Affaire Djoma Group : le procureur Charles Wright accusé de « violation de la loi » et menacé de « poursuites judiciaires »

En conférence de presse  à Conakry ce lundi, 31 janvier 2022, le pool d’avocats de Djoma Group s’est exprimé sur les récentes sorties du procureur général près la Cour d’Appel de Conakry et le procureur spécial de la CRIEF sur l’ouverture d’informations judiciaires contre client pour une batterie d’infractions (dont détournement de fonds). Et, sur un ton ferme, ces avocats ont dénoncé une violation de la loi par le procureur général Charles Wright dans cette procédure.

« Il s’agit notamment des dispositions des articles 8, 16, 19 de l’ordonnance N°007 portant création, organisation et fonctionnement de la CRIEF ; préliminaire, 8, 42 du code de procédure pénale, 13 de la Charte de la Transition et 367 du code pénal », a cité Me Almamy Samory Traoré, un des avocats de Djoma Group.

S’agissant de l’article 367 du code pénal, le pool d’avocats de Djoma Group dénonce la publication des numéros et soldes des comptes bancaires de son client par le parquet général, alors que « ces informations couvertes par le secret bancaire ne doivent être exploitées exclusivement que dans le cadre de la procédure, qui est elle-même sécrète, et non pour être livrées à la presse et au public ».

En conséquence, le « DJOMA GROUP se réserve le droit d’engager des poursuites judiciaires et disciplinaires contre monsieur le procureur général près la cour d’appel de Conakry pour violation du secret professionnel et du serment de Magistrat », a dit le pool d’avocats.

Guineematin.com vous propose ci-dessous l’intégralité de la déclaration lue en conférence de presse par le pool d’avocats de Djoma Group. 

DECLARATION DU POOL D’AVOCATS DE DIOMA GROUP

Le pool d’avocats constitués par DJOMA GROUP a suivi avec beaucoup d’intérêts l’intervention de monsieur le procureur général près la Cour d’appel de Conakry devant la presse, le 21 janvier 2022, et le communiqué de monsieur le procureur spécial près la Cour de répression des infractions économiques et financières (CRIEF) diffusé dans le journal télévisé de la RTG du 27 janvier 2022.

Ces communications par voie de presse appellent à des observations de la part du pool d’avocats constitué, parce qu’elles portent atteintes à toutes les garanties d’un procès juste et équitable. Sur ce, le pool d’avocats constitués informe l’opinion nationale et internationale que DJOMA GROUP n’est nullement contre et ne peut d’ailleurs être contre la mise en place d’une quelconque procédure judiciaire, dès lors que celle-ci se déroule conformément aux règles de procédure applicables.

Cependant, il est regrettable de constater qu’en dehors de toute procédure, que les comptes de DJOMA GROUP soient gelés, en paralysant ainsi toutes ses activités et avec le risque que cela comporte pour ses nombreux travailleurs qui sont pour la plupart en chômage technique.

C’est dans ces circonstances que nous avons été servis par les communications des deux procureurs.

1- SUR L’INTERVENTION DU PROCUREUR GENERAL PRÈS LA COUR D’APPEL DE CONAKRY DEVANT LA PRESSE.

Le pool d’avocats informe l’opinion nationale et internationale que la communication du procureur général près la cour d’appel de Conakry devant les journalistes en date du 21 janvier 2022 a été faite en violation des dispositions des articles 8, 16, 19 de l’ordonnance N°007 portant création, organisation et fonctionnement de la CRIEF ; préliminaire, 8, 42 du code de procédure pénale: 13 de la charte de la transition en date du 27 septembre 2021 et 367 de code pénal.

1- Sur la violation des articles 8, 16 et 19 de l’ordonnance N°007 portant création, organisation et fonctionnement de la CRIEF :

Les articles susvisés disposent respectivement : Article 8 « La compétence territoriale de la CRIEF s’étend sur l’ensemble du territoire national de la République de Guinée ».

Article 16, « Le ministère public près la CRIEF est exercé par un procureur spécial nommé par décret après avis conforme du conseil supérieur de la magistrature. Dans les affaires relevant de sa compétence, il dispose des prérogatives que la loi confère au ministère public ».

Article 19, « Le procureur spécial près la CRIEF se saisit d’office de toute affaire relevant de la compétence de la Cour dans les conditions prévues par les lois en vigueur. À la demande du procureur spécial, il est transmis par voie hiérarchique et à la diligence de tout procureur de la République, les dossiers de poursuite engagés au près des juridictions de droit commun pour des faits relevant de la compétence de la CRIEF ».

Il ressort de l’analyse des dispositions susvisées que la CRIEF ainsi que le parquet spécial près la CRIEF ont une compétence nationale. Contrairement au procureur spécial, la compétence du procureur général près la cour d’appel de Conakry ne s’étend qu’aux parquets du ressort de ladite cour d’appel couvrant la Base Guinée et la Moyenne Guinée.

En violation de ces règles de compétence, le procureur général a, dans un document écrit, intitulé en objet :’’dénonciation et instruction aux fins de poursuite judiciaire’’ daté du 21 janvier 2022, donne des instructions au procureur spécial à l’effet d’engager des poursuites judiciaires contre DJOMA GROUP et d’autres personnes qui y sont visées.

Curieusement, cette intervention a été faite le jour même de l’installation de la CRIEF, cérémonie à laquelle des magistrats de Conakry étaient présents, y compris monsieur le procureur général en personne.

2- Sur la violation des articles préliminaires 8 et 42 du code de procédure pénale, 13 de la Charte de la transition et 367 du Code pénal.

Les articles susvisés disposent respectivement :

– Article préliminaire : « Toute personne suspectée ou poursuivie est présumée innocente tant que sa culpabilité n’a pas été établie. Les atteintes à sa présomption d’innocence sont prévues, réparées et réprimées dans les conditions prévues par la loi… »

Article 8 : « Hormis les cas où la loi en dispose autrement, la procédure suivie au cours de l’enquête et de l’instruction est secrète. Toute personne concourant à cette procédure est tenue au secret professionnel dans les conditions et sous les peines de l’article 367 du Code pénal. Toutefois, afin d’éviter la propagation d’informations parcellaires ou inexactes ou pour mettre fin à un trouble à l’ordre public, le procureur de la République peut, d’office et à la demande de la juridiction d’instruction ou des parties, rendre publics des éléments objectifs tirés de la procédure ne comportant aucune appréciation sur le bien-fondé des charges retenues contre les personnes mises en cause ».

Article 42 : « Le procureur général peut dénoncer au procureur de la république les infractions à la loi pénale dont il a connaissance, lui enjoindre par instructions écrites et versées au dossier de la procédure, d’engager ou de faire engager les poursuites ou de saisir la juridiction compétente de telles réquisitions écrites qu’il juge opportunes ».

Article 13 de la Charte : « Tout prévenu est présumé innocent jusqu’à l’établissement de sa culpabilité à la suite d’un procès régulier offrant des garanties à sa défense ».

Article 367 du Code pénal : « La révélation d’une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire, soit par état ou par profession, soit en raison d’une fonction ou d’une mission temporaire, est punie d’un emprisonnement de 6 mois à 1an et d’une amende de 500.000 à 2.000.000 de francs guinéens, ou de l’une de ces deux peines seulement ».

A la lumière des dispositions suscitées, le pool d’avocats rappelle que le procureur général a lu et commenté à haute et intelligible voix le document précité dont il a d’ailleurs remis une copie afin d’en faire une large diffusion.

Cet objectif a été largement atteint d’autant plus qu’il n’existe pas, à ce jour, un seul média tant traditionnel qu’en ligne qui n’a pas suffisamment relayé les informations contenues dans ledit document. Les réseaux sociaux ne sont pas restés en marge de la propagation de ces informations relatives aux numéros et soldes des comptes bancaires de DIGMA GROUP.

Or, ces informations couvertes par le secret bancaire ne doivent être exploitées exclusivement que dans le cadre de la procédure, qui est elle-même sécrète, et non pour être livrées à la presse et au public.

En procédant ainsi, monsieur le procureur général a rendu public des informations couvertes par le secret professionnel dont il est dépositaire du fait de sa fonction et tombe sous le coup de l’article 367 du Code pénal cité plus haut. Cela constitue en outre une atteinte grave à la présomption d’innocence dont toute personne suspectée ou poursuivie bénéficie et qui est garantie par les dispositions des articles 14 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme; 13 de la Charte de la transition; préliminaire du Code de procédure pénale et 44 du Code civil.

Pour donner force et crédit aux informations données sur les numéros et soldes des comptes bancaires de la société DJOMA GROUP, tendant à la présenter comme coupable des faits de corruption dans le secteur privé,  détournement de deniers publics, blanchiment d’argent, soustraction et détournement commis par des agents publics, faux et usage de taux en écriture publique, abus de fonction, enrichissement illicite, corruption, concussion, vol en bande organisée et recel des fonds publics, monsieur le procureur général conclut en soutenant que : « il est constant que les faits précités sont constitutifs d’infractions qui portent gravement atteintes à la confiance publique et aux intérêts publics.

Ces faits ont causé et continuent de causer d’énormes préjudices pécuniaires, matériels et moraux à l’égard de toute la population guinéenne dans sa diversité.

Nul doute que ces faits de corruption, de détournements, l’utilisation des biens publics à des fins personnelles, l’enrichissement illicite demeurent les causes premières des dérapages budgétaires fréquents », fin de citation.

Comme conséquence de ces agissements de monsieur le procureur général près la cour d’appel de Conakry, la société DJOMA GROUP est aujourd’hui considérée dans l’opinion publique nationale et internationale comme coupable des infractions susvisées et ce, avant tout procès, à fortiori, toute condamnation.

En plus de l’atteinte à la présomption d’innocence, il y a manifestement violation du serment de magistrat relativement au respect du secret professionnel et des lois de la République dont la violation est constitutive de faute disciplinaire imputable à monsieur le procureur général, conformément à l’article 35 de la loi n°54/CNT/2013 du 17 mai 2013 portant Statut des Magistrats.

En conséquence, DJOMA GROUP se réserve le droit d’engager des poursuites judiciaires et disciplinaires contre monsieur le procureur général près la cour d’appel de Conakry pour violation du secret professionnel et du serment de Magistrat.

II – SUR LE COMMUNIQUE DU PROCUREUR SPECIAL PRES LA CRIEF 

Le pool d’avocats a salué, comme la plupart des Guinéens, la création de la CRIEF et la nomination d’éminents magistrats qui la composent et devant l’animer.

Toutefois, il ne comprend pas pourquoi parmi les infractions reprochées à DJOMA GROUP par le procureur spécial figurent la concussion, l’abus d’autorité, le faux et usage de faux en écriture publique, alors que ces infractions ne relèvent pas de la compétence de CRIEF.

Cette situation mérite d’être immédiatement relevée et réparée au risque de voir la CRIEF poursuivre DJOMA GROUP pour des infractions de droit commun et ce, en violation de ses propres règles de compétences.

Cela serait une violation des garanties d’un procès juste et équitable selon lesquelles nulle ne peut être poursuivi que dans les formes et conditions prévues par la loi.

Fait à Conakry, le 31 janvier 2022

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