Matoto-Centre (Conakry) : 22 familles jetées dans la rue au nom d’une décision de justice

En compagnie de cinq (5) pickups de la gendarmerie, Me Abdoulaye 2 Diallo, huissier de justice, a expulsé ce vendredi, 25 mars 2022, vingt-deux (22) familles de leurs domiciles à Matoto-Centre, dans la haute banlieue de Conakry. Cette expulsion très musclée aurait été effectuée au nom d’une décision de justice, mais les victimes disent n’avoir reçu aucun préavis pour libérer ces lieux où elles ne sont que de simples locataires. D’ailleurs, elles accusent les agents venus prêter main-forte à l’huissier de justice d’avoir saccagé et jeté leurs biens à la merci des voleurs qui se camouflent en secouristes.

Selon les informations confiées à un reporter de Guineematin.com, ces 22 familles qui viennent d’être expulsées étaient coincées dans un conflit d’héritage qui remonte à 2017. Car, cette concession qu’ils occupaient appartiendrait à trois frères, à savoir : Mariama Bangoura (l’aînée), Oumar Bangoura et leur benjamine Hawa Bangoura. Ils ont hérité cette concession de leur mère, feue N’Sira Diallo ; mais, c’est Oumar Bangoura qui était chargé du recouvrement des loyers auprès des locataires. Malheureusement, Oumar Bangoura aurait géré ces loyers sans associer ses sœurs. Et, finalement, ces dernières l’ont assigné en justice pour demander une « liquidation partage ».

L’affaire a duré au moins 5 ans devant les juridictions ; et, au bout du compte, Oumar Bangoura a été condamné à libérer la concession et au payement de 20 millions de dommages et intérêts à ses sœurs. Et, c’est suite à cette décision de justice que l’huissier, Me Abdoulaye 2 Diallo, est venu ce vendredi avec des gendarmes pour expulser les occupants de la concession.

Seulement, pour les victimes, aucun préavis ne leur a été donné pour libérer cette concession. Et, leurs biens ont été saccagés par les gendarmes.

Monsieur Ibrahima Sory Diallo, victime de déguerpissement

« Le matin, moi j’étais couché comme aujourd’hui c’est vendredi, mes enfants sont venus me dire : Papa les gendarmes sont venus. Du coup, j’ai entendu : sortez ! Sortez ! Ils ont commencé à casser les portes un peu partout avec les burins et les marteaux. Toutes les portes qui étaient fermées ont été cassées et le contenu de la maison jeté dehors et par terre. C’est ainsi que je suis sorti pour chercher les enfants dans le but de m’aider à faire sortir mes bagages. Pendant ce temps, ils voulaient gâter ma porte aussi, mais ma femme leur a dit d’attendre qu’elle va s’en occuper. Les gendarmes étaient là, arrêtés avec leurs fusils, pour sécuriser les jeunes avec qui ils sont venus. Nous on a rien compris dans cette affaire. S’il y a eu une décision à la justice et que notre concessionnaire Oumar Bangoura a été condamné, nous on ne sait pas. Nous savons quand même qu’ils étaient au tribunal de Mafanco et à la cour d’appel. On a rien reçu comme motif pour sortir, aucun préavis nous a été donné, c’est ce matin là seulement qu’ils sont venus tomber sur nous. Jusqu’à présent je n’ai pas retrouvé certains de nos bagages jetés dehors », a expliqué monsieur Ibrahima Sory Diallo, un maçon qui vit dans cette concession depuis 22 ans avec  sa famille.

Epouse d’Oumar Bangoura (le condamné dans cette affaire), Madame Adama Diallo n’a pas été épargnée par cette opération de déguerpissement.

Madame Adama Diallo, épouse du co-concessionnaire Oumar Bangoura

« Ça fait 7 ans qu’ils sont à la justice. L’affaire est allée jusqu’à la cour d’appel. Mon mari (Oumar Bangoura) est en conflit avec sa grande sœur Mariama Bangoura et sa jeune sœur Hawa Bangoura. Ces dernières veulent l’exproprier pour que la concession leur revienne. Pourtant, elles n’ont aucun papier qui prouve que cet héritage appartient à elles seules, c’est un bien appartenant à eux trois. Et, mon mari a un document par rapport signé par leur mère N’sira Diallo avant sa mort. Leur maman (N’sira Diallo et propriétaire de la maison) a laissé la concession à ses trois enfants. Mon mari qui est le seul homme détient tous les documents y afférents. L’affaire est déjà à la justice depuis plusieurs années. Comme elles (les sœurs de mon mari) ont vu que mon mari n’est pas là, elles sont allées prendre les gendarmes de Kaporo-rails pour venir se jeter sur nous en pleine journée. Ma nourriture, mon argent, mes meubles ainsi que ceux de nos locataires ont été détruits. C’est vingt deux familles qui logent chez nous ici, mais ils ont jeté toutes leurs affaires dehors. Je ne connais pas le montant de l’argent qui s’y trouvait, mon sac de riz et les bidons d’huile ont été tous renversés », a déploré Adama Diallo.

Appelée par sa mère délogée, madame Angeline Guilavogui dit avoir été cogné par une grenade lacrymogène. Et, elle promet de  tenir pour responsable les agents si quelque chose arrivait au bébé qu’elle porte dans son ventre.

Angeline Guilavogui, victime

« Moi je n’étais pas là, c’est ma maman qui m’a appelé pour me dire que les gendarmes sont venus les déguerpir. Sans tarder, je suis venue pour aider ma maman. Arrivée, je me suis mise aux côtés des femmes pour faire sortir les bagages. Il y avait des gendarmes qui discutaient avec certaines femmes dehors ; et, dès que je me suis approchée d’eux en passant, il y a un gendarme qui m’a jeté le gaz pendant que je suis enceinte. Du coup, je me suis évanouie. Est-ce que c’est comme ça qu’ils doivent procéder ? Même si on leur dit de venir sortir les gens, ce n’est pas brutalement comme ça. Et, si je partais à l’hôpital comme ça et qu’on me dise que mon enfant a un problème, ce serait eux les fautifs », a dit madame Angeline.

De son côté, madame Aissatou Diallo habite là depuis 2003 avec ses trois enfants. Elle dit avoir reçu des menaces de la part des forces de l’ordre.

Mme Aissatou Diallo, mère de 3 enfants et victime de déguerpissement

« Ce sont les cris de nos colocataires qui m’ont réveillé le matin. Quand j’ai ouvert la porte, j’ai compris que c’était des gendarmes. Ils étaient déjà dans la maison d’une voisine en train de jeter leurs fauteuils dehors. Entretemps, certains locataires étaient sortis. Après, ils sont allés s’attaquer au bâtiment de notre concessionnaire, mais leur maison était fermée. Ils ont utilisé le fer pour casser leur porte et faire sortir toute leurs affaires. Ces gendarmes ont saccagé et volé tous nos biens. Parce que quand ils font sortir, ils les jettent dehors ; et, quand ça se perd, on ne saura pas qui a volé vu qu’il y a trop de monde ici. Beaucoup ont perdu leurs téléphones. En plus, ils nous insultent et nous menacent en ces termes : si vous ne sortez pas, on vous fera subir des choses que vous n’allez jamais oublier.

Après toutes ces menaces, ils nous ont aussi gazés à deux reprises. Ce sont les gendarmes et certains civils qui ont procédé à cette opération de déguerpissement. Dès que tu tentes de parler, on te gaze », s’est indignée madame Aissatou Diallo.

Interrogé sur cette opération d’expulsion, Me Abdoulaye 2 Diallo, huissier de justice, a laissé entendre que c’est au nom d’une décision de justice qu’il agit.

Maitre Abdoulaye 2 Diallo, huissier de justice

« La concession fait l’objet d’un héritage entre trois personnes. D’un côté Oumar Bangoura ; et, de l’autre Mariama Bangoura et Hawa Bangoura. La concession a été construite par leur mère feue N’Sira Diallo. Mais, après le décès de leur maman, c’est Oumar Bangoura seulement qui gérait la concession de Conakry et celle de Bamako comme bon lui semble. Actuellement même, Oumar est à Bamako dans le cadre du recouvrement du loyer. Même le projet Kaléta a dédommagé les riverains, mais personne ne connaît ce montant, il n’a pas partagé la gestion de cet argent avec ses sœurs. C’est ainsi que ces femmes, pour ne pas se rendre justice, ont assigné Oumar en 2017 au tribunal de première instance de Mafanco en liquidation partage de l’héritage. Après la confrontation des avocats des deux parties en présence des héritiers, le tribunal a ordonné la liquidation partage et a désigné Me Traoré Kaissa Camara notaire à l’effet de procéder au partage des biens laissés par feue N’sira Diallo. La notaire a fait l’acte de partage dans lequel elle a dit que : la concession de Matoto est attribuée aux deux femmes et celle de Bamako est attribuée à l’homme Oumar Bangoura. Comme ils ne se sont pas entendus sur ça, les filles par le canal de leur avocat ont à nouveau assigné Oumar Bangoura devant le tribunal civil de Mafanco pour homologation de l’acte de partage et en expulsion. Ils se sont retrouvés encore au tribunal en 2018. Après les débats, le tribunal a validé l’acte de partage fait par la notaire Kaissa Camara et a ordonné l’expulsion de Oumar Bangoura avec les occupants de la concession de Matoto. En exécution de cette décision de justice, moi huissier de justice instrumentaire, j’ai envoyé une signification commandement à Oumar Bangoura à travers son épouse qui était présente à la maison de libérer la maison avec ces occupants qui sont les locataires et toute personne qui est là-bas en son nom et pour son compte. J’ai envoyé à titre d’information une signification au quartier dont le chef de secteur a reçu pour le quartier il y a de cela plus d’un mois. Malheureusement, ils ont continué à habiter là-bas comme bon leur semble », a expliqué Me Abdoulaye 2 Diallo.

Malick Diakité pour Guineematin.com

Tel : 626-66-29-27

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