Gambie : des centaines de personnes réclament justice pour les crimes de l’ère Jammeh

Yaya Jammeh

Des centaines de Gambiens vêtus de blanc ont manifesté pacifiquement samedi à Banjul pour réclamer justice pour les crimes commis sous l’ancien dictateur Yahya Jammeh, au moment où ce dernier est au coeur de la prochaine présidentielle, a constaté un correspondant de l’AFP.

Le ministère de la Justice a affirmé le même jour l’engagement du gouvernement à appliquer, « dans le meilleur intérêt des Gambiens », les futures recommandations d’une commission qui a enquêté pendant deux ans sur ces crimes, comme l’ont réclamé environ les quelque 400 manifestants.

Ces recommandations sont très attendues, surtout en ce qui concerne l’ouverture éventuelle d’un procès contre Yahya Jammeh, au pouvoir de 1994 jusqu’à son départ forcé en exil en 2017 sous la pression d’une intervention militaire ouest-africaine. La Commission Vérité Réconciliation et Réparations (TRCC) vient de reporter pour la troisième fois la publication de son rapport, sans préciser s’il serait présenté avant la présidentielle du 4 décembre.

« Non à l’impunité » ou « Plus jamais ça » avaient écrit les manifestants sur leur tee-shirt et sur des pancartes.

S’adressant au président Adama Barrow et au gouvernement, le président de Tango, une fédération d’ONG qui avait appelé à manifester avec une association de victimes, a lancé: « Renouvelez votre engagement et celui de votre gouvernement à garantir que la TRCC n’a pas travaillé pour rien (…) nous attendons une application rapide, transparente et juste des recommandations que soumettra la TRCC ».

« Il serait malheureux que vous, la classe politique, sacrifiiez, le bien-être des victimes sur l’autel des opportunités politiques », a dit John C. Njie du haut de la tribune. Il a prévenu que son organisation pouvait en faire un enjeu de la présidentielle.

– « Ni « crainte ni favoritisme » –

Yahya Jammeh a fait la démonstration vendredi du poids qu’il conserve en dénonçant à distance l’accord conclu entre son parti et celui de l’actuel président en vue de la présidentielle. Son parti avait annoncé début septembre une alliance avec celui de l’actuel président pour le soutenir à la présidentielle.

Yahya Jammeh a dit vendredi n’avoir jamais donné son accord à cette alliance et a ordonné le remplacement des responsables qui l’avaient conclu.

L’intervention de Yahya Jammeh rebat les cartes de la campagne. Elle a lieu alors que les intentions du président Barrow sont inconnues si la commission recommande un procès contre son prédécesseur.

Le ministère de la Justice veut « assurer à toutes les victimes, aux Gambiens et à ses partenaires que le gouvernement maintient son engagement plein et entier à appliquer les recommandations de la TRCC dans le meilleur intérêt des Gambiens et sans crainte ni favoritisme », a-t-il déclaré dans un communiqué.

Les propos mettant en doute cet engagement « sont au mieux prématurés et relèvent des spéculations », a-t-il dit en soulignant que le gouvernement avait établi et financé la TRCC, avait versé 50 millions de dalasi (828.000 euros) à titre de réparations provisoires aux victimes, et coopérait à la rédaction d’un loi pour un fonds de compensation.

M. Jammeh a pris le pouvoir en 1994 à la faveur d’un putsch sans effusion de sang. Il a gouverné d’une main de fer ce pays d’un peu plus de deux millions d’habitants, l’un des plus pauvres au monde, jusqu’en janvier 2017. Il s’est alors enfui en Guinée équatoriale après avoir perdu la présidentielle face à Adama Barrow.

La TRCC a recueilli pendant plus de deux ans des témoignages accablants sur des exécutions extrajudiciaires, des actes de torture, des viols, des chasses aux sorcières au sens littéral ou encore les agissements d’escadrons de la mort aux ordres de Yahya Jammeh.

Les défenseurs des droits humains s’inquiètent que le président Barrow ne privilégie des considérations politiques au moment de statuer sur les recommandations de la TRCC. L’annonce d’un accord entre son parti et celui de Yahya Jammeh début septembre avait laissé ouverte la possibilité qu’en cas de réélection de M. Barrow, l’ancien autocrate puisse rentrer d’exil sans être inquiété.

Cependant, même si la commission remet son rapport avant la présidentielle, M. Barrow n’est pas tenu de se prononcer d’ici là. Il aura six mois pour le faire.

AFP

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