Axe Bambéto-Kagbelen : le mal est très profond !

Mamadou Samba Sow

Par Mamadou Samba Sow : Depuis bientôt 20 ans, l’axe est soumis à une répression meurtrière de la part des différents régimes qui se succèdent à la tête de la Guinée. L’axe c’est un ensemble de quartiers de Conakry et Dubréka qui va de Hamdallaye à Kagbelen en passant par Bambéto, Cosa, Wanindara, Sonfonia et Baïlobaya. Cet ensemble est traversé par la route Leprince.

A chaque manifestation, des âmes innocentes tombent parfois à la fleur de l’âge. Que les mouvements de contestation soient politiques ou sociaux : retard des élections, délestages, hausses du prix du carburant à la pompe, la méthode est la même. On tire pour tuer et non pour dissuader.

Si l’identité des tireurs n’est pas connue, on sait tout de même qu’il s’agit d’éléments des forces de défense et de sécurité (police, gendarmerie et armée) déployés dans la zone pour dit-on maintenir l’ordre.

Sur les raisons de la flambée de violence sur l’axe, plusieurs analystes évoquent l’abandon de ce vaste territoire par les gouvernants. Il est très rare en effet de trouver sur place une école publique, un centre de santé, des routes bitumées et des espaces de jeux. Mais cette réalité est presque propre à toute la Guinée.

Les enfants de l’axe ne sont pas les plus affamés de la République. Les maisons de leurs parents sont généralement bien plus belles que celles de Bonfi, Dabondy, Dixinn, Hafia… Les forages et groupes électrogènes donnent à une partie l’indépendance en matière d’eau et d’électricité.

Du coup, l’argument lié à l’abandon tient peu. Il faut donc chercher les causes ailleurs.

Pour moi, l’INJUSTICE est la principale cause de ce qui se passe sur l’axe.

De Lansana Conté à Dadis Camara en passant par Sékouba Konaté, Alpha Condé, l’horizon est resté sombre sur l’axe. Il est difficile de dire combien de personnes sont tombées sous les balles de ceux qui devraient pourtant les protéger.

Face à toute cette injustice, les pouvoirs ont brillé par le refus de faire la lumière sur les cas d’assassinats. Ce manque de justice est la source de la radicalisation de la jeunesse.

Preuve que les populations de l’axe ne sont pas mauvaises comme certains le prétendent, elles applaudissent de manière naïve tout président qui arrive au sommet de l’Etat (à part Alpha Condé dont l’élection a contribué à aggraver les relations entre certaines communautés).

Le 05 septembre 2021, ces habitants de l’axe ont aussi ovationné le colonel Doumbouya et ses hommes pour avoir fait tomber Alpha Condé. Ils sont aussi allés à la mort car en sortant dans la rue ils ne savaient pas si une contre-offensive du patron du RPG n’était pas en préparation.

Un an après le coup d’Etat, l’impunité est garantie aux FDS car même avec les annonces d’enquêtes, d’autopsie, les crimes continuent et les auteurs sont loin d’être inquiétés.

Pour comprendre la révolte des jeunes de l’axe, il faut se mettre dans leur peau. Lorsque des agents débarquent dans votre quartier, frappent votre père, insultent votre mère en renversant la marmite qui est sur le feu et sur laquelle comptait la famille pour le repas, vous ne pourrez pas avoir un amour pour de telles personnes. Pire, si ces mêmes agents tirent à bout portant sur votre camarade, vous cessez automatiquement de les considérer comme frères.

Ce sentiment qui se développe renvoi aux relations très électriques entre jeunes Palestiniens et soldats Israéliens. La seule différence est qu’en Guinée, bourreaux et victimes sont de la même Nation.

Lorsque les mosquées, les cimetières et les concessions sont profanés, le repli sur soi s’installe. Ce n’est pas une question de victimisation mais de faits réels passés sous silence par ceux qui prônent la paix à travers le dialogue.

Aux USA, lorsqu’un policier blanc tire et tue un jeune noir, l’opinion américaine et mondiale condamne et les rues sont prises d’assaut par des manifestants qui demandent « plus jamais ça ! » Par contre en Guinée, on se permet de justifier les crimes sur l’axe avec des propos : ils sont violents ! Ils doivent arrêter d’aller à l’abattoir ! Pourquoi c’est toujours eux qui manifestent ?

De Conté à Doumbouya, à ma connaissance, les manifestations n’ont jamais porté sur le départ du président et même si c’était le cas, cela ne justifie pas la répression meurtrière.

Certes, depuis 1958 la violence d’Etat règne en Guinée. Chacune des régions a eu son lot de victimes mais la grande différence avec l’axe, c’est que les citoyens ne sont pas dans la résignation. Comme en Palestine, ils se disent, « un jour, ça finira par finir ! »

Aujourd’hui plus qu’hier, les guinéens ont besoin de se parler  mais cela ne sera possible que dans la sincérité. Tout projet de dialogue, de réconciliation construit sur le folklore s’écroulera.

Ceux qui ont encouragé Lansana Conté à s’éterniser au pouvoir ne sont que l’ombre d’eux-mêmes aujourd’hui. On peut bien citer Fodé Bangoura, Moussa Solano. Idrissa Chérif et compagnie qui garantissaient au président Dadis la stabilité de son pouvoir ont fini par disparaitre. Bantama Sow qui haranguait les foules et qui avait demandé de traquer tous ceux qui s’opposeraient au projet funeste de 3eme mandat pour Alpha Condé est maintenant dans la clandestinité.

Un jour, tout finira par finir !

Pour se réconcilier avec l’axe et au-delà avec tous ceux qui ne se reconnaissent plus dans la gouvernance actuelle et même celles passées, il faut :

1-Lutter contre l’impunité en faisant toute la lumière sur les multiples cas d’assassinats : cela passe par l’identification des auteurs des crimes, l’organisation de procès pour situer les responsabilités,

2-Autoriser et encadrer les manifestations,

3-Indemniser les victimes de pillage, de destruction de biens,

4-Promouvoir l’emploi des jeunes en soutenant les initiatives,

5-Mettre fin au harcèlement des leaders d’opinion et accepter de parler des questions d’intérêt national avec les véritables acteurs.

Pour finir, le président de la transition doit s’éloigner de tous les vendeurs d’illusion qui peuvent lui faire croire qu’ils sont capables d’acheter les consciences sur l’axe à coup de billets de banques. Par  ces actes, ils ont contribué à agenouiller les régimes passés.

Mamadou Samba Sow, journaliste

Tél. : 664 68 3 94/622 02 05 65

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