Agression du 22 novembre 1970 : « elle a eu lieu avec l’aval de Sékou Touré », dit Aliou Barry

La Guinée commémore ce lundi, 22 novembre 2021, le 51ème anniversaire de l’agression portugaise du 22 novembre 1970 sur son territoire. A cette journée de souvenirs douloureux et d’émotion qui font remonter les tristes souvenirs de cette tentative de déstabilisation du régime Sékou Touré ourdi par une puissance colonel (le Portugal), mais aussi la vague de répressions orchestrée en Guinée par le régime en place contre « les complices » de cette agression, Guineematin.com est à la rencontre de Aliou Barry, chercheur et directeur du CAES (centre d’appui et d’études stratégiques).

Notre interlocuteur assure que l’attaque portugaise contre la Guinée a bel et bien eu lieu (même si certains Guinéens n’y croient encore). Mais, il est aussi formel sur le fait que le chef de l’Etat guinéen de l’époque, Sékou Touré, était informé de ladite attaque. Et, il (Sékou Touré) a voulu faire de cette agression un atout pour éliminer des adversaires politiques.

De cette autre page sombre de la Guinée, les Guinéens ne savent toujours pas ce qui s’est réellement passé. Et, comme sur beaucoup d’autres sujets concernant l’histoire de leur pays, les Guinéens ne parlent pas encore d’une même voix. Mais, pour Aliou Barry, il ne fait l’ombre d’aucun doute que la Guinée a été victime d’attaque portugaise dans la nuit du 22 novembre 1970, en plein mois de Ramadan. Cependant, ce chercheur précise que des documents prouvent que le président Sékou Touré a été informé de cette attaque plusieurs jours avant sa mise à exécution. Seulement, le chef de l’Etat en a fait une purge contre ses adversaires.

Aliou Barry, Directeur du Centre d’analyse et d’études stratégiques (CAES)

« Le 22 novembre est une date qui a permis à Sékou Touré d’opérer une large purge au sein de l’élite guinéenne, qu’elle soit à la fois militaire ou politique. Aujourd’hui, toute la documentation existe pour dire que la nuit du dimanche 21 au 22 novembre, il y a 6 navires portugais qui ont accosté aux larges de Conakry. Mais, avant l’agression du 22 novembre, les Guinéens de l’extérieur s’étaient regroupés au sein du Front de libération nationale de la Guinée qui était basé à Dakar et qui était dirigé par monsieur David Soumah. C’est lui et d’autres Guinéens qui étaient contre le régime en place qui ont cherché à renverser Sékou Touré. Il s’avère qu’à l’époque, en Guinée, le PAIGC (Parti Africain de l’Indépendance de la Guinée et du Cap-Vert) avait une base arrière en Guinée et était soutenu par Sékou Touré dans la perspective de la libération de la Guinée Bissau et des Îles du Cap-Vert. Et c’est Amical Cabral qui dirigeait ce mouvement basé à Conakry. Il se trouvait aussi que pendant ces actions de libération, le PAIGC a fait prisonnier quelques portugais notamment le maire de Lisbonne. Donc, le gouvernement portugais de l’époque s’est rapproché de l’opposition guinéenne (le Front de libération de la Guinée) et ils ont envisagé une action à la fois de libération de leurs détenus et aider la diaspora guinéenne à renverser Sékou Touré. C’est ainsi que pendant des mois, il y a eu des réunions à Lisbonne, à Dakar et à Abidjan et près de 250 Guinéens ont été mobilisés. On les a envoyés aux îles Soga au Cap-Vert où avec l’aide du gouvernement portugais, il y a eu 6 navires qui ont accosté à Conakry à 2 heures du matin, la nuit du 22 novembre », explique Aliou Barry.

A en croire notre interlocuteur, l’échec du coup est venu d’une mésentente entre les envahisseurs.

« Selon la documentation qu’on a trouvé, il y a eu mésentente. Le Portugal tenait à libérer ses détenus politiques et les Guinéens voulaient profiter pour renverser Sékou Touré. Mais, toute la documentation en notre possession prouve que Sékou Touré a été prévenu par la CIA qu’il y aura une agression en Guinée. D’ailleurs, à 2 heures du matin, quand les gens ont débarqué, curieusement, seule la présidence était éclairée. Le premier groupe qui est venu aux Cases Belle-vue n’a pas trouvé Sékou Touré. Un autre groupe est parti libérer les prisonniers politiques du Camp Boïro, le 3ème groupe est parti au siège du PAIGC où un allemand a été assassiné. Le 4ème est parti à l’aéroport de Conakry sans trouver ni Mig, ni avion. Il a décidé de ne rien faire. Il s’est avéré pendant ce temps que tous les moyens de communication ont une défaillance. Ce qui est aussi curieux, c’est que ceux qui ont débarqué à Conakry n’ont trouvé aucune résistance, parce qu’à l’époque, même à l’interne, le régime de Sékou Touré était décrié. L’opération a foiré et vers 8 heures du matin, les portugais ont décidé de se rembarquer avec les guinéens qui étaient disponibles dont le commandant Diallo Tierno qui dirigeait l’opération et monsieur Siradio Diallo qui était présent. Malheureusement, nombreux sont ceux qui sont restés à terre et ils ont été arrêtés par la milice populaire de Sékou Touré qui en a fait toute une montagne », a indiqué Aliou Barry.

Selon le directeur du CAES, à l’époque, le Portugal ne voulait pas être accusé d’avoir agressé un pays. C’est pourquoi, ils ont rembarqué très vite. « Sékou Touré s’est servi de cet évènement pour déclarer qu’il y a eu une agression contre la Guinée. C’est vrai que les portugais ont débarqué ; mais, les Guinéens aussi ont profité de l’occasion pour le renverser. Et, à partir de janvier 1971, Sékou Touré a profité pour orchestrer une véritable purge au niveau de la classe politique. Dans toutes les villes de Guinée, il y a eu des pendaisons. A Conakry, au pont 8 novembre, il y a eu 4 hautes personnalités qui ont été pendues. C’est vrai qu’il y a eu une agression ; mais, c’est vrai aussi que Sékou Touré était au courant de ce qui allait arriver. Cependant, il ne savait pas que les Guinéens allaient en profiter pour le renverser. C’est aussi une page de l’histoire guinéenne qui est très sombre. Cela fait partie du devoir de mémoire et je crois que les historiens doivent rouvrir ce dossier en toute objectivité pour que les générations futures sachent ce qui s’est passé le 22 novembre 1970 », dit Aliou Barry.

Le Directeur du CAES déplore que la Guinée continue de déformer sa propre histoire, parfois de façon volontaire.

« Ce qui est dommage en Guinée, c’est quand Sékou Touré a fait 26 ans pour occulter l’histoire du pays, la transformer à sa guise. Et, tous les membres du PDG ont fait croire que tout ce qui s’est passé était une histoire vraie ; mais, c’est une histoire qu’ils ont écrit eux-mêmes. Ils sont allés jusqu’à faire cet amalgame : quand vous critiquez le PDG, ils font croire que c’est le manding. C’est comme quand vous critiquez le PUP, on pense que vous critiquez les Soussous. Le PDG est un parti autoritaire qui a orchestré une vraie déformation de l’histoire de la Guinée. Le cas du 22 novembre est illustratif.  Personne ne conteste que la Guinée a été agressée par le Portugal ; mais, c’est avec l’aval de Sékou Touré que cette agression a été orchestrée. Seulement, il ne savait pas que les guinéens de l’extérieur allaient profiter pour le renverser», assure Aliou Barry.

Alpha Assia Baldé pour Guineematin.com

Tél : 622 68 00 41

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