Procès du massacre du 28 septembre : voici les attentes d’Asmaou Diallo, présidente de l’AVIPA

Le plus grand procès de l’histoire de la Guinée va s’ouvrir après-demain, mercredi 28 septembre 2022, soit 13 ans après les événements qui ont coûté la vie à 157 guinéens au stade de Dixinn. Les autorités de la Transition en ont fait une priorité à la grande satisfaction des victimes. À moins de 48 heures de l’ouverture de ce procès, des reporters de Guineematin.com ont rencontré la présidente de l’Association des Victimes, parents et amis du massacre du 28 septembre (AVIPA). Asmaou Diallo a dit sa joie de voir s’ouvrir ce projet après une bataille de plus de 10 ans.

Guineematin.com : à moins de 48 heures de l’ouverture du procès du massacre du 28 septembre 2009, comment vous sentez-vous en tant que victimes mais aussi présidente de l’association des victimes ?

Asmaou Diallo : actuellement, je peux dire que je me sens bien sachant que le procès va démarrer. Et je suis aussi stressée, parce qu’on a travaillé sur ce dossier depuis 2009 à nos jours. Voilà, ça va faire 13 ans. Alors, nous sommes en train de revoir des victimes qui ne voulaient pas du tout venir, qui ne croyaient pas, mais elles ont vu effectivement que c’est réel, qu’il faut revenir. Alors, on est confronté à ces choses, il y a un monde fou, vous-même vous pouvez constater au niveau du bureau et puis il y a des appels de tous les côtés. Les gens veulent vraiment revenir, on a des victimes qui reviennent avec toutes les preuves qu’on ne peut pas réfuter. Et il y a d’autres, par contre, qui viennent sans preuves. Alors, ça c’est difficile pour nous de prendre en compte. Parce qu’évidemment, ce n’est pas tout le monde qui avait des preuves. Mais aujourd’hui, je peux dire que tout le monde peut expliquer ce qui s’est passé au stade, mais en expliquant, on peut savoir si effectivement cette personne était au stade. Donc, on est dans ce dilemme parce qu’on ne voudrait pas vraiment mélanger les victimes qui étaient au stade, qui ont vraiment subi, à d’autres personnes que je ne sais si elles veulent simplement participer dans le processus. Mais néanmoins, nous sommes en train de bien travailler sur ça, on a renvoyé beaucoup de personnes et ces gens ne sont pas contents, mais c’est comme ça. Au niveau de l’AVIPA, on ne peut pas accepter du n’importe quoi. Nous filtrons carrément les choses. Donc, il y a ce cas qui est là, mais nous réussissons tout de même à continuer le travail. Évidemment, je suis un peu stressée parce qu’il faut que j’explique comment le processus doit aller pour faire comprendre à ceux qui insistent pour s’inscrire. C’est avec tous les dossiers, tous les documents, alors quand on a ça, on inscrit les gens sans problème parce que la porte de l’AVIPA est grandement ouverte pour toutes les victimes du 28 septembre 2009. Mais si tu n’es pas victime, on ne peut pas risquer de prendre les gens n’importe comment. Vous savez, depuis le début, c’est comme ça que nous avons travaillé, c’est comme ça qu’on va continuer jusqu’à la fin des choses. Sinon, je peux dire que je suis vraiment très satisfaite de l’ouverture de ce procès enfin, après 13 ans de combat et d’attente. Ce n’est pas 13 jours ni 13 heures.

Que dire du retour de Moussa Dadis Camara après ces longues années d’exil ?

Asmaou Diallo, présidente de l’AVIPA

 Nous sommes très comblés pour cela. Le président Dadis a toujours dit qu’il est prêt pour venir devant les juridictions guinéennes. Nous sommes vraiment très à l’aise par rapport à cela parce qu’en tant que président en ce moment (28 septembre 2009), il accepte de venir librement pour répondre aux juridictions guinéennes, c’est très important. C’est un grand engagement patriotique. Il est responsable, j’apprécie cela et je suis sûr que tous ceux qui sont inculpés vont accepter de venir librement sans qu’il n’y ait de pression sur eux. Parce que déjà, quand tu reconnais ce que tu as fait, il faut avoir le courage de le dire. C’est quelque chose de très intéressant et très important. Donc, sa venue est salutaire.

Par rapport à ce procès, son ouverture veut dire que les gens vont revivre ce qu’ils ont vécu au stade du 28 septembre en 2009. Comment est-ce que vous appréhendez cette situation ?

Vous savez, c’est tous les jours que nous revivons ça, parce qu’on en parle tout le temps. Les victimes qui viennent pour s’enregistrer, on les écoute d’abord. Il faut les écouter, il faut comprendre effectivement oui si c’est une victime ou non. Quand on dit vraies victimes, fausses victimes, il y a toutes ces choses qui se disent, mais nous, nous voulons avoir les personnes qui étaient au stade. Donc, les explications nous font revivre les choses. Il y a d’autres personnes qui viennent avec des photos, ça nous fait revivre les choses. Donc, ça nous remet immédiatement dans ce moment du lundi sanglant. Donc, on est obligé de revivre ça et on a toujours ce mal dans le cœur, mais qu’à cela ne tienne, nous continuons l’engagement. Et c’est pour cette raison que nous avons toujours nos psychologues à côté. Ils sont toujours là parce que des fois, il y a le trauma qui revient, mais on réussit quand même à le cadrer pour qu’on puisse aller de l’avant. J’avoue que cela a beaucoup aidé et aujourd’hui les victimes qui sont avec nous ont été suivies par une équipe de psychologues et l’appui médical, tout cela a beaucoup aidé. Il faut briser le silence. Il faut en parler parce que quand tu n’en parles pas, tu ne peux pas te libérer. A ce niveau, nous en parlons, les victimes aujourd’hui expliquent alors qu’avant, lorsque je prends le cas des femmes victimes de viol, elles ne parlaient pas, mais aujourd’hui, elles ont eu le courage de parler. Elles ont eu le courage d’expliquer. Donc, ça les met vraiment à l’aise aujourd’hui, tout le monde est engagé pour ce procès, tout le monde est content du procès qui doit s’ouvrir le 28 parce qu’avec ça, on peut savoir qu’est-ce qui s’est passé et pourquoi ce massacre. Là, elles sauront si elles ont eu raison d’être au stade.

Vous continuez d’enregistrer les victimes. Aujourd’hui, est-ce que vous avez une idée de combien de personnes vous avez ?

Nous avons dépassé les 700 personnes enregistrées.

Le CNT (conseil national de la transition) a adopté une loi qui protège, notamment les victimes, dites-nous comment vous appréciez cela ?

Très bien, parce que sans cela, vous voyez ce que ça fait, c’est un peu inquiétant. Mais on a vraiment besoin de cette protection pour les victimes, tous ceux qui parlent en tout cas du procès, tous ceux qui ont travaillé dans ce système, on a vraiment besoin de cette protection.

Est-ce que vous êtes rassurée par rapport à votre sécurité et à la sécurité des victimes ?

À partir du moment qu’on a donné l’avis pour la protection des victimes et témoins j’espère qu’on sera aussi protégé au même moment.

Qu’est-ce que vous attendez réellement de ce procès ?

Nous attendons la vérité, nous attendons un procès digne de nom, nous attendons des réparations, nous attendons aussi une reconnaissance nationale, une protection, d’accord mais surtout aussi un accompagnement médical, psychologique et une garantie de non répétition pour le peuple de Guinée.

Propos recueillis par Mamadou Yahya Pétel Diallo et Hassanatou Kanté pour Guineematin.com

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