Cas Kassory et Cie, Air Guinée, pharmacies clandestines… Aly Touré de la CRIEF dit tout à Guineematin

Aly Touré, procureur spécial près la Cour de répression des infractions économiques et financières

L’Etat guinéen, à travers les autorités de la Transition, a engagé une lutte sans merci contre les détournements de deniers publics des dernières décennies. C’est dans cette dynamique que la Cour de répression des infractions économiques et financières (CRIEF) a vu le jour. Depuis plusieurs mois, des personnalités, interpellées dans ce sens, croupissent à la maison centrale de Conakry. D’autres sont placés sous contrôle judiciaire. De nombreux autres sont convoqués. Pour en savoir plus sur la situation globale de l’ensemble des dossiers pendants devant cette juridiction, un journaliste de Guineematin.com est allé à la rencontre d’Aly Touré, Procureur spécial près la CRIEF.

Nous vous proposons ci-dessous l’intégralité de l’interview qu’il a accordé à notre reporter.

Guineematin.com : pouvez-vous nous faire la situation de l’ensemble des dossiers qui sont pendants devant la Cour de répression des infractions économiques et financières (CRIEF) ?

Aly Touré : ça fait près de 8 mois que nous sommes à la CRIEF. Nous avons reçu pas mal de procédures. A date, nous avons reçu 92 dossiers. Ce sont des dossiers qui sont composés de plaintes venant de l’agence judiciaire de l’Etat, de plaintes émanant des officiers enquêteurs, mais aussi des transmissions que d’autres juridictions nous ont faites parce qu’il y a les dispositions transitoires des actes qui créent la CRIEF qui disent que lorsque des dossiers qui sont de la compétence de la CRIEF sont pendants devant les juridictions ordinaires, ces dossiers doivent être transmis à la CRIEF pour la continuation de la procédure au même degré et au même niveau. Donc, on a reçu des dossiers des autres juridictions et c’est ce porte le nombre total à 92 affaires pendantes devant la CRIEF.

Du début jusqu’à maintenant, la Cour a vidé combien de dossiers ?

En termes de jugement de dossiers, ce n’est pas du tout facile parce que ce sont des enquêtes financières, et qui parle d’enquêtes financières, demande suffisamment de temps et tout ce qu’il faut pour mener à bien ces enquêtes. Nous avons quand-même réussi à faire juger 3 dossiers et 3 décisions ont été introduites devant la chambre de jugement. Il y a au moins 15 dossiers qui sont pendants devant la chambre de jugement et le reste des dossiers et pendant devant la chambre d l’instruction et la chambre des appels. Les dossiers dans lesquels il y a décision, sont des dossiers qui sont susceptibles d’être frappés d’appel devant la chambre des appels.

Est-ce que vous continuez à recevoir des dossiers ici et quel est le sort de ces nouvelles procédures au jour d’aujourd’hui ?

Oui, nous continuons à recevoir des plaintes que nous avons orientées à nos différents services, notamment l’inspection générale de l’Etat, la direction centrale des investigations judiciaires de la gendarmerie nationale, l’Office de répression des délits économiques et financiers (ORDEF), on a même saisie l’inspection générale des finances de certains dossiers. Donc, il y a des dossiers, quand ces dossiers vont revenir au parquet, nous allons juger de l’opportunité des poursuites, soit directement devant la chambre de jugement, soit devant la chambre de l’instruction. Mais à date, il n’y a pas de dossiers transmis au parquet et qui ne soient pas orientés vers un service. Soit ils sont devant la chambre de jugement, soit devant la chambre de l’instruction ou de la chambre des appels.

Parmi les dossiers orientés devant la chambre de l’instruction, il y a certains dont le jugement n’est pas programmé et ça retarde alors que les mis en cause sont en détention provisoire. Qu’est-ce qui explique cette lenteur pour leur jugement ?

Je vous ai dit tantôt que nous sommes en enquêtes financières et en matière d’enquêtes financières, il y a plusieurs acteurs qui interviennent. Le juge n’est pas professionnel de tous les domaines. Certes, il connaît la Loi, il sait manier ou manipuler la Loi, il connaît toutes les subtilités de la Loi, il connaît vraiment la Loi dans sa stricte application, et pour appliquer la loi, il y a d’autres facteurs qui interviennent, d’autres paramètres qui entrent en jeu. Ces facteurs et paramètres peuvent aider à orienter la décision du juge.

Donc, ces facteurs et paramètres sont liés à d’autres secteurs notamment l’expertise comptable, la conservation forestière. Mais ce qui retarde surtout, c’est quand le juge fait appel à ces expertises externes pour l’aider dans l’exécution de ses tâches. Ces experts, ce sont des personnes qui ont forcément un calendrier à eux et qui forcément impactent le calendrier de la justice. Mais on est en train de s’efforcer afin raccourcir l’examen pour que les procédures puissent connaître une certaine célérité.

Beaucoup de personnalités croupissent depuis plusieurs mois en prison sans être jugés. Selon une certaine opinion, plusieurs prévenus ne savent pas pourquoi ils sont poursuivis devant la CRIEF et que leur détention ne fait que se prolonger sans qu’ils ne soient jugés. Que dites-vous à ceux qui disent que certains prévenus ne devraient pas être en prison ?

C’est leur droit. Je respecte leur conception, je respecte leur position, leurs opinions. Mais la réalité est tout autre. C’est qui reste clair, un dossier ne reste pas en stagnation devant un juge. Non ! Ceux qui pensent qu’ils sont en prison et qu’ils ne savent pas pourquoi ils sont en prison, je regrette. Avant même que le juge ne procède à l’inculpation, il dira à la personne : vous comparaissez devant nous pour tels faits et tels faits, et l’intéressé répond. C’est en fonction de ses réponses données et les éléments que le juge a à sa disposition qu’il prend sa décision soit de le placer en détention, soit de le placer sous contrôle judiciaire ou de le remettre carrément en liberté.

Il y a toutes ces opérations. Ceux qui sont en détention, leur détention n’est pas en train d’être prolongée. Le juge est en train de travailler, aucun ne peut vous dire qu’il n’a pas vu le juge une seule fois au moins. Ils sont en train d’être interrogés, les témoins sont en train d’être auditionnés, la commission des experts est faite surtout dans beaucoup de dossiers. Ce sont des dossiers qui avancent. Mais comme je vous l’ai dit, nous sommes en matière d’enquêtes financières, ce sont plusieurs secteurs qui interviennent dedans.

Dans les dossiers notamment de Kassory Fofana et compagnie, la chambre de l’instruction a pris une ordonnance de mise en liberté de Kassory avec une caution de 3 milliards payables pendant un mois. Vous vous y êtes opposé. Vous craignez que cette libération impacte la manifestation de la vérité dans cette affaire ?

Ce sont les juges qui décident. Mais la Loi dit que le procureur a la possibilité d’intenter un recours contre toutes les décisions des juges. La Loi nous accorde cette possibilité. Donc, c’est ce droit-là que nous sommes en train d’exercer. Nous, nous estimons que les intéressés, les inculpés que les juges sont en train de mettre en liberté, non seulement le moment est inopportun dans l’enquête, mais les infractions économiques et financières portent atteinte gravement l’ordre public.

Et, lorsque l’ordre public est troublé par de telles infractions, moi je n’estime pas nécessaire que ceux qui font l’objet de ce genre de poursuites soient mis en liberté pour heurter encore la sensibilité de plus des citoyens qui en sont les véritables victimes à travers l’Etat. Donc, moi je pense qu’il y a inopportunité à ce que les inculpés soient mis en liberté. C’est pourquoi chaque fois que les juges pensent qu’il y a matière à ordonner leur liberté, moi j’exerce mes voies de recours et nous partons vers les instances supérieures.

Le procureur spécial près la CRIEF que vous êtes a pris une décision interdisant l’exercice illégal de la profession de pharmaciens et la fermeture des points de vente des produits médicaux non agréés. Qu’est-ce qui a prévalu à la prise de cette décision ? Où en est-on au jour d’aujourd’hui ?

C’est une décision normale. Parce que si vous prenez l’ordonnance qui crée la CRIEF, en son article 1er alinéa 3, l’ordonnance dit que les atteintes graves et massives à la santé publique rentrent dans les compétences de la CRIEF. Et les personnes qui manipulent les produits pharmaceutiques sans en avoir la compétence, les personnes qui ouvrent les structures clandestines de traitement, donc des pharmacies parallèles ou des structures médicales sans en avoir la qualité et la compétence ou bien l’autorisation préalable, nous, nous estimons que ces personnes violent non seulement la loi sur la pharmacie, mais aussi la loi sur l’exercice de la profession de médecin.

Alors, nous estimons que lorsque des non-professionnels manipulent les produits pharmaceutiques, lorsqu’un individu exerce illégalement la profession de médecin, nous estimons que ces personnes portent gravement atteinte à la santé publique. C’est pourquoi nous avons entamé ce combat. Parce que des gens avaient pensé que c’était un phénomène normal, alors que ce n’est pas du tout normal. Nous avons estimé qu’il fallait engager carrément le combat. Mais avant, nous avions appelé les professionnels de la pharmacie et les médecins pour voir ce qu’il faut faire dans ce sens.

Quel est l’état des lieux de la situation, qu’est-ce qu’on peut entreprendre comme action imminente ? Alors, les techniciens de la santé nous ont dit qu’on a la chance avoir dans chaque district un poste de santé. Ces postes de santé peuvent être valablement des points de vente des produits pharmaceutiques avec des spécialistes de la santé. Ainsi, nous avons mis en demeure la pharmacie centrale et la direction nationale de la pharmacie et des médicaments à l’effet de faire tout pour ravitailler les populations en produits médicaux et c’est ce qui a été fait. Dans toutes les régions administratives aujourd’hui, les médicaments sont arrivés.

Malgré cet approvisionnement dans les régions administratives, des voix s’élèvent à plusieurs niveaux pour dénoncer la rupture notamment dans les préfectures, les sous-préfectures et villages. Quelles sont les dispositions prises par l’Etat pour soulager les populations nécessiteuses à tous les niveaux ?

Ce sont des affabulations. Moi, je suis témoin oculaire de l’acheminement des produits médicaux et pharmaceutiques dans les chefs lieu des régions administratives. Peut-être qu’il y a eu un manque de communication autour de l’approvisionnement mais cela est effectif. J’ai appelé aussi le secrétaire général du ministère de la santé à prendre toutes les dispositions nécessaires afin que les populations soient informées de la disponibilité des produits dans leurs différentes localités. Mais la communication a manqué par endroits. Je suis en train de régler ce problème, c’est un aspect important.

L’autre question, c’est de savoir où en est le dossier Air Guinée avec Cellou Dalein, Mamadou Sylla et autres ? Est-il suspendu ou clos ?

Le dossier Air Guinée il n’est ni suspendu, ni clos. Moi, quand j’ai reçu le rapport du comité d’audit, mon travail c’est d’ouvrir le dossier pour que les juges fassent des investigations sur le dossier pour savoir qu’est-ce qui s’est passé. Donc, les juges ont reçu le dossier à travers un réquisitoire introductif, ils sont en train de travailler. Une convocation a été adressée à Mamadou Cellou Dalein, mais qui apparemment n’est pas sur le territoire national. D’autres concernés par le dossier ont été appelés, notamment Mamadou Sylla qui a été entendu et placé sous contrôle judiciaire pendant que d’autres sont en train d’être appelés. Donc, le dossier Air Guinée n’est ni classé, ni suspendu, il est en train d’évoluer et il connaîtra une suite judiciaire.

Interview réalisée par Mamadou Bhoye Laafa Sow Guineematin.com

Tél : 622919225

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