Les enjeux de la Primature : par Amadou Diouldé Diallo

Amadou Diouldé Diallo, journaliste et historien

Au fur et à mesure que le temps passe et le silence de carpe enveloppe la cité, la situation semble donner raison à ceux qui avaient très tôt émis des doutes sur le mauvais attelage que constituerait Colonel Mamadi Doumbouya et Mohamed Beavogui.

Ils ont certainement vu juste dans la mesure où le Président de la Transition est un légionnaire formé pour tutoyer même la mort, et le Premier Ministre est un diplomate du velours qui a gravi tous les échelons du Système des Nations Unies pour ne s’attendre qu’à occuper celui de Secrétaire Général.

Ce qui serait une sorte d’immortalité de son prestigieux oncle, Elhadj Boubacar Telli Diallo, celui-là même qui mena avec brio, la bataille diplomatique de l’admission de notre pays à l’ONU le 12 Décembre 1958, avant de devenir le Premier Secrétaire Général de l’OUA après sa création le 25 Mai 1963 à Addis Abeba.

La Guinée devrait plutôt à mon avis penser à la préparation d’une telle candidature à partir du moment où le poste est tournant entre les continents.

Chez nous et depuis toujours, la fonction de Premier Ministre a souvent obéi à des équilibres régionaux dans un souci de partage du pouvoir et de stabilité politique du pays.

Or, à mes yeux, Mohamed Béavogui, au-delà de son patronyme forestier et son côté maternel peul, est un citoyen du monde dont la présence au Palais de la Colombe ne peut apporter grand chose dans la mesure où il n’a pas cet ancrage, cette proximité et surtout ce langage de chargé de mission d’un pouvoir auprès des siens.

Mieux, il n’est pas habitué aux intrigues, aux coups bas, à la délation, à l’opportunisme et à l’hypocrisie des élites guinéennes dès qu’un changement de régime s’opère.

En effet, leurs retournements de veste se justifient par la seule préservation ou acquisition de leurs intérêts. Le pays et les populations attendront.

Alors, puisque Mohamed Béavogui n’est pas de cette étoffe, libérons le et trouvons lui un successeur.

À commencer par celui en qui le Colonel Mamadi Doumbouya a placé sa confiance en lui confiant l’intérim, le Ministre de l’industrie et du Commerce, Monsieur Gomou.

Au-delà de ses compétences académiques, c’est un fils de la Guinée Forestière qui peut dans la politique des équilibres régionaux si chers à nos dirigeants, pallier le départ de Mohamed Béavogui et donner à la région son cinquième Premier ministre après Lansana Béavogui, Eugène Camara, Jean Marie Doré et Mohamed Béavogui.

La confirmation de Monsieur Gomou serait aussi un réconfort pour les populations forestières au moment où le procès des massacres du 28 Septembre est annoncé, et que Moussa Dadis Camara, l’ancien Président de la junte du CNDD est dans le viseur.

En plus de  cette confiance du Président de la Transition, le Ministre Gomou pourra compter sur le soutien du puissant Colonel Amara Camara, le Ministre Secrétaire Général de la Présidence, un autre fils de la forêt.

Si le Colonel Mamadi Doumbouya décide de laisser le Palais de la Colombe entre les mains de la forêt, on peut donc s’attendre à la confirmation de l’intérimaire ou à la nomination d’un autre, à moins que ne soit entre-temps  acté, un retour peu probable de Mohamed Beavogui.

Naturellement que d’autres sur la même base de ses équilibres régionaux sont déjà en piste pour cette Primature.

Mme Makale Traoré : Cette cheffe de parti et brillante universitaire pourra compter sur l’égalité des genres et un soutien de taille, le Général à la retraite, Aboubacar Sidiki Camara. Le Ministre Délégué à la Défense Nationale est un des hommes clés du CNRD et qui plus est du même clan familial que Monsieur Sory Camara, l’époux de Mme Makale Traoré, un cadre compétent et humble.

Elle serait ainsi la cinquième Première Ministre issue de la Basse Guinée, après Sidya Touré et ses trois frères de Forécariah : Mohamed Said Fofana, Mamadi Youla et Ibrahima Kassory Fofana.

Ces trois derniers furent nommés par Alpha Condé au motif que l’essentiel du pouvoir  du Général Lansana Conte était concentré à Dubréka, Boffa et Boké, selon certains.

C’est pourquoi, il faut s’attendre à d’autres prétendants sérieux venants d’autres préfectures de la Région, et qui argueraient sur le fait que le Moréa a été trop et bien servi.

Ce qui est sûr, c’est que l’exercice du pouvoir politique en Guinée a toujours pris largement en compte la Basse Guinée dont relève la capitale.

Or, à part Abé Sylla, qui bien qu’étant fils de la famille régnante du Kania, est perçu comme étant un gros Américain, et depuis le débarquement de mme Fatoumata Yarie Soumah du gouvernement, cette région est peu présente en termes de représentativité significative sur les tablettes du CNRD.

Alors, le Colonel Mamadi Doumbouya tiendra-il compte de ce facteur géopolitique pour choisir l’éventuel successeur de Mohamed Béavogui ? Attendons de voir, en y ajoutant Khalifa Gassama Diaby qui n’a pas dit son dernier mot.

Dans les coulisses de cette bataille pour le contrôle de la Primature, on y retrouve aussi des fils du Fouta. Plus nombreux en tout cas pour ceux dont la cité grogne de folles rumeurs. On cite les Ministres Yaya Sow, Alpha Bacar Barry, Ousmane Gaoual Diallo et Bah Oury, sans compter le comeback possible du Ministre démissionnaire sous Alpha Condé, Abdoulaye Yéro Baldé et le fonctionnaire International Thierno Yaya Diallo.

La région n’a eu que deux Premiers Ministres depuis l’indépendance, à savoir : Cellou Dalein Diallo et Ahmed  Tidiane Souaré.

Il paraît que Alpha Condé avait pris la décision de nommer un fils du Fouta à la Primature dans le but de se réconcilier avec la région. Des émissaires auraient été envoyés partout au Fouta pour sceller la paix, raconte-t-on.

Bah Ousmane, le président de l’UPR, les Ministres Mama Kanny (son ancienne épouse) et Amadou Thierno Diallo auraient fait partie de ses premiers choix.

Si Alpha Bacar Barry pourrait bénéficier de sa position de fils de militaire (le Colonel Sounounou) de Fougoumba, la capitale religieuse de la Confédération Théocratique du Fouta Djallon, car le Président de la Transition aime bien les « fils de leurs pères » ; compter avec moi : Colonel Amara Camara, Kadiatou Émilie Diaby, Ahmed Sékou Keita, le Chef d’état-major de la Marine, et tant d’autres dans l’administration civile et militaire. On ne peut cependant négliger les atouts de Ousmane Gaoual Diallo, le porte-parole du gouvernement,

de Bah Oury, tout aussi brillant que homme politique dont les compétences et le courage rejoignent ceux de Abdoulaye Yéro Baldé.

Il ne saurait d’ailleurs en être autrement quand il s’agit des fils du Timbi et du Koin.

Mais, tout porte à croire que le Ministre des Infrastructures et des Transports Yaya Sow « Kovacs » pour les intimes, prendrait une longueur d’avance sur ses concurrents de la région.

À cause, dit-on, de ses expériences accumulées en Guinée, à la CEDEAO et à l’Union européenne où il a effectué une brillante carrière.

C’est un homme de dossiers, on le dit très accessible et transversal avec en prime cette appartenance à ce groupe mythique de ces chaleureux et généreux jeunes de l’époque, Kader Sangaré, Sorel Sankhon, Dominique Traoré, Mory Cissé, Foch Doumbouya, Taran Diallo, etc.

L’autre versant de Yaya Sow, selon des observateurs, serait sa descendance de ses grandes familles du Labé, qui ont toujours compté sur l’échiquier politique, religieux et administratif et qui ont été toujours pris en compte par les régimes qui se sont succédé à la tête de la Guinée.

Le Ngueriyanké Saifoulaye Diallo, les Séléyankés Vieux Doura Dalein, Grand et Petit Cellou, les Kaldouyankés Alpha Abdoulaye Portos, Cellou Bamba et Abdourahmane Diallo, le Ndioboyanké Siradiou Diallo et la Ndouyedio Aïcha Bah pour ne citer que ceux-là, en sont une parfaite illustration.

Le petit-fils du Pérédio Alpha Mamadou Bobo Sow, le chef de Canton de Tountouroun et arrière petit-fils du Kaldouyanké Alpha Mamadou Cellou Popodara lie et relie, brasse et embrasse pratiquement tout le Diwal de Labé, Gaoual et Koundara compris. Ce n’est pas rien pour la conduite apaisée de la transition.

Enfin, il n’y a pas à exclure une éventuelle rupture de ses équilibres sur lesquels reposent en bonne partie les fondements de la nation.

Que le Colonel Mamadi Doumbouya porte son choix sur un fils de la Haute Guinée. Moussa Cissé, l’élégant Ministre du Budget, fils du magistrat et ancien Ministre de l’intérieur Mahmoud Cissé, le beau-fils des Diakhaby de Labé et des Cross de Faralako (Mandiana), figurerait en bonne place, dit-on.

Rien à faire, le Colonel Mamadi Doumbouya, le Président de la Transition, sera à l’écoute du Général Aboubacar Sidiki Camara, du Colonel Amara Camara et de l’ancien Premier Ministre de Lansana Conté, avant de prendre le fameux décret.

A noter que la Haute Guinée a eu cinq Premiers Ministres : le Colonel Diarra Traoré, Lamine Sidimé, François Lounceny Fall, Lansana Kouyaté et Kabine Komara.

Bonne chance à l’heureux élu.

  Amadou Dioulde Diallo, Journaliste-historien

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