Abdoul Goudoussy Baldé à Guineematin : « On peut servir la Guinée sans être ministre, sans être membre du CNT »

Abdoul Goudoussy Baldé, consultant en développement économique, ancien fonctionnaire des Nations Unies et ancien membre du groupe national de contact pour le dialogue (GNC)
Abdoul Goudoussy Baldé, consultant en développement économique, ancien fonctionnaire des Nations Unies et ancien membre du groupe national de contact pour le dialogue (GNC)

« Les citoyens guinéens doivent sortir du carcan du militantisme et entrer dans la citoyenneté tout court. Il faut cesser de s’insulter, de se battre. J’invite les Guinéens à temporiser, à réfléchir et à chercher les résultats pour eux-mêmes… Si on réussit, c’est le bonheur de tout le monde. Il faut donc sortir de ce carcan de l’individualisme qui freine beaucoup de gens et qui masque leur esprit. Alors qu’ils peuvent être des vrais acteurs pour le développement national ; mais, ils sont obnubilés par le racisme, l’ethnocentrisme et la division pour satisfaire une personne qui peut partir demain. Si on fait ça pour satisfaire un Président ou un ministre, ce qu’on se trompe. Il faut que les guinéens cessent de se tromper. On ne parle que de politique, on ne parle pas de résultat de développement économique. C’est très grave », a notamment fait observer monsieur Abdoul Goudoussy Baldé. Lors d’un entretien avec un journaliste de Guineematin.com, ce consultant en développement économique, ancien fonctionnaire des Nations Unies et ancien membre du groupe national de contact pour le dialogue (GNC) s’est d’abord prononcé sur le coup d’État mené par les hommes du Colonel Mamadi Doumbouya.

Décryptage !

Guineematin.com : le 05 septembre dernier, une unité d’élite de l’armée, dirigée par le Colonel Mamadi Doumbouya, a renversé le président Alpha Condé et mis en place le CNRD. Comment avez-vous vécu ce changement de régime ?

Abdoul Goudoussy Baldé : c’est une situation malheureuse. Mais que les Guinéens ont salué compte tenu des circonstances qui ont prévalu ces derniers temps dans le pays. Tout le monde considère que c’est une action salutaire et je pense qu’à un moment donné, il faut trouver des solutions aux problèmes. J’ai vécu cet évènement comme tous les Guinéens dans l’inquiétude, dans un certain regret ; mais aussi, dans un sentiment d’affranchissement de certains obstacles que les Guinéens vivaient. Et donc, comme tous les Guinéens, je salue l’évènement surtout du fait que personne n’a été tué dans le coup. Le président qui était là n’a pas été tué dans le coup et il n’y a pas eu des massacres comme on pouvait le craindre. C’est un coup d’Etat salutaire pour le bonheur de la Guinée. On espère qu’il va aboutir à un mieux-être pour les Guinéens.  

Guineematin.com : un mois après cette prise du pouvoir par la force, le Colonel Mamadi Doumbouya a nommé Mohamed Béavogui au poste de Premier ministre de la transition. Comme vous, c’est un ancien fonctionnaire des Nations-Unies. Mais, est-ce que l’avez connu ?

Abdoul Goudoussy Baldé : je ne l’ai pas connu de très près. Je l’ai suivi évoluer dans le Système des Nations-Unies et dans la fondation pour le renforcement des capacités en Afrique. Donc, souvent on se connait dans les réseaux ; mais, on n’a pas travaillé ensemble. Nous n’avons pas été des proches. Cependant, je salue vraiment sa nomination et je pense que c’est quelqu’un qui est bien indiqué et que si les Guinéens l’accompagnent sans passion, avec la sincérité requise, il pourra aider à préparer la transition et à préparer les étapes futures pour le développement de la Guinée. Je pense que c’est une personne bien avisée et le plus grand sentiment qu’on devrait nourrir, c’est de l’accompagner, de l’aider, de l’assister. Ne pas lui tendre des pièges pour dire voilà, les intellectuels ont échoué. C’est le risque qu’il y a ; mais, mon sentiment est un sentiment d’optimisme et je pense qu’on a eu la bonne personne pour cette fois-ci. Et, que les Guinéens vont se ressaisir et l’accompagner pour qu’il puisse atteindre les objectifs.

Guineematin.com : de par le passé, vous avez été aussi membre du groupe de contact pour le dialogue en Guinée. Un dialogue qui est rompu dans notre pays depuis plusieurs années. Selon vous, qu’est-ce qu’il faut à ce gouvernement pour relancer ce processus ?

Abdoul Goudoussy Baldé : il faut que nous Guinéens, que nous apprenions à réfléchir davantage. On est rentré dans un circuit infernal où chacun réagi de façon épidermique. On a l’impression qu’il n’y a plus de réflexion stratégique dans le pays. Or, il faut réfléchir différemment et temporiser. Que les Guinéens travaillent pour produire de bons résultats pour eux-mêmes. On ne travaille pas souvent pour des résultats. Donc, il faut changer d’approche, de paradigme. J’ai le sentiment que pour du cap avec ce Premier ministre, avec d’autres, il faudrait qu’on cherche à faire différemment. On ne peut pas utiliser les mêmes méthodes et avoir des résultats différents. Il faut bien que les Guinéens se rendent compte de cela. Si on utilise toujours les mêmes méthodes, les mêmes façons de penser, d’agir, de planifier, de faire la politique, on n’aura pas des résultats différents. Il faut changer absolument dans nos mentalités, sortir de la routine habituelle, penser pour avoir les meilleures solutions possibles et avoir le comportement conséquent. Chacun pointe le doigt sur l’autre ; mais, chacun doit faire l’effort sur lui-même et ensemble les gens vont trouver les bons résultats. Sans quoi, on risque de tourner en rond.

Ce qui se passe ce qu’en Guinée on a pris l’habitude mauvaise que chacun travaille contre l’autre. Moi, mon conseil est de cesser de travailler contre nous-mêmes. Chacun parle pour effacer l’autre ou bien pour taire son vis-à-vis. C’est une attitude négative qu’il faudrait absolument changer. Il y a trop de manque de sincérité dans le peu surtout ceux qui se disent les élites du pays. Ceux qui se considèrent comme les élites, ils passent plus de temps à s’affronter, à se bagarrer dans le verbe et à s’effacer que de réfléchir positivement pour contribuer au développement national. Je trouve cela très malheureux. Ce que j’appelle changer, réfléchir, penser pour produire de résultats, c’est ce changement. Il faut sortir de ce carcan de colère, de supercherie, libérer son esprit et penser comment on peut réellement trouver des résultats différents pour le développement du pays et assurer l’avenir des Guinéens. Si non, on risque de tourner en rond et quel que soit le Premier ministre qu’on aura, on ne pourra être pas l’aider à être dans la voie du développement de la Guinée. Là, nous sommes comme si vous voulez l’autoroute ; mais, c’est une route qui a des virages et des tournants. Là aussi, la Guinée arrive à un tournant historique et il faut négocier ce tournant pour ne pas aller dans le ravin. Négocier ce tournant veut dire que chacun sorte de son esprit de clan, de balkanisme, de stigmatisation, parfois même de haine, de passion, sortir de là, se libérer pour contribuer positivement, aider le nouveau pouvoir à ne pas déraper. Je pense que c’est un devoir et une obligation morale pour tous les Guinéens.

Si ceux qui se disent leaders passent tout leur temps à se taper dessus ou à se faire des coups bas, les populations à la base deviennent désorientées. Elles deviennent désespérées et elles vont se dire finalement: écoutez, ces gens-là ne valent rien et finalement on ne s’aura plus à quel saint se vouer. Je pense qu’on doit se ressaisir et être beaucoup plus responsable dans le débat politique. On peut servir la Guinée sans être ministre, sans être membre du CNT, sans être dans le CNRD. On peut servir la Guinée avec les idées. Le développement d’un pays, c’est d’abord les grandes idées. Tout le monde pense que c’est l’argent ; mais non, c’est les grandes idées. Dans le monde développé c’est une idée d’abord plus de l’argent ensuite. Les gens peuvent ne même pas se connaître très bien. Quelqu’un a une idée, un autre la trouve intéressant, il met son argent et ça devient une corporation. C’est comme ça que le développement est né. Alors, je dis, réfléchissons, pensons stratégie, pensons à l’avenir. Puisqu’on a échoué sur plusieurs plans, il faut trouver des solutions, des mécanismes pour nous permettre d’éviter les embuches qu’on a vécues par le passé. Celui qui veut aider donc le Premier ministre et le gouvernement, c’est l’aider à réfléchir, à proposer des solutions différentes de celles qu’on a utilisé par le passé et qui n’ont pas donné des bons résultats pour les Guinéens.

Guineematin.com : connaissant la difficile collaboration avec les militaires, est-ce que vous pensez que le Premier ministre pourra avoir les coudées franches, malgré qu’il soit un ancien des Nations-Unies ?

Abdoul Goudoussy Baldé : je suis optimiste. Je pense qu’il pourra avoir les coudées franches. Je ne pense pas, selon ce qu’on a vu jusqu’à présent, il y aura des embuches du côté de nos frères de l’armée. Je ne le pense pas. Je ne pense pas non plus que dans le gouvernement qu’il va constituer qu’il y aura des résistances aux bonnes initiatives. Toutefois, comme beaucoup l’ont dit, il faut être prudent. Il faut être très prudent et être sincère. Vous savez, dans la vie, il y a des situations qui méritent qu’on tire des leçons. Si on ne tire pas les leçons, on continuera toujours à se fouiller. Les gens peuvent avoir leur propre agenda de destruction ; mais, ils ne peuvent pas imaginer que la conséquence peut leur revenir. Je pense que les mauvaises volontés vont être écartées et que tous les Guinéens vont se ressaisir surtout autour du Premier ministre et le Président de la République et que les gens vont mettre en avant l’intérêt supérieur dans tous les domaines. Aujourd’hui, toutes les branches d’activités ont parlé avec les militaires. Tout le monde a montré sa tête et a dit ce qu’on veut ; mais, il ne faut pas demander au Premier ministre ce qu’il ne peut pas faire. Il est là pour un temps, il va poser des jalons pour l’avenir. S’il pose des jalons solides et que les gens acceptent de jouer le jeu dans le domaine de gestion macroéconomique, dans le domaine de la mobilisation de ressources, etc. s’il pose les jalons et il met les hommes qu’il faut, c’est sûrement la base sur laquelle les gens vont travailler. On ne peut effacer tout ça et recommencer à zéro. C’est pour ça qu’on parle de refondation. Cela signifie poser des bases solides sur lesquelles on ne peut pas revenir. Il faut poser les jalons pour que les gens soient sur l’autoroute. En tout cas, jusqu’ici, je n’ai aucune raison de douter de sa réussite. C’est le bon moment et c’est le virage à ne pas rater pour les Guinéens.

Guineematin.com : votre mot de la fin ?

Abdoul Gouddoussy Baldé ; je demande aux Guinéens d’accompagner le Premier ministre. Ceux qui ne peuvent pas l’accompagner, qu’ils ne lui mettent pas les bâtons dans les roues. J’invite les citoyens guinéens de sortir du carcan du militantisme et de rentrer dans la citoyenneté tout court. Il faut cesser de s’insulter, de battre. J’invite les Guinéens à temporiser, à réfléchir et à chercher les résultats pour eux-mêmes. Le système qui est accusé aujourd’hui de défaillant, certains ont trouvé leur compte. Mais, lorsque tour le monde se retrouve dans la rue, tout le monde va traverser les marres d’eau, les flaques d’eau, la route non bitumée. Chacun va casser ses pneus, etc. Donc, il y a des choses qui sont obligatoirement communes. Si on réussit c’est le bonheur de tout le monde. Il faut donc sortir de ce carcan de l’individualisme qui freine beaucoup de gens et qui masque leur esprit. Alors qu’ils peuvent être des vrais acteurs pour le développement national ; mais, ils sont obnubilés par le racisme, l’ethnocentrisme et la division pour satisfaire une personne qui peut partir demain. Si on fait ça pour satisfaire un Président ou un ministre, ce qu’on se trompe. Il faut que les guinéens cessent de se tromper. On ne parle que de politique, on ne parle pas de résultat de développement économique. C’est très grave. Je souhaite qu’on parle plus de résultat du développement économique pour dire qu’est-ce qu’on faut pour quel résultat ? A quoi vont servir les budgets qu’on va voter ? A quoi vont servir la constitution, les lois qu’on va voter ? Est-ce qu’on toujours obligé de suivre le modèle anglais ou français en terme de constitution ? Il faut réfléchir sur tout ça. Si quelqu’un fait une proposition, quel que soit son bord politique, il faut l’accepter et la mettre en œuvre. C’est mon conseil à tous et je vous remercie.

Interview réalisée par Alpha Assia Baldé pour Guineematin.com

Tél : 622 68 00 41

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