Assises nationales : une supercherie politique à la guinéenne

Pr Alpha Ousmane Barry

Pour introduire

L’idée de réconciliation nationale a germé depuis belle lurette dans les annales de l’histoire politique de la Guinée. C’est ainsi que chaque pouvoir en a fait un levier de mobilisation éphémère pour meubler les périodes de disettes politiques. Mais tel l’éclair qui illumine un coin du ciel, les causeries envisagées n’ont parfois jamais vu le jour, ou alors même si elles sont organisées – comme dans le cas présent- tout se déploie de manière désordonnée dans un vacarme assourdissant sans lendemain.

Par expérience, tout homme avisé sait d’avance que de tels tintamarres ont un côté événementiel qui accouche à coup sûr d’une souris. Ainsi va la vie, les choses sont ce qu’elles sont pour leur être et pour leur non-être ; de ce fait, il n’est guère de consensus en Guinée. La vérité dépend de ce chacun pense dans sa forclusion. A cet effet, il n’est guère indécent de penser que la société guinéenne fonctionne selon le principe d’un désordre qui s’autorégule. A l’image d’un chef de ménage qui gère sa cellule familiale, tout se passe comme si chacun imposait un code de conduite au sein de l’entité dont il a le commandement. Or trop de commandants dans un bateau sans assise intellectuelle suffisante laisse libre-cours à un désordre généralisé.

Des assises nationales pour un ordre du jour mal à propos

On voit mal comment un bavardage national peut être organisé autour d’une prétendue réconciliation dans un pays qui n’a jamais connu de guerre civile. Dans ce contexte il est une certitude : en soi les Guinéens ne sont pas opposés les uns aux autres, mais de tout temps ce sont les acteurs politiques qui instrumentalisent des idéologèmes communautaristes dans le processus de conquête et d’exercice du pouvoir. De ce fait, ils utilisent les forces de l’Etat pour exercer la violence sur les citoyens. Sur cette base, on peut inférer qu’il n’est point besoin d’organiser un tintamarre inutile alors qu’on sait que jamais l’Etat n’a diligenté une moindre enquête face aux multiples bavures, de la part des forces de l’ordre, qui ont jalonné l’histoire politique de la Guinée. Et puis, dans le présent, la préoccupation des Guinéens se situe ailleurs car le souhait de tout citoyen aujourd’hui c’est la stabilité du pays. Pour cela, il s’avère indispensable de recentrer l’attention sur un chronogramme bien précis en vue d’organiser des élections libres et transparentes, seules garantes de la stabilité et de l’avenir du pays, plutôt que d’organiser une gymnastique collective à l’image de ce qui a eu long cours pendant le période au pouvoir de la chose populaire et révolutionnaire. Résultat : l’organisation par le CNRD d’assises nationales sur la réconciliation nationale est tout simplement un acte politique incongru. D’expérience, on sait que, après avoir instrumentalisé le tribalisme, comme outil idéologique de conquête et d’exercice du pouvoir, Alpha Condé n’a eu cesse de parler de réconciliation nationale alors que dans le même temps, il commanditait la violence sur les Peuls. Aujourd’hui, le CNRD lui emboîte le pas en recyclant les mêmes idées et les mêmes méthodes.

A l’Etat guinéen de se réconcilier avec les citoyens

Il est un fait indéniable, l’histoire politique de la Guinée a été jalonnée de violences comme arme de conquête et d’exercice du pouvoir. Face à ces multiples violences aucune enquête, aucun procès, aucune suite. Ainsi, l’Etat nature s’est-elle imposée en Guinée et l’image du pays en pâtit. A l’étranger, on ne parle de la Guinée que quand survient des drames politiques. Dans ce cas, il revient à l’Etat de se réconcilier avec les Guinéens en diligentant des enquêtes en vue de situer les responsabilités de la saillance de cette violence. A l’issue des procès, s’imposera de fait un climat politique favorable au pardon en prélude à une thérapie collective. Il ne suffit donc pas d’organiser une gymnastique collective pour résoudre comme un coup de baguette magique des souffrances affectant le corps social dans son ensemble. Dans le cas contraire, la disposition du CNRD à présent est comparable à « tresser les cheveux alors qu’on sait pertinemment que la tête est infestée de puces ». L’Etat doit prendre ses responsabilités car des Guinéens ont été tués, des domiciles, des boutiques et des biens ont été détruits ; c’est à l’Etat d’y répondre car toutes ces violences ont été commanditées et exécutées par des agents au service de l’Etat.

Errance et populisme du CNRD

Depuis son avènement sur la scène politique en Guinée le 5 septembre dernier, le fonctionnement du CNRD s’est bâti essentiellement sur une sorte de mise en scène perpétuelle. Ce storytelling, qui consiste à ajouter une dimension fictive et rassurante à l’argumentation, est une forme de viol des Guinéens par la propagande politique. Ainsi, depuis sept mois déjà, la junte militaire qui s’est accaparée du pouvoir a constamment déclamé d’une voix tonitruante des promesses sans lendemain. Mais en lieu et place des actions, elle s’est évertuée à faire autre chose ; tournant leurs concitoyens dans une sorte de dérision bien calculée. De ce fait les contraires se concilient dans une sorte d’osmose parfaite comme si, en matière de gestion du pouvoir et de politique gouvernementale, la morale n’avait guère de place.

A cet effet, on peut observer une tendance du CNRD à avoir la parfaite maîtrise du tempo. Obéissant à cette règle, chaque fois que le temps mort commence à s’allonger, la junte militaire crée un événement en vue de meubler la période de disette politique. C’est la mise en œuvre de cette stratégie bien rôdée qui permet au CNRD de détourner constamment l’attention du peuple sur ce qui prévaut. Ainsi, essaie-t-elle de gagner de plus en plus du temps pour exercer un contrôle exclusif du pouvoir. Dans cette situation de méli-mélo, paroles promises non suivies d’actes concrets se distribuent sur l’espace public dans une parfaite complémentarité transformant ainsi les Guinéens en zombies. C’est dans ce sillage que la junte militaire au pouvoir ne s’embarrasse pas d’honorer les uns et d’humilier les autres ; de restituer des biens immobiliers à certains et de chasser manu-militari d’autres de leur domicile ; voire de rendre hommage aux victimes aujourd’hui et d’embrasser leurs bourreaux le lendemain.

S’il s’avère insensé pour tout esprit dont l’univers référentiel est rationnel de se prosterner devant la tombe de Kaman Diaby aujourd’hui et de rebaptiser l’Aéroport de Conakry du nom de son bourreau ou alors de restituer à la famille Touré des biens immobiliers et d’intimer celle de Tely Diallo l’ordre de vider ; de la même manière, on voit mal comment le CNRD peut se mobiliser pour rétablir la paix sociale en organisant une messe de réconciliation nationale alors que les barons du pouvoir précédent à la manœuvre reviennent en force sur la scène politique. Si toute chose a des limites, en tant que pays d’exception, la Guinée accède, en dernière analyse, au rang de tous les possibles.

Des apprentis-sorciers tapis dans l’ombre du pouvoir

Plus le temps passe, plus les Guinéens s’aperçoivent de la supercherie qui entoure l’irruption sur la scène politique guinéenne de la junte militaire au pouvoir, organisée autour du corps d’armée dénommé « les forces spéciales ». Tel un bras manchot qui sort de sa cachette, le CNRD qui s’est déguisé en caméléon dans son art de s’accommoder au paysage en changeant constamment de couleur, dévoile progressivement son vrai visage en face des Guinéens. Ainsi même les esprits superficiels commencent à prendre enfin la température de la situation politique du pays. Mais un autre aspect mérite de s’y attarder : le fait qu’en arrière-plan de la face visible, un petit groupe déguisé en fantômes gère le pouvoir dans la monomanie d’en avoir la maîtrise le plus longtemps possible. A ce calcul politique « d’hommes éclairés » se projetant sur le long terme, se greffe l’habitus guinéen du communautarisme à l’œuvre dans les girons du pouvoir. Dans le sillage de ces manipulations et tractations politiques, qui se jouent en arrière-plan de la face visible de l’exhibition du CNRD sur la scène politique, se trame dans l’ombre le retour des anciens, comme s’il s’avérait impossible à la Guinée de se passer de l’éternel hier dans sa marche politique. Mais en politique comme dans tout autre domaine, l’homme propose mais Dieu dispose.

Debout les Guinéens !

Tous les signaux attestent aujourd’hui que l’avenir de la Guinée est jonché d’embûches que personne d’autre ne viendra éloigner du chemin. Il revient donc aux Guinéens et aux seuls Guinéens de prendre leur destin en main. Face à une situation aussi désespérée, seul le courage et la persévérance permettront d’affronter les difficultés, de dompter les obstacles pour venir à bout de la situation et garantir du même coup l’avenir de notre pays. Pour cela, un seul mot d’ordre : Mobilisons-nous pour prendre en main l’avenir de notre pays. Et au péril de notre vie luttons pour la sauvegarde de notre patrie !

Alpha Ousmane BARRY

Professeur des Universités

Facebook Comments Box