Cellou, Sidya, Dadis, Toumba : la version de Tiégboro sur le massacre du 28 septembre

Les débats de fond ont débuté, ce lundi 10 octobre 2022, dans le procès des événements du 28 septembre 2009. Et c’est le colonel Moussa Tiégboro Camara, ancien secrétaire général chargé des services spéciaux, de la lutte contre la drogue et le crime organisé, qui a été le premier à passer à la barre. L’accusé, qui a plaidé non coupable lors de la précédente audience, a comparu devant le tribunal ad hoc de Conakry pour livrer sa version des faits.
Décryptage !

Moussa Tiégboro Camara à la barre

« Aujourd’hui est un grand jour. C’est pourquoi, avant de parler du 28 septembre, je voudrais très sincèrement adresser mes condoléances les plus émues aux familles éplorées des victimes de cet événement malheureux. Que la terre de notre chère nation leur soit légère. Ce qui m’amène à dire qu’aucun citoyen n’a le droit de donner la mort à autrui.
Monsieur le président, je voudrais rapidement rentrer dans le vif du sujet.

Nous sommes le 28 septembre 2009. Comme à l’accoutumée, à 8 heures j’étais à mon bureau. Donc, j’ai pris mon garde corps, mon chauffeur, je partais chez moi à Dixinn. Arrivé vers Bambéto, j’ai vu un attroupement de personnes non hostiles, j’ai continué mon chemin. Vers Hamdallaye également, le même dispositif sécuritaire était là (les policiers), les gens étaient regroupés.

Il n’y a avait pas d’affrontement. Je suis allé chez moi. J’ai voulu prendre le déjeuner, mais chemin faisant, j’ai appelé l’un de mes hommes qui est le Colonel Blaise Goumou. Je lui ai dit : je viens à la maison. Mais, on me dit déjà, paraît-il, qu’il y a des attroupements devant Dixinn. Il me dit : je suis allé les sensibiliser, mais ce sont des gens qui n’ont pas compris le contenu des différents communiqués qui demandaient un report juste de cette manifestation pacifique pour la remettre soit le lendemain ou un autre jour pour des questions que vous connaissez…

Monsieur le président, c’est ainsi que je suis allé à domicile. Chemin faisant, j’ai trouvé un attroupement vers l’esplanade du stade du 28 septembre. Cet attroupement, vous avez une clé USB qui a été remise à mes avocats qui vont vous l’exhiber au moment venu. Si on peut le passer en ce moment, ça me ferait un grand plaisir… Comme tout le monde l’a vu et entendu, je suis descendu de ma voiture, les gens m’ont accueilli avec des applaudissements.

Cet enthousiasme m’a permis de m’adresser à ce monde. Je me suis adressé vers 10 heures aux gens, je leur ai dit ceci : laissez Dadis d’un côté, les leaders de l’autre, mais c’est la République qui gagne quand on est en paix. J’ai dit que l’applaudissement est compris, mais la solution était que nous soyons tous dans la dynamique de fêter ensemble les mains dans les mains. Je suis resté dans ça, il y avait un brouhaha.

Entretemps, j’étais avec le chef de quartier de Dixinn qui est cité d’ailleurs comme témoin. Entretemps, quelqu’un m’a dit que les leaders politiques étaient du côté du stade, du côté de l’Université Gamal. Au lieu de continuer à parler des gens, alors que ma voix ne portait pas, il était question alors d’aller vers les leaders pour m’adresser à eux. Je pense que sur les lieux, il y avait assez de journalistes. Je pense que les preuves sont disponibles en images aujourd’hui. J’ai été rencontrer les leaders.

Quand je suis descendu, j’ai vu sur place là-bas monsieur feu Jean Marie Doré qui provenait des lieux où il y avait les leaders. Ils étaient en réunion avec les leaders religieux. Je les ai rencontrés… Dans notre conversation, j’ai dit à mon grand frère Sidya Touré, les autres étaient simplement comme des observateurs : je pense que les communiqués qui ont passé, vous avez tous compris. Il (Sidya Touré) me dit : Oui, je viens d’être saisi que de Cosa à Hamdallaye jusqu’à Bambéto que tout a été complètement saccagé.

Les citoyens ont été vandalisés. J’ai dit que c’est extrêmement grave cela lorsqu’on a à faire avec des gens qui sont appelés à gérer ce pays un jour. Le grand frère Sidya m’a répondu que nous sommes dans une République, qu’on peut casser tout aujourd’hui et demain on peut reconstruire. J’ai dit : mais si on continue à casser de la sorte, je pense qu’on ne va pas s’en sortir. C’est sur ça que notre discussion a porté. J’ai demandé s’ils ont écouté les communiqués.

Il m’a dit que pour le moment, ils veulent faire une déclaration et s’en aller. On s’est compris. On s’est compris sur quoi ? Il était question de libérer tous ceux qui se sont rendus coupables des casses ce jour. Et, en contrepartie, eux ils reportaient, même si c’est demain. Parce que moi-même j’insistais pour reporter la manifestation, même si c’est pour le 29 septembre au stade de Nongo. J’ai dit que moi-même je vais vous accompagner.
Alors, j’ose croire qu’on s’était vraiment compris. Parce que la conclusion était que nous allons vers nos militants pour leur expliquer ce qui nous retient ici.

Mais, en contrepartie, il est question que tous ceux qui ont été arrêtés soient libérés. C’est Elhadj Cellou Dalein qui a posé cette question. J’ai dit que je ne sais pas si quelqu’un a été arrêté. Mais, pour des questions de paix, j’ai dit au policier qui étaient à côté de libérer ces gens qui avaient été arrêtés, si c’est ce qui peut amener la paix. Les gens ont été aussitôt libérés devant eux. Ainsi, moi je suis revenu chez moi rapidement prendre une douche. Après, je causais avec madame, j’ai dit à madame que ça ne va pas bien au terrain.

Je vais faire un engagement vers la CMIS. De passage à la CMIS, je n’ai trouvé personne. Chemin faisant, j’ai appris qu’un groupe de militaires étaient venus et que ce groupe de militaires a fait irruption au stade. La première question que j’ai posée était : est-ce que les leaders étaient au stade ? J’ai appris que les militaires n’ont pas pu convaincre les gens et qu’ils sont au stade. J’étais dans le dilemme. Est-ce qu’il faut jouer le rôle du soldat ou est-ce que si quelqu’un me dit Toumba est au stade avec ses hommes, est-ce qu’il faut risquer pour y aller ? J’étais obligé d’accepter de jouer le rôle du soldat.

Car la tenue, nous la portons dans le but de préserver la vie des autres, même si ça doit nous coûter la vie. Donc, c’est ainsi que j’ai dit à mon chauffeur de tourner. Je suis venu sur le terrain. En allant, je suis descendu de la voiture où se trouvaient policiers et gendarmes. Connaissant que Toumba et moi on ne se parlait pas. Et, pour cause, vous savez un jour, nous sommes en janvier, février 2009 quand le domicile d’Elhadj Cellou Dalein et sa femme a été l’objet de visite de pillages des bérets rouges, moi étant à l’époque chargé du grand banditisme, j’ai ouvert une enquête. L’enquête a abouti à quoi ?

Que c’était des bérets rouges régiment commando. L’enquête a continué et je crois que le parquet de Dixinn à l’époque ne dira pas le contraire. L’enquête a continué et nous avons arrêté 9 bérets rouges parmi les éléments de Toumba, parce que c’est lui qui était le commandant du régiment commando. Ça avait fait beaucoup de bruits à l’époque. Les gens ont dit de libérer les bérets rouges, sinon il va m’attaquer. J’ai dit : il n’a qu’à m’attaquer, parce que la loi c’est la loi. Alors, un jour, j’étais à Kamsar pour une mission d’identification des bateaux qui servaient de transport des drogues, c’est là-bas qu’on m’a appelé pour dire que si tu ne reviens pas aujourd’hui, le groupe de Toumba veut attaquer notre service.

J’ai demandé le pourquoi, ils m’ont dit qu’ils veulent libérer les 9 détenus qui sont en prison. J’ai automatiquement pris ma voiture pour rentrer ici la nuit. Et, le matin, je suis venu à mon bureau. Entretemps, vers 11 heures, il y a eu un accrochage entre les hommes de Toumba et mes hommes. J’ai pris ma voiture, je suis parti au camp. J’ai trouvé le capitaine Dadis qui m’a même appelé pour dire que ce tu vas faire pour ne plus que ça tire entre nous ici, je pense qu’il faut les libérer.

J’ai dit : non, je ne peux pas les libérer. Pour ne rien au monde je vais libérer ces gens là, parce qu’ils ont pillé chez un leader, un citoyen et qui n’a rien fait. Ça, ils se sont rendus coupables d’un fait répréhensible et il faut qu’ils aillent répondre devant la loi. Le capitaine Dadis s’est mis entre les deux groupes qui étaient en accrochage pour dire qu’on les libère ou pas, vos hommes n’ont pas bien fait. Mais, pour une question de stabilité, je vais les libérer. Mais, ils seront arrêtés après.

Je ne pouvais pas continuer à résister, c’est ainsi que les gens ont été libérés. Mais, contre mon consentement. Depuis ce jour, je pense que Toumba et moi on se regardait en chien défaillance. Trois jours après, c’est le Général Sekouba qui m’appelle, mon département à l’époque était vers Cosa, dans un bâtiment isolé dans la cour du régiment commando. C’est ici que le Général Sékouba m’appelle pour me dire qu’il faut qu’on se voie.

Je viens, le Général me dit : à partir de l’instant on a compris que toi avec ta procédure, vous ne pouvez pas vous comprendre avec nos éléments. Le mieux, il faut qu’on te fasse sortir de la cour pour aller vers Yimbaya, vous allez rester là-bas désormais. La façon d’aborder, j’ai compris que c’était vraiment une réalité, mais j’étais choqué. Parce qu’il ne peut pas me faire sortir du camp à cause d’un lieutenant, alors que moi j’étais capitaine, j’étais secrétaire d’Etat et je ne faisais que la procédure.

Mais, on m’a fait sortir. L’ordre a été donné par le commandant Général qui a aménagé l’endroit. Deux jours après, j’ai été ordonné de quitter la cour du régiment commando. De ce moment, jusqu’au 28 septembre, Toumba et moi, on ne s’est jamais dit bonjour. Parce qu’il y avait d’autres antécédents. Donc, monsieur le président, imaginez quand quelqu’un est dans cet état et qu’on dise que ce sont les mêmes éléments que tu as certainement arrêté un moment donné qui sont dans un stade ; et que dans ce stade, il y avait des coups de feu, et toi en tant que soldat, tu es appelé par un devoir pour secourir les gens.

Il faut être quelqu’un qui est rempli de patriotisme. C’est ainsi que je suis revenu sur le terrain. J’ai résisté pour rentrer au stade. J’ai pris des coups à la porte d’entrée. Je pense que la première personne que j’ai vu, c’est le frère Elhadj Cellou Dalein Diallo. C’était lui l’élément essentiel que je cherchais. Je me suis dit qu’il faut qu’on quitte ici. Je l’ai pris dans les bras, on marchait. À quelques 20 mètres de la porte d’entrée, j’ai vu Jean Marie Doré qui était en train d’être tabassée comme pas possible. J’ai dit au grand frère Cellou : attendez-moi. J’ai couru vers Jean Marie.

À quelques mètres de Jean Marie, il y a un jeune qui m’a frappé et qui m’a braqué l’arme. Mais, ça ne m’a pas démotivé. En ce moment, il y avait des jeunes gendarmes qui étaient derrière moi. Dans un mouvement de tohu-bohu où on peut perdre la vie à tout moment, j’ai foncé sur Jean Marie Doré, je l’ai pris. Si vous voyez ce jour, ma tenue était en sang. Mais, avant que je ne retourne, j’ai trouvé Elhadj Cellou en accrochage avec des gens.
Moi j’ai pris des coups des victimes. J’ai même été évacué deux fois au Maroc pour ça, parce que j’ai eu des maux de hanche. Donc, j’ai pris Dalein et on a continué. Mais, celui m’a donné le coup, je ne peux pas dire s’il était un béret rouge ou un béret vert.

Parce qu’il ne portait pas de béret. Je n’ai pas lâché les deux éléments. C’est chemin faisant que les Bah Oury et autres, je les ai pris ensemble, nous sommes partis. Ma voiture était déjà garée dans la cour. C’est ainsi qu’on est allé à l’hôpital Ambroise Paré. Pendant ce temps, j’ai vu un groupe de bérets rouges. En réalité, ce jour, mon cœur a vibré, je savais que si je tentais d’insister, ma vie pouvait y rester. Parce que les bérets rouges qui étaient venus ont dit de faire descendre Cellou. Il est descendu ; mais, après, on l’a fait remonter dans ma voiture pour quitter les lieux. Je faisais des stratagèmes dans ma tête. Je me disais où les envoyer ?

C’est ainsi que je les ai amenés au camp Samory, un endroit qui est bien sécurisé. J’ai dit aux médecins : mettez-les en soins d’urgence pour ne pas que quelque chose arrive à ces leaders politiques. Moi je me demandais où sont passés les autres leaders… C’est ainsi que je me suis retiré, je suis parti au camp où j’ai trouvé Toto et je leur ai fait le compte rendu », a longuement expliqué Moussa Tiegboro Camara.

Amadou Lama Diallo, Ansou Baïlo Baldé et Mohamed Doré pour Guineematin.com

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