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Guinée : un pays d’exception aux contrastes saisissants

Professeur Alpha Ousmane Barry

Par le Professeur Alpha Ousmane BARRY : A propos de notre beau pays, peu importe qu’on le qualifie de délabré ou de désordonné, toutefois il est essentiel de reconnaître que c’est le regard de quelqu’un d’autre qui mine notre unité de surface. Pour le dire de manière simplissime, les Guinéens eux-mêmes ne voient pas d’un oeil malveillant le col crasseux de la chemise de leur patrie et l’image qu’elle renvoie au monde.

Aux yeux de certains citoyens tout est nickel, comme c’est le cas dans le meilleur des mondes. Or il suffit d’un minimum d’élan comparatif, pour s’apercevoir que la Guinée se range dans le peloton des pays les plus désordonnés au monde et pour cause. Toutefois pour le comprendre, il faut avoir vu ce qui se passe ailleurs, non pas en Europe mais en Afrique. Toutes les lois en vigueur un peu partout le sont également en Guinée, mais à la différence, le vie politique fonctionne quasiment à l’envers. Malgré leur ratification, ces lois sont rangées depuis belle lurette dans des tiroirs, en attendant leur mise en application. De ce fait, la vie sociale en cours repose quasiment sur un désordre généralisé qui s’autorégule. Sur la base de ce constat, notre pays est comparable à un homme qui aurait la tête à terre et les pieds en l’air. Pour étayer ce constat, il suffit de se livrer à une évaluation de la situation. Un tel exercice permet de s’apercevoir, à la fuite utile des jours, comme en un rêve, que mouton peut paraître chèvre et vice-versa, dans l’indifférence totale des Guinéens. Ainsi va la vie ! 

  • Richesses naturelles importantes, dernières places en indice de développement

L’un des aspects les plus saillants à propos de la Guinée concerne le contraste entre l’énorme richesse du pays, un don de la nature, et son état de délabrement total qui atteste qu’aucun secteur ne fonctionne conformément aux normes en matière de développement. Ce constat est si amer que certains de nos compatriotes considèrent que notre pays est « maudit ». Or il ne s’agit là que d’un déterminisme sans fondement car si nous Guinéens, n’avons pas su transformer ce don de la nature pour assurer le bien-être des citoyens, il ne faut guère chercher une explication ailleurs. Contrairement à bon nombre de pays africains, plus démunis en termes de richesses naturelles, la vie y est pourtant plus aisée. Ce qui revient à admettre de fait la mauvaise gestion. Cette mal-gouvernance est due en grande partie au défaut de ressources humaines. Toutefois, on a parfois trouvé des boucs émissaires dont la France voire l’impérialisme aidé par des fantoches, comme acteurs du retard de notre pays.

 A la différence des pays comme le Sénégal (pays sahélien) et de la Côte D’Ivoire, entre autres, le syndrome du complotisme à l’œuvre tout au long de la première République a sacrifié les plus valeureux fils du pays. C’est ce que Sylla (1977) nomme « le processus d’auto dévoration de l’État ». A l’image de la Corée du Nord, la Guinée a développé la face visible d’un folklorisme révolutionnaire qui cache l’enfer de la vie quotidienne de ses habitants. Malgré les changements intervenus dans l’exercice du pouvoir, le système est resté le même. Parce que les habitudes ont la vie dure, chaque régime politique a développé un pouvoir hégémonique (PDG, PUP et RPG) avec ses avatars : la forme a changé mais le fond est demeuré intact. Ainsi, la Guinée, telle une république bananière, végète-t-elle dans l’anachronisme. Mais attention : ces choses-là ne doivent pas être dites car elles sont des réflexions erronées de la part de pseudo-intellectuels aigris -comme moi- des contre-révolutionnaires à la solde de l’impérialisme. Ainsi tout va pour le mieux en Guinée : des hôpitaux performants, des Ecoles d’élites, des routes en bon état, une démocratie exemplaire. Bref tous les Guinéens connaissent un bien-être absolu à la hauteur des richesses naturelles du pays. Et depuis l’irruption sur la scène politique d’un nouveau Colonel, les choses s’arrangent à perfection au grand bonheur de tous. C’est cette sourate du livre sacré guinéen qu’on doit désormais répéter de manière litanique à longueur de journée afin qu’elle serve de précepte à l’ordre social des valeurs.

 

  • Bourreaux et victimes sous le toit d’un pays délabré

Un autre aspect saisissant qui retient l’attention de tout pseudo-intellectuel aigri comme moi à la solde de l’impérialisme est l’absence de justice. Tout se passe comme si de tout temps ceux qui ont exercé le pouvoir étaient atteints d’une sorte d’amnésie voire d’une cécité qui les empêchaient de porter le regard sur ce qui se passe dans la vie de tous les jours. C’est ainsi que la violence a sévi de plain-fouet dans la cité sans même que les cas les plus fragrants n’aient fait l’objet d’enquête voire de jugement. En s’érigeant comme mode de gouvernance, le cycle de la violence sur les citoyens s’est imposée à tel point qu’elle a fini par se banaliser. C’est dans ces drames que chaque pouvoir trouvait toute sa vigueur. De ce fait, pour s’imposer sur la scène politique en Guinée, le PDG a usé quasiment de la violence. Pour donner une petite idée aux plus jeunes sur l’origine des violences à l’œuvre en Guinée, on peut les inviter au parcours de lecture d’un extrait d’un ouvrage du PDG intitulé : Stratégie et tactique de la Révolution (1976). Retraçant un épisode d’événements survenus en mai 1957, Sékou Touré apporte le témoignage suivant : « un meeting fut organisé au cinéma Vox par un tract à 18h30, tout le monde s’y trouvait. Nous pouvons souligner que c’est certainement le meeting le plus court que nous ayons tenu de notre vie » (1976 : 146) [et à Sékou Touré de poursuivre sa narration en ces termes] : « Et nous concluons : A partir de cet instant, la guerre est déclarée à l’ennemi du peuple. Passez à l’offensive, détruisez tout ce que vous pouvez détruire. Un seul responsable de vos actes, c’est celui qui vous parle. Allez ! La séance est levée ! » (1976 : 146-147).

Dans le but de montrer que la culture d’une telle violence exerce un effet psychologique immédiat sur la foule qu’elle fanatise, Sékou Touré dresse le bilan de l’insurrection qu’il a lui-même commanditée en ces termes : « La ville de Conakry assiégée fut alors maîtrisée par le parti [le PDG en l’occurrence]. Le lendemain matin, il y avait plus de 350 cadavres dans les rues. La violence populaire recommandée s’est affirmée dans toute sa puissance » (1976 : 147). Que dire de cet exemple suffisamment évocateur pour énoncer la règle et s’ériger en loi ?  En refermant cette parenthèse, il aisé de comprendre pourquoi la violence, déjà enracinée au cœur du pouvoir de 1952 à 1984, est une habitude au long cours, se perpétuant jusqu’à nos jours sans qu’aucune loi ne parvienne à s’imposer pour mettre fin à l’infamie. Ainsi, en l’absence de justice voire d’un travail de mémoire, bourreaux et victimes s’accommodent sous le toit de cette maison commune délabrée dans l’attente d’un Saint-Sauveur.

  • Un pays où la femme est respectée, mais son viol est érigé en arme politique

S’il est une valeur partagée par toutes les communautés guinéennes, c’est le respect qu’on accorde à la femme. En effet, une règle communément admise consiste pour un homme d’appeler toute femme qu’il croise « mère » si elle est d’un certain âge et « sœur » quand elle est jeune femme ou jeune fille. Or contrairement à ce précepte, le massacre collectif au Stade du 28 septembre en 2009 a inauguré un fait nouveau totalement inhabituel « le viol des femmes comme arme politique ». Cet événement qui sort de l’ordinaire a sans doute servi d’exemple dans la foulée à l’équipe ayant pris le pouvoir en 2010. En effet, depuis cette date, plusieurs femmes ont subi des violences sexuelles de la part des forces de l’ordre. Qu’on ait utilisé des femmes enceintes comme bouclier, qu’elles aient été violées devant toute la famille ou qu’elles aient enfin été tuées, cette violence inouïe atteste une perte de nos valeurs. Ainsi, tout se passe comme si on retournait à l’état nature. Cette situation est inexplicable car rien ne justifie une telle animosité. Même si de tels exemples se vérifient dans les pays qui ont connu les rébellions ou dans d’autres (comme au Tchad sous Hissène Habré), l’expérience a montré qu’on peut s’assurer une hégémonie du pouvoir sans viol de femmes surtout chez un peuple qui a la foi. Cette perte de repères que représente le bafouement d’une valeur aussi cardinale entache on ne plus profondément l’image des mœurs politiques en Guinée. Mais on ne doit guère parler de ces choses-là au risque de paraître intello-ethno-aigri-fouteur-de-merde.

 

  • 87% de musulmans et 12% de chrétiens dans un pays où le mensonge s’impose au corps social

Un autre aspect, pas des moindres, qui s’impose en Guinée est que, s’adressant à qui que ce soit, il ne faut absolument jamais lui dire la vérité, mais on doit s’astreindre à lui souffler aux oreilles ce qui enfle sa vanité. Cette dictature du faire-croire sur la réalité qui prévaut est gravissime pour un pays où les citoyens pratiquent les deux principales religions monothéistes. Dans la vie, il est certainement arrivé à chacun d’avoir été confronté à un moment ou à un autre à cette situation paradoxale. Dès qu’on dit la vérité à un interlocuteur il sort aussitôt de ses gonds pour s’extasier à tue-tête en proférant des incivilités voire des invectives. Cette contre-valeur rime avec le faire-croire comme si l’intolérance a droit de cité en Guinée. Ainsi, il ne doit ni dénoncer la mal-gouvernance, ni la violence, ni le détournement, ni le mensonge, ni rien. Il faut absolument faire comme si tout allait bien en Guinée et obéir à cette règle du silence ; dans le cas contraire, on est « pseudo-intellectuel pestiféré voire Satan ».

A vous pseudo-intellectuels malveillants et aigris, qui écrivez ou dites n’importe quoi, dont je suis pourtant le prototype et la parfaite incarnation, qui vous permettez de rappeler aux Dieux leur bourde, qui vous livrez à un crime de lèse-majesté, c’est à vous cette adresse : « Il ne faut point déranger la toute-puissance divine surtout au moment où elle médite sur le sort du monde ». « La Guinée, avec sa démocratie exemplaire, son indice de développement, sa stabilité politique, sa nation libre et prospère, une paix sociale durable et enviable de tous, est le pays au monde où tout va très bien ». Et bravo à notre commandant des forces spéciales -cette éminence grise- pour sa brillantissime sortie fantomatique de Sékou Touré de son tombeau. Mais oubliant entre temps l’une des célèbres phrases culte du Responsable Suprême de la chose populaire et révolutionnaire : « L’impérialisme trouvera son tombeau en Guinée », notre Saint-Sauveur accorde de fait à cet ennemi extérieur, hélas le droit de transiter par l’Aéroport de Conakry. Ce qui constitue une vraie menace pour la stabilité de notre pays. Mais un espoir est permis qu’il bute le pied contre les montagnes d’ordures jonchant les rues de Conakry. A ce moment-là nous en profiterons pour assommer l’impérialisme avant qu’il n’ait eu le temps d’exécuter sa sale besogne. Ainsi, la vie paisible de notre cité sera-t-elle sauvée du danger qui la guète. Alou Leia pour un tel patriotisme hors pair !

Professeur Alpha Ousmane Barry

Alpha Ousmane BARRY

Professeur des Universités

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