Situation des handicapés en Guinée : Elhadj Boubacar Diop dénonce une « marginalisation »

Elhadj Boubacar Diop, président du réseau guinéen des organisations des personnes handicapées

« Il ne faut pas voir nos déficiences et nos handicaps. Il faut voir en nous des personnes humaines, comme tous les autres citoyens de la nation guinéenne, avec des droits et devoirs… Quand une personne handicapée se déplace, les routes ne sont pas adaptées à une personne utilisatrice d’un fauteuil roulant… Moi qui vous parle comme ça, je suis sourd. Quand je regarde le journal à la télévision nationale, je ne m’y retrouve pas… Au niveau de l’éducation, les infrastructures préscolaires et scolaires ne sont pas adaptées », a dit Elhadj Boubacar Diop.

A l’instar des autres pays du monde, la Guinée a célébré hier, vendredi 03 décembre 2021, la journée internationale des personnes handicapées. En marge de cette célébration, un reporter de Guineematin.com est allé à la rencontre du président du réseau guinéen des organisations des personnes handicapées, Elhadj Boubacar Diop, pour parler de la situation actuelle des personnes handicapées en Guinée. Et, dans cet entretien, ce vieil homme, sourd depuis sa tendre adolescence, a déploré la « marginalisation » des personnes vivant avec un handicap. Il a également exprimé l’espoir que les personnes handicapées nourrissent actuellement à l’égard des nouvelles autorités du pays pour changer la donne en faveur d’une meilleure intégration des handicapées.

Décryptage !

Guineematin.com : Que pensez-vous de la célébration de la journée internationale des personnes handicapées dans notre pays ?

Elhadj Boubacar Diop, président du réseau guinéen des organisations des personnes handicapées

Elhadj Boubacar Diop: vous me permettrez tout d’abord de vous remercier d’avoir effectué un déplacement pour venir nous rencontrer dans le cadre de la célébration de la journée internationale des personnes handicapées. Avant d’en venir à vos différentes questions, je voudrais souhaiter une très bonne fête aux personnes handicapées de Guinée. Je voudrais profiter de l’occasion pour remercier les autorités de la transition pour le cadeau à l’occasion de la célébration de cette journée par la nomination d’une personne handicapée, pour la première fois, dans les fonctions de conseiller chargé de l’inclusion des personnes handicapées au niveau du ministère de la promotion féminine et des personnes vulnérables. Le réseau guinéen des organisations des personnes handicapées pour la promotion de la Convention des personnes handicapées dont vous nous faites l’honneur de visiter aujourd’hui est une organisation non gouvernementale créée en 2010 et qui regroupe 74 associations de personnes handicapées de toutes sortes de handicaps confondus sur toute l’étendue du territoire national. Nous fêtons cette journée internationale des personnes handicapées avec joie comme d’habitude. Parce que c’est l’occasion la plus opportune pour nous de faire de la sensibilisation et des plaidoyers sur les droits humains fondamentaux, mais aussi de faire connaître nos préoccupations fondamentales.

Guineematin.com : Que peut-on dire aujourd’hui de la situation des handicapés en Guinée ?

Elhadj Boubacar Diop : En Guinée, cette journée intervient dans un contexte tout spécial, parce que nous sommes dans une période de transition. Et, le message que pouvons envoyer aux nouvelles autorités, c’est qu’il ne faut pas voir nos déficiences et nos handicaps. Il faut voir en nous des personnes humaines, comme tous les autres citoyens de la nation guinéenne, avec des droits et devoirs. L’apparition de la nouvelle junte militaire a suscité un grand espoir au niveau des personnes handicapées, parce que c’est la couche sociale la plus défavorisée et marginalisée de la nation guinéenne. Les promesses qui ont été faites à l’arrivée de la junte militaire ont suscité un grand espoir au niveau des personnes handicapées, parce que le président du CNRD a dit que toutes les couches sociales seront associées à la gestion de la chose publique. Comme vous pouvez le constater jusqu’à nos jours, les personnes handicapées sont totalement marginalisées sur tous les plans. A part la nomination d’une personne handicapée qui est intervenue hier (jeudi 02 février 2021), les handicapés n’étaient représentés dans aucune instance de prise de décisions. Or, leur représentativité dans les institutions de prise de décisions va beaucoup favoriser sur les politiques probantes dans le développement  économique, social et culturel en vue de leur prise en compte effective. Donc, si on dit qu’on veut une transition inclusive, on ne peut pas construire une transition inclusive et apaisée en discriminant une partie très importante de la société. Puisque celle-là vit une situation difficile voire même révoltante. Ça ne peut conduire à une transition inclusive et apaisée. Donc, nous appelons les nouvelles autorités à respecter leurs engagements, mais aussi tous les instruments juridiques tant internationaux que nationaux régulièrement ratifiés par notre pays.

Guineematin.com : Que pouvez-vous dire aux autorités actuelles de notre pays pour changer la situation des personnes handicapées et le regard du reste de la société sur les handicapés en Guinée ?

Elhadj Boubacar Diop : Il faut dire que nous avons eu à rencontrer le Premier ministre. J’ai eu l’occasion de prendre la parole pour lui démontrer l’importance de nous associer à la gestion publique. Par exemple, j’ai dit au Premier ministre qu’en Guinée, dès qu’on parle des personnes handicapées, on pense au ministère de l’Action Sociale. Je lui ai dit que ça c’est une erreur. La problématique des personnes handicapées est transversale. Ça concerne beaucoup de départements ministériels. Si vous voyez jusqu’à présent que les résultats sont toujours mitigés, c’est parce que c’est seul le ministère de l’Action Sociale qui essaie de jouer son rôle pour conjuguer les efforts. Tous les autres départements sont pratiquement inertes. Prenons par exemple les routes. Quand une personne handicapée se déplace, les routes ne sont pas adaptées à une personne utilisatrice d’un fauteuil roulant. Et, ce n’est pas le ministère de l’Action Sociale qui va se substituer au ministère des travaux publics pour faire ce travail. Moi qui vous parle comme ça, je suis sourd. Je suis devenu sourd à l’âge de 12 ans. Quand je regarde le journal à la télévision nationale, je ne m’y retrouve pas. Le journal n’est pas interprété en langue des signes. A ce niveau également,  ce n’est pas le ministre de l’Action Sociale qui va se substituer au ministère de l’information pour faire cela. Au niveau de l’éducation, les infrastructures préscolaires et scolaires ne sont pas adaptées. Donc, la problématique des handicapés est transversale. Chaque département a son rôle à jouer. Sans la conjugaison des efforts de façon harmonieuse, rien ne peut évoluer. C’est pourquoi les actions que nous envisageons et que nous avons envisagées, c’est de demander au gouvernement de faire des sensibilisations au près de tous les ministres pour qu’il y ait des points focaux au niveau de chaque département ministériel, pour prendre en compte les dimensions handicaps.

Mamadou Bhoye Laafa Sow pour Guineematin.com

Tel: 622919225

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