Pr Fodé Abass Cissé : « en Afrique, 25 à 30% des cas d’AVC surviennent chez les moins de 50 ans »

Pr Fodé Abass Cissé, chef service Neuroligie-CHU Ignace Deen
Pr Fodé Abass Cissé, chef service Neuroligie-CHU Ignace Deen

« éviter les AVC repose sur la prévention… Le premier facteur de risque d’AVC, c’est l’hypertension artérielle… Il y a également le diabète, le cholestérol (quand on mange beaucoup gras, beaucoup d’huile, de beurre, de mayonnaise, ça favorise l’AVC).  Après, il y a le tabac. Le tabagisme multiplie par 2 ou 3 le risque d’AVC. L’alcool augmente aussi le risque d’AVC. D’autres facteurs ont été trouvés en Afrique. C’est la qualité de l’alimentation. Les aliments qui sont pauvres en fibres. On ne mange pas de fruits, on ne mange pas de légumes. On mange à chaque fois le riz avec les grandes sauces. Il faut avoir un régime qui est très riche en fibres. L’obésité, le fait d’être gros n’aide pas… », a notamment annoncé le Pr Fodé Abass Cissé, chef service Neuroligie-CHU Ignace Deen.

Dans un entretien accordé à Guineematin.com, Pr Fodé Abass Cissé, chef service neurologie au CHU Ignace Deen, a abordé certaines questions liées aux AVC (accident vasculaire cérébral). Au cours de notre échange, ce spécialiste en neurologie a fait une révélation surprenante : « il y a plus de neurologue à Paris qu’en Guinée ». Il assure « qu’il n’existe que 10 neurologues dans notre pays ». Et, tous ces neurologues trouvent à Conakry. « A partir du kilomètre 36 jusqu’à Lola, il n’y a pas de neurologue », a-t-il confié.

Décryptage !

Guineematin.com : C’est quoi un AVC ?

Pr Fodé Abass Cissé : l’AVC, c’est l’accident vasculaire cérébral. Pour le public, il s’agit de déficit neurologique. C’est comme un déficit public. Donc, c’est la perte d’une fonction neurologique qui dure plus de 24 heures et qui est liée à un trouble de la circulation du sang au niveau du cerveau. Quand on dit déficit neurologique, c’est les fonctions neurologiques, la motricité, le fait de marcher, le fait de parler et de coordonner ses mouvements, le fait de voir ou le fait d’entendre ; donc, lorsqu’une de ces fonctions est perdue à cause d’un trouble de la circulation du sang au niveau du cerveau et que ça dure plus de 24 heures, alors on parle d’un accident vasculaire cérébral (AVC).

Guineematin.com : quels sont les types d’AVC ?

Pr Fodé Abass Cissé : il y a deux types d’AVC. Soit c’est de la plomberie, soit vous avez un tuyau qui est bouché dans la tête ; donc, on parle d’AVC ischémique, ou bien les tuyaux ont éclaté dans la tête, on parle d’AVC hémorragique.

Guineematin.com : quelles sont les causes fondamentales de l’AVC ?

Pr Fodé Abass Cissé : les causes sont multiples. C’est soit les maladies des gros vaisseaux (il y a une hypertension artérielle qui a entrainé de l’alterostérose), soit les vaisseaux bouchés ou bien des tuyaux qui viennent se casser, vous avez un AVC. Vous avez les maladies des petits vaisseaux. Quand les petits vaisseaux à la tête sont bouchés, on a un AVC ischémique. Vous avez les maladies du cœur, les troubles de la contraction du cœur, les problèmes liés aux valves, toutes les maladies cardiaques qui peuvent entraîner un trouble de la circulation du sang et former des caillots peuvent entraîner l’AVC. Même les infections du cœur peuvent entraîner des AVC. Enfin, les maladies du sang. Si vous avez une drépanocytose, une polyglobulie, une anémie, les maladies du sang ou les maladies inflammatoires peuvent entraîner un AVC. Donc, pour résumer, ce sont des maladies liées soit aux vaisseaux, c’est-à-dire aux artères ou aux veines, ce sont les maladies liées au cœur (les maladies cardiaques) et ce sont les maladies sanguines qui vont entraîner les accidents vasculaires cérébraux avec pour chef de file, le principal facteur de risque, l’hypertension artérielle la plupart du temps.

Guineematin.com : comment peut-on éviter les AVC ?

Pr Fodé Abass Cissé : éviter les AVC repose sur la prévention. Beaucoup d’études épidémiologiques ont été effectuées en Afrique. Des études qui ont permis de voir quels sont les facteurs de risques d’AVC en Afrique. Le premier, c’est l’hypertension artérielle. Ils ont confirmé des chiffres au-delà de 146 millimètres de mercure pour la systolique et de 90 millimètres de mercure pour diasporique, vous avez une hypertension artérielle. Et, lorsqu’elle persiste, elle augmente de 50% le risque de faire un AVC. Il y a le diabète : vous avez un taux de sucre élevé, vous ne prenez pas vos médicaments, ça entraîne une altération des vaisseaux et crée l’AVC. Le cholestérol : quand on mange beaucoup gras, beaucoup d’huile, de beurre, de mayonnaise, ça favorise l’AVC.  Après, il y a le tabac. Le tabagisme multiplie par 2 ou 3 le risque d’AVC. L’alcool augmente aussi le risque d’AVC.

D’autres facteurs ont été trouvés en Afrique. C’est la qualité de l’alimentation. Les aliments qui sont pauvres en fibres. On ne mange pas de fruits, on ne mange pas de légumes. On mange à chaque fois le riz avec les grandes sauces. Il faut avoir un régime qui est très riche en fibres. L’obésité, le fait d’être gros n’aide pas. C’est également un facteur de risque d’AVC et il y a d’autres facteurs modifiables, c’est-à-dire le stress psycho social. Quand on est trop stressé, on peut avoir l’AVC et en plus il y a la sédentarité. Il faut régulièrement faire du sport, sinon on est à risque. Donc, si on lutte contre ces facteurs, on réduit considérablement les risques d’avoir d’AVC.

Guineematin.com : qu’est-ce qui fait qu’en Guinée il y a beaucoup de personnes qui sont frappées par cette maladie ?

Pr Fodé Abass Cissé : nous sommes vraiment frappés par l’AVC ; et, c’est d’ailleurs pourquoi on essaie de sensibiliser la population par rapport aux facteurs de risques. C’est plurifactoriel. Le premier, c’est l’inaccessibilité aux soins. Il faut savoir que la Guinée est classée 171ème sur 189 pays au monde. Donc, c’est un pays pauvre et à ressources limitées. Selon les statistiques, 40% des gens n’ont pas accès aux soins de santé primaires. Donc, quand les gens sont hypertendus, quand ils sont diabétiques, ils ne peuvent pas payer les médicaments tous les mois, ils n’adhèrent pas au traitement des maladies chroniques. Ce qui favorise le risque d’AVC. Le contexte social et la pauvreté aggravent le stress et le stress entraîne la survenue de ces AVC. Le style de vie, le mode de développement que nous avons aujourd’hui a une grande tendance à créer des bidonvilles qui sont très consommateurs et peu productifs. Donc, les gens bougent peu, on est assis parce qu’on a peur de courir dans la route, parce qu’il n’y a pas d’espace aménagé pour ça. Cela amène un AVC et enfin, il y a la qualité de l’alimentation. On a changé de style alimentaire. Avant, nos parents mangeaient du manioc tout frais, des pommes de terre, des patates, des aliments sains. Maintenant, nous mangeons du Ketchup, de la mayonnaise, nous allons tous dans les fast-foods, nous mangeons les kebabs. Et donc, ce style alimentaire nouveau que nous avons est un facteur de risque très important d’AVC. Donc, c’est un peu les raisons sociales, culturelles, alimentaires, c’est l’hygiène de vie, l’inaccessibilité aux soins… Tous ces facteurs mis ensemble avec les concentrations des populations dans la capitale, c’est tout cela qui favorise l’AVC contrairement aux autres pays.

Guineematin.com : est-ce qu’il y a une tranche d’âge qui est ciblée par l’AVC ?

Pr Fodé Abass Cissé : c’est ce qui se dit dans la littérature. Normalement, les AVC, c’est une maladie des sujets âgés. Par contre, dans les études en Afrique, 25 à 30% des cas surviennent chez les jeunes, c’est-à-dire des personnes de moins de 50 ans. C’est terrible, parce qu’on a une proportion élevée de patients d’AVC qui sont très jeunes en Afrique. Ce qui entraîne un handicap important ; mais, un nombre élevé d’années de vie perdues. Si vous avez un jeune de 45 ans qui a un AVC, qui ne se soigne pas, qui fait une hémorragie cérébrale, ça a un impact dévastateur sur sa famille, sur ses enfants ; mais, surtout sur la productivité. Donc, ce qu’il faut dire c’est que l’AVC en Afrique survient de façon plus précoce que dans les pays développés du fait qu’on est moins suivi, on mange moins de fruits et on fait moins de sport.

Guineematin.com : est-ce que la Guinée dispose aujourd’hui de statistiques sur le nombre de personnes atteintes d’AVC ?

Pr Fodé Abass Cissé : Honnêtement, il n’y a pas de statistiques très fiables. La raison est très simple : il n’y a pas de neurologues à l’intérieur du pays. Il existe 10 neurologues dans ce pays et ils sont tous dans la capitale. A partir du kilomètre 36 jusqu’à Lola, il n’y a pas de neurologue. Donc, on ne peut pas identifier les AVC. Il n’y a pas de scanner dans les CHU, on ne peut pas identifier correctement tous les AVC. Pour avoir les statistiques fiables, il faut faire des enquêtes porte à porte, des enquêtes épidémiologiques dans la communauté et avoir des registres établis à cet effet pour avoir une idée réelle de l’incidence. Il y a un programme national des maladies non transmissibles et on ose croire qu’avec les nouvelles autorités, nous allons avoir un accès à l’information, nous allons avoir les moyens pour avoir des registres bien établis, pas que pour l’AVC, mais pour toutes les maladies. Parce qu’on ne sait de quoi on parle que quand on en parle de chiffres. Donc, si nous avons un système d’informations sanitaires efficient et efficace, cela nous permet de donner des chiffres ; mais, il n’y a pas de chiffres exacts. Par contre, ce qu’on peut vous dire, c’est que dans notre service à Ignace Deen, nous avons un peu plus de 1100 patients AVC depuis 2017, période à laquelle on a mis en place un registre. Donc, on a un millier de malades. Ça nous permet d’étudier un peu les tendances. Et, aujourd’hui, il y a une tendance à la hausse des AVC dans notre pays.

Guineematin.com : comment comprenez-vous le fait que tous les neurologues soient à Conakry, au détriment de l’intérieur du pays ?

Pr Fodé Abass Cissé : C’est la maltraitance du personnel médical qui fait cela. Le personnel médical est mal traité. C’est un fait. Récemment, on m’a posé la question pour dire qu’il y a beaucoup de problèmes dans les hôpitaux. J’ai dit que c’est vrai ; mais, les bonnes actions amènent les bons comportements. Ce n’est pas parce que quelqu’un est allé dans un coin qu’on dit que c’est une clinique. Une clinique, c’est quand tu as un agrément. Quand tu n’as pas d’agrément, ce n’est pas une clinique. Donc, quand quelqu’un prend une maison dans un coin et qu’il n’est pas inscrit à l’ordre national des médecins, il fait des interventions, on dit que c’est un médecin. Mais, il faut avoir déjà son diplôme, il faut avoir la légalité, sinon, c’est un individu. Pour nous, c’est quelqu’un qu’il faut mettre hors d’état de nuire, qui salit la promotion ; mais, qui ne fait pas partie de la profession, parce qu’il n’est pas dans l’ordre des médecins.

La seconde chose, c’est parce qu’ils sont mal payés. Vous avez beaucoup plus de neurologues en région parisienne qu’en République de Guinée. Et, tous les médecins que vous avez rencontré avant de rentrer ici (son bureau : ndlr) ont envie de partir. C’est un personnel dépassionné qui n’a plus envie. Nous sommes à la fois victimes et bourreaux du système. Victimes, parce que nous-mêmes on n’a pas de couverture santé. Si on a un AVC, on paie de notre poche. Deuxièmement, on n’est pas récompensé. C’est le temps de le dire : les médecins guinéens travaillent malgré eux parce qu’ils ne sont pas récompensés dans la capitale et c’est un chef de service qui vous parle. Alors, si vous demandez à quelqu’un d’aller servir à Lola, s’il a un accident sur la route, s’il a une infection, s’il meurt là-bas, à qui il va se refaire ? Il faut tirer un chapeau, un salut magistral au personnel médical qui travaille à l’intérieur du pays. Mais, on ne peut pas avoir des spécialistes à l’intérieur du pays avec des discours. Il faut mettre les conditions. Les gens aujourd’hui ont besoin d’une qualité de vie sans laquelle ils n’y vont pas. Donc, aujourd’hui, il faut que les hôpitaux soient créés, qu’il y ait un salaire correct par rapport à celui de la sous-région. Il faut une efficience dans le système hospitalier pour espérer avoir les résultats. Ils ne peuvent aller pour 1 million ou 2 millions à Lola pour sacrifier leur vie. Ils vont se dire pourquoi ne pas rester à Conakry où aller ailleurs. C’est aussi simple que ça. La raison est plutôt alimentaire. Dans notre service de neurologie, on a plus de neurologues en région parisienne qu’en République de Guinée et ce n’est pas prêt de changer.

Guineematin.com : quel est votre message à l’endroit des guinéens par rapport à cette maladie ?

Pr Fodé Abass Cissé : l’AVC est grave.  Si vous n’avez rien compris de ce que j’ai dit, retenez que ça déshumanise. Ça met des gens en fauteuil, ça empêche les gens de parler, de comprendre et d’entendre. Il faut faire du sport régulièrement. Il faut réduire le sel, le sucre et le cholestérol. A partir de 40 ans, il faut se faire suivre régulièrement ; même si vous n’êtes pas malades. Si vous n’avez pas les moyens, vous avez droit d’aller à l’hôpital, vous demandez la neurologie, le chef de service, je serais dans l’obligation de vous examiner. Aux autorités, l’heure est à l’action. C’est un appel à l’action aujourd’hui. Prendre en charge l’AVC, c’est structurant pour tout le système sanitaire. Ça permet d’élever le niveau de l’hôpital, parce qu’on aura un meilleur accès aux malades aux urgences, on aura un meilleur du système des examens complémentaires : la biologie, l’imagerie. Ça va enrichir même l’hôpital, ça permettra de créer des hôpitaux de référence. Il faut aujourd’hui sortir des grands discours pour essayer de mettre en place l’équipement nécessaire et surtout s’occuper des médecins. Notre patron, que je salue de passage, quand on a été voir le président de la junte au palais, on a dit : occupez-vous des médecins. Parce que quand il faut maltraiter un médecin c’est facile ; mais, il faut s’occuper du médecin, parce qu’In fine, c’est lui qui est à l’hôpital et c’est lui qui va s’occuper des gens. Maintenant, s’il y en a qui font mal, ils doivent être mis en prison. Cela ne fait l’objet d’un débat. Mais, pour résumer mes propos, nous avons besoin du soutien de l’Etat pour l’équipement ; mais aussi pour l’organisation du plan de carrière des médecins pour qu’on puisse offrir des soins de qualité aux populations.

Interview réalisée par Alpha Assia Baldé pour Guineematin.com

Tél : 622 68 00 41

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