Finir avec la vente du médicament par les non-professionnels : une lutte à mener avec dextérité au risque d’aggraver les difficultés

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En Guinée, la vente du médicament par les non-professionnels est une activité très répandue. Le manque criard de pharmacies dans le pays a permis la floraison et l’extension d’un marché parallèle du médicament sur toute l’étendue du territoire national. Ce marché parallèle (encore appelé marché illicite ou marché noir) est occupé par des acteurs qui, pour la plupart, n’ont jamais fréquenté une faculté de médecine.

Mais, avec la pratique au quotidien, ils ont acquis de l’expérience. Et, aujourd’hui, ils maîtrisent parfaitement les ordonnances et les schémas thérapeutiques. En tout cas, ils parviennent avec aisance à servir le médicament avec la posologie indiquée par les médecins aux patients. Ils sont d’ailleurs les plus prisés par la majorité des Guinéens, surtout à cause des prix abordables qu’ils pratiquent (comparativement aux pharmacies professionnelles).

Cependant, ces derniers temps, les acteurs de ce secteur sont menacés d’interdiction d’exercer. Ils sont même susceptibles de poursuites judiciaires à partir de ce jeudi, 15 septembre 2022. Car, c’est aujourd’hui qu’a pris fin le moratoire qui leur a été accordé par le procureur spécial de la CRIEF (cour de répression des infractions économiques et financières), Aly Touré, pour la fermeture de leurs boutiques. Une fermeture qui va réduire ces acteurs au chômage, mais qui va aussi accentuer les problèmes d’accès des populations aux médicaments.

En effet, le marché parallèle du médicament est illicite et illégale en Guinée, au sens de la loi L/2018/024/AN du 20 juin 2018, relative aux médicaments, aux produits de santé et à l’exercice de la profession de pharmacien. Mais, le manque de pharmacies professionnelles dans le pays rend ce marché nécessaire pour l’approvisionnement des populations en médicaments. Et donc, son interdiction doit normalement obéir à la satisfaction de certains préalables. Des préalables que le procureur Aly Touré lui-même ne semble pas ignorer.

« Nous sommes parfaitement conscients des préalables qu’il faut. Nous sommes en discussion et en harmonie avec le ministère de la santé pour pallier cet état de fait », a-t-il expliqué quelques heures après la publication de sa décision ordonnant la fermeture des boutiques et autres points de vente non agréés de médicaments et autres produits de santé en Guinée.

Sauf qu’à ce jour, ces préalables n’ont pas été satisfaits. Et, rien ne présage qu’ils le seront de si tôt. Ainsi, il serait judicieux de reporter cette interdiction pour permettre aux acteurs du marché parallèle d’écouler leurs stocks, mais surtout pour éviter de porter préjudice aux pauvres populations. « Pour arrêter cette pratique (la vente du médicament par les non-professionnels), il faut une main de fer dans des gants de velours », s’exprimait ainsi un député guinéen en 2018.

Aujourd’hui, l’Etat guinéen aurait tout à gagner si, au lieu de chasser ces vendeurs non agréés, il les intégrait dans sa chaîne de distribution du médicament à travers le pays (quitte à leur accorder une petite formation). La construction de pharmacies publiques jusque dans les sous-préfectures va certainement prendre du temps (plusieurs années). Et, un patient malade qui a son ordonnance en main ne pourrait sûrement pas attendre qu’un tel projet voit le jour. Mais, les acteurs du marché parallèle sont déjà présents jusque dans le dernier village de Guinée. Ainsi, l’Etat pourrait se charger de l’importation des médicaments et utiliser ces acteurs dans la distribution pour rendre le médicament plus accessible aux populations.

À défaut d’utiliser ces acteurs, l’Etat pourrait les accompagner dans leur reconversion. Car, parmi ces acteurs, il y en a qui ont investi les économies de toute une vie dans le médicament. Et, fermer leurs boutiques, avec tous les stocks qui s’y trouvent, leur infligerait des pertes incommensurables.

L’assainissement du secteur pharmaceutique et la protection de la santé des populations est une noble mission que nul ne saurait occulter. Mais, cet assainissement devrait se faire avec beaucoup de finesse pour éviter d’aggraver le problème qu’on voudrait endiguer.

Depuis des années, les professionnels du secteur du médicament et l’Etat s’emploient à bannir la vente du médicament et autres produits de santé sur le marché parallèle en Guinée. Mais, le manque de stratégies a toujours fait échouer leur combat.

En vérité, la difficulté de mettre en application une interdiction du médicament sur le marché parallèle réside en partie dans le fait que plus de la majorité de la population guinéenne s’approvisionne de médicament dans ce marché, auprès des non-professionnels. Ça ne serait pas exagéré de dire que plus de 85% des Guinéens achètent leurs ordonnances au niveau du marché illicite. Les pharmacies sont très peu répandues dans les villes et villages du pays. Et, là où elles existent (à Conakry et environs), les prix des produits ne sont pas à la portée du Guinéen lambda. Alors que de nombreux détenteurs de pharmacies professionnelles s’approvisionnent dans le marché illicite.

« Dans les pharmacies, on te facture le médicament et la climatisation », font souvent remarquer les citoyens pour ainsi exprimer la cherté des prix.

En avril 2019, le ministre de la Santé (à l’époque Edouard Niankoye Lama) avait interdit toute vente de produits pharmaceutiques par les non-professionnels sur toute l’étendue du territoire national. Il avait d’ailleurs ordonné la « fermeture sans délai » de toutes les boutiques de vente de produits pharmaceutiques tenues par les non-professionnels dans tout le pays. Cette mesure devait être exécutée par « Médicrime », une brigade de répression créée pour coordonner les actions de répression et de contrôle du respect des règles dans le secteur du médicament. Malheureusement, cette interdiction n’a pas produit les résultats escomptés. Et, on est revenu à la case de départ. La présente interdiction pourrait subir le même sort, d’autant plus que les causes produisent toujours les mêmes effets.

Mamadou Baïlo Keïta pour Guineematin.com

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