Guinée : de l’aggravation de l’insécurité alimentaire à une croissance économique sans prospérité

Safayiou DIALLO, économiste

Comme à l’accoutumée, les services du Fond Monétaire International (FMI) viennent d’achever une mission au titre de l’article IV de l’année 2022. Au cours de ladite mission, la Guinée a conclu avec les autorités du FMI un accord des services pour une assistance financière de 69 millions de dollars à travers le Guichet pour les Chocs Alimentaires de la Facilité de Crédit Rapide. A la lecture des conclusions préliminaires de la mission du FMI paru dans son communiqué de presse du 23 novembre 2022, il ressort deux (2) points fondamentaux qui ont attiré notre attention. 

Le premier élément porte sur l’aggravation de l’insécurité alimentaire depuis le début de l’année 2022, avec un nombre important de personnes en situation d’insécurité sévère qui risque d’atteindre un taux record de 11% d’ici la fin de l’année. A en croire le FMI, cette situation trouverait son explication dans la hausse des prix internationaux. Force est de rappeler qu’en 2018, la proportion des personnes touchées par l’insécurité sévère était de 2,4% soit 272 585 personnes suivant les résultats d’une enquête portant sur l’Analyse Globale de la Vulnérabilité, de la Sécurité Alimentaire et de la Nutrition. Cette même enquête a révélé qu’au total 21,8% des ménages guinéens étaient en situation d’insécurité alimentaire en 2018, soit 2 459 419 personnes.  Selon le FMI, les prix locaux des engrais ont augmenté de plus de 300 pour cent occasionnant ainsi la baisse de la récolte. D’où l’aggravation de l’insécurité alimentaire comme indiqué ci-dessus. A cela s’ajoute la hausse des importations de produits alimentaires suite à la crise mondiale orchestrée par le Covid-19 et la Guerre en Ukraine.

Et pourtant, la Guinée dispose de 6,2 millions d’hectares de terres cultivables dont 25% seulement sont cultivés annuellement. Le potentiel de terres irrigables est également estimé à 364 000 ha dont 30 200 ha actuellement aménagées selon le rapport de la FAO de 2014. Malgré ces potentialités, la Guinée reste encore prédominée une insécurité alimentaire sévère qui ne fait que gagner du terrain.

De plus, au cours de la décennie écoulée, la croissance moyenne annuelle enregistrée par le secteur agricole tourne autour de 4%. A notre entendement, cette insuffisance trouverait son explication dans la politique économique menée jusque-là par l’Etat guinéen. En examinant la Loi de Finance 2022, l’on constate avec regret que la part du budget allouée au secteur agricole ne représente que 4,6% contre 7,2% dans le budget 2018 (suivant la déclaration de Maputo de 2003, l’Union Africaine a engagé tous ses Etats membres à accroître leurs investissements dans le secteur de l’agriculture, à hauteur au moins de 10% de leur budget national) contre à minima 15% dans la sous-région ouest africaine. Ce qui est à notre sens déplorable car, tous les économistes du monde entier sont unanimes que l’agriculture est la pierre angulaire du développement et l’industrie son moteur.

L’insuffisance de politique agricole fiable et la faible part du secteur agricole dans le budget de l’Etat constituent non seulement un frein au développement de ce secteur mais aussi et surtout, explique à notre sens l’insécurité alimentaire dans laquelle se trouve les ménages guinéens. Toutefois, nous osons espérer que les dispositions idoines seront prises par le Gouvernement de transition notamment le Ministre de l’Agriculture et de l’Elevage qui a parcouru tout le pays en vue de toucher du doigt la triste réalité de nos populations vivant dans les zones rurales qui semblent délaissées à eux-mêmes.

Le second point de notre analyse porte sur la revue à la baisse par le Fond Monétaire International, de la croissance économique de la Guinée qui devrait se chiffrer à 4,7 % en 2022, tirée par la poursuite de la vigueur du secteur minier (FMI, communiqué de presse parut le 23/11/2022). Cette revue à la baisse d’un point de notre taux de croissance prévisionnelle conforte notre position car au mois de février 2022, nous avions conseillé les nouvelles autorités du pays de la ramener ne serait-ce qu’à mi-parcours à 3%. Les raisons qui nous avaient poussées à prendre cette position à travers un article diffusé sur la presse en ligne était due à l’absence d’un bouclier antichocs exogènes mais aussi la prise en compte des nombreuses incertitudes liées à la fois aux contextes national et international d’alors. Quel que soit le taux de croissance que nous obtiendrons en 2022, nous pensons à notre for intérieur, que nous ne devons pas nous réjouir des taux de croissance tirés uniquement par notre secteur minier pour plusieurs raisons :

Premièrement, c’est une croissance appauvrissante donc sans prospérité car fondée la vente des matières premières sur lesquelles nous n’avons aucun contrôle sur l’évolution du prix. Ceci pourrait expliquer en partie la chute drastique de la croissance économique de notre pays suite à la variation erratique ces mêmes matières premières.

Deuxièmement, c’est une croissance à forte intensité capitalistique. En d’autres termes, l’industrie emploie plus du capital que de la main d’œuvre. Du coup, elle ne nous permet point de tendre vers le plein emploi des facteurs de production notamment le travail.

Troisièmement, cette même croissance n’est en aucun cas redistributive compte tenu de la faiblesse du taux de pression fiscale qui tournerait autour de 13,9% en 2022 (cf. loi de finances de novembre 2021) contre près de 40% pour la Tunisie et plus de 60% au cours de la même année pour certains pays à revenus intermédiaire et élevé. Ce qui signifie que la richesse crée par l’Etat guinéen ne retourne pas à son niveau pour lui permettre de faire face au financement des projets de développement économique et social.

Pour pallier à cette situation, nous préconisons une fois encore une fois la transformation structurelle de notre économie. Cette mesure permettra à moyen et à long termes d’augmenter la résilience économique et sociale de la population guinéenne, tant du côté de la demande que de l’offre et offrir ainsi au peuple de Guinée les meilleures opportunités en matière de santé, d’éducation, de formation mais aussi et surtout créer des opportunités d’emplois notamment pour les jeunes en quête d’un travail rémunéré…

Safayiou DIALLO, Economiste

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