le redressement et le repositionnement sont quatre des cinq valeurs du CNRD correspondant parfaitement à la nécessité de la mise en place d’une transition politique institutionnelle dont la Guinée a besoin. Pour ce faire il est impérieux de privilégier dans l’action publique les dimensions suivantes de la transition : 

  • La restauration des fondements juridiques de l’Etat de droit doit être clairement stipulée dans la future Constitution qui sera rédigée, adoptée, publiée et légitimée par voie de référendum après parfaite appropriation de celle-ci par l’ensemble des citoyens guinéens. Il ne s’agit point de procéder par « copier-coller » des textes préexistants mais surtout de tirer les leçons de nos expériences antérieures pour la mise en place d’une gouvernance stable, responsable, équilibrée, participative et démocratique. La Guinée désormais devra s’inscrire dans l’émergence d’une gouvernance vertueuse affirmant la primauté de la Loi.
  • La refonte totale du système électorale de la Guinée : un fichier électoral corrompu génère toujours l’instabilité accompagnée de violences avec un risque d’instabilité très élevé L’opportunité nouvelle est l’ultime possibilité de bâtir un nouveau système électoral fiable et sécurisé. Pour ce faire, il est nécessaire de procéder au recensement général de la population guinéenne tant celle de l’intérieur que celle qui vit à l’étranger. Dans un second temps une extraction du fichier électoral pourra être faite sans altérer sa sincérité et sa fiabilité. L’opportunité de maintenir ou non la CENI, le mode de choix des membres de la CENI (s’il est avéré qu’elle existe), la digitalisation du système électoral doivent être intégré dans les réflexions de réformes. La refondation de l’Etat, la cinquième valeur prônée par le CNRD y trouvera un début de réalisation. En effet comment gouverner avec équité et efficacité si nous ne possédons pas de données fiables sur la population, sa répartition spatiale, la pyramide des âges, le niveau d’instruction etc… La promotion de la bonne gouvernance nécessite l’existence d’instruments qui, en réalité, sont les véhicules de la gestion ciblée, efficace et traçable. L’alpha et l’Omega de la refondation de l’Etat passent par la disponibilité de données statistiques réelles, fiables et exhaustives de données humaines, économiques et sociales du pays. La refonte de notre système électorale nous permettra à la fois de doter notre pays des moyens de sa gouvernance post-transition.    
  • Le changement de la manière de faire la politique : La transition institutionnelle actuelle est un point de départ d’une transition démocratique de vaste envergure de l’Etat et de la société guinéenne qui durera dans le temps. Le respect des droits de l’homme et du citoyen, l’élimination des pratiques ethno-stratégiques qui ont opposé les guinéens, le renforcement de la cohésion nationale et du vivre-ensemble, l’éradication de la corruption et des détournements des deniers publics sont des défis et des objectifs pour permettre l’édification d’un Etat émergent disposant d’institutions fortes. Pour réussir dans cette voie la classe politique guinéenne doit aussi accepter de se réformer pour répondre aux exigences des temps nouveaux. La transition institutionnelle engagée par le CNRD est un pas dans la bonne direction. Les autres pas seront l’œuvre de la société pour assurer son enracinement dans la démocratie et la bonne gouvernance. Dans la même logique deux dossiers lourds méritent un traitement approprié : la lutte contre l’impunité d’une part et celle relative aux délits économiques d’autre part. Une commission vérité- justice- réconciliation et réparations mérite d’être créée afin de prendre en charge cette épineuse problématique afin de situer les responsabilités sur les causes des multiples tragédies qui ont jalonné l’histoire postcoloniale de notre pays. Les réflexions doivent être engagées pour définir sa structuration, la méthodologie de son action, ses objectifs et ses finalités. En effet les mécanismes de la justice transitionnelle doivent être exploités dans un premier temps. La justice pénale interviendra en dernier ressort pour les cas pour lesquels la commission retiendra devant être pénalement jugés. Les délits graves de corruption et de détournements de deniers publics doivent également être examinés par une commission spécialement créée à cet effet. Celle-ci devra jouir de compétences pour mener un travail d’inventaire, d’investigations, d’enquêtes, d’auditions et de poursuites judiciaires dans un climat empreint de professionnalisme et rigueur pour éviter les règlements de comptes et la chasses aux sorcières. Les durées de vie des deux commissions devront aller au-delà de la période dévolue à la transition institutionnelle.

En prenant en compte à la fois les missions essentielles de la transition institutionnelle et l’indispensable nécessité de ne pas retarder dans la durée les réformes structurelles pour le développement de la Guinée, 24 à 30 mois sont suffisants pour la période transitoire dite transition institutionnelle.

La coopération avec la communauté internationale est nécessaire

La communauté internationale se range en général sur les positions de la CEDEAO et de l’Union Africaine. Or la fixation par l’organisation régionale de la durée de la transition de 6 mois à 1an est irréaliste. Ainsi le CNRD doit être proactif pour être en conformité avec sa cinquième valeur relative au repositionnement sur le plan international. Pour ce faire deux actions sont indispensables :

  • La création du Groupe International de Contact sur la Guinée qui sera composé des acteurs majeurs de la communauté internationale (la CEDEAO, l’UA, l’ONU, l’UE, l’OIF, les USA, la France, la Russie, l’Allemagne, la Chine, les représentations diplomatiques accréditées en Guinée, la Banque Mondiale, le FMI, la BAD, la BID, la BEI etc.). En effet la transition institutionnelle devra être soutenue politiquement et financièrement par la communauté internationale pour être en capacité d’assumer ses missions essentielles. La situation calamiteuse des finances publiques du fait de la crise de la pandémie du COVID19 et surtout de la mauvaise gouvernance est désastreuse. D’où notre intérêt d’avoir un accompagnement efficace afin de donner toutes les chances à la réussite de la transition institutionnelle en Guinée. Les autorités de la transition guinéenne doivent être proactives pour montrer leur disponibilité de coopérer avec la CEDEAO et l’UA en conformité avec les intérêts souverains du peuple guinéen. L’intérêt national de notre pays y gagnera fortement.
  • La désignation d’un médiateur international pour conduire le groupe international de contact sur la Guinée d’une part et pour servir d’interlocuteur privilégié à tous les acteurs de la transition d’autre part est urgente. Cette personnalité devra jouir d’un respect et d’un prestige sur la scène politique africaine pour affirmer la crédibilité et l’engagement de son action pour une transition apaisée, transparente, efficace et réussie. La disponibilité du médiateur international pour veiller sur le bon déroulement de la feuille de route de la transition est un atout pour éviter des impasses éventuelles. La Communauté internationale et le CNRD doivent prendre avec gravité la nécessité d’obtenir une sortie de crises durables pour sauver la Guinée du désastre. La crise sécuritaire au Sahel voisin, la persistance de contradictions identitaires agressives du fait de la pratique de l’ethno-stratégie, la pauvreté endémique et les frustrations longtemps accumulées sont des facteurs d’implosion si les efforts ne concourent pas suffisamment à la prévention des conflits en Guinée. La personnalité du médiateur international qui sera désignée pourrait servir de déclic afin d’avoir l’accompagnement souhaitable pour la Guinée. 

Les organes de la transition

Excellence, Monsieur le Président de la Transition

Dans différentes allocutions publiques, vous avez insisté sur le rassemblement et sur la participation active et intelligente des forces vives nationales pour baliser le chemin de la transition. Nous vous encourageons au maintien et à la consolidation de ce cap que vous avez fixé. A cet égard nous nous permettons de vous signaler que la fixation à seulement 81, les membres du CNT est insuffisante pour refléter la formidable diversité des sensibilités de la société civile et des partis politiques qui traversent la société guinéenne. Comme vous le savez 15 places pour l’ensemble des partis politiques de la Guinée qui ont été sevrés pendant plus de 10 ans d’une réelle implication dans le débat national doivent être revues pour une participation large au niveau du CNT. Dans la précédente transition le CNT était composé de 159 membres dont 35 issus des partis. Le contexte actuel milite en faveur du maintien, au moins, de ce quota pour renforcer la représentativité au sein du CNT.

Excellence, Monsieur le Président de la transition

Nous sommes solidaires pour travailler ensemble pour faire réussir la transition politique que vous dirigez dans l’intérêt de notre pays, la Guinée. Dans l’espoir que nos suggestions et nos propositions vous agréent, veuillez recevoir l’expression de notre très haute considération.

Conakry, le 13 Octobre 2021 

Ont signé :

Pour l’Alliance Démocratique (AD) composée de 10 partis 

M. Mohamed Lamine KABA 

Pour le Bloc de l’Opposition Constructive (BOC) composée de 19 partis 

Dr Ibrahima Sory DIALLO

Pour le Collectif des Partis pour l’Alternance (CPA) composé de 19 partis 

M. Lah Robert BAMBA

Pour la Convergence pour la Renaissance de la Démocratie en Guinée (CORED) composée de 35 partis

M. BAH Oury  

Président par Intérim

Copie : M. Mohamed BEAVOGUI, Premier Ministre de la Transition

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