Guinée : Alseny Sall de l’OGDH regrette « la restriction des libertés et la non application des lois »

Alseny Sall, chargé de communication OGDH

La problématique du respect des Droits de l’homme se pose toujours avec acuité dans le monde. La célébration de la journée mondiale des Droits de l’homme, instituée par les Nations-Unies, vient rappeler les immenses défis à relever dans ce domaine. En Guinée, si cette célébration coïncide avec la tenue du procès du massacre du 28 septembre 2009, il n’en demeure pas moins que les autorités de la transition sont accusées de restreindre les libertés publiques avec en toile de fond l’emprisonnement de plusieurs acteurs politiques et de la société civile. Une situation que dénonce Alseny Sall, Chargé de communication de l’Organisation Guinéenne de Défense des Droits de l’Homme et du Citoyen (OGDH), dans un entretien accordé à Guineematin.com, dans la journée d’hier, vendredi 09 décembre 2022.

« En Guinée, il faut le reconnaître, ce mois de décembre coïncide avec l’ouverture du procès sur les événements du 28 septembre. Pour nous, c’est un signal positif en termes de droits de l’homme parce que comme vous le savez, ça faisait 13 ans que nos organisations (l’OGDH, la FIDH et l’association des victimes) travaillaient pour obtenir justice dans ce dossier. Donc, tout ça pour nous, il faut le mettre sous le crédit des autorités actuelles de la transition. C’est quelque chose qu’il faut saluer et encourager parce que pour nous, l’impunité c’est le terreau du crime. Aussi longtemps qu’on ne prendra pas de dispositions pour faire face à nos responsabilités en matière judiciaire, des situations comme ça vont perdurer. Donc ce point de vue c’est quelque chose de très positif qu’il faut mettre au compte des autorités actuelles », dit d’entrée Alseny Sall.

Malgré ce signal positif, le Chargé de communication de l’OGDH n’a pas manqué de rappeler le contexte actuel, marqué par une « restriction » des libertés individuelles et collectives. « Comme vous le savez, depuis un certain temps, il y a cette interdiction systématique du droit de manifestation que nous déplorons parce que la charte de la Transition, en son article 8, garantit ce droit. Donc pour nous, c’est quelque chose que les autorités de la transition devraient corriger pour que tout ça aille dans le bon sens. Bien-sûr, dans une certaine mesure, on peut interdire les manifestations ; mais pour nous, l’interdiction systématique est une violation en soi des droits de l’homme. Les interdictions doivent se faire au cas par cas et motivées, c’est ce qui peut nous aider. Et de l’autre côté, il y a des militants pro-démocratie, notamment qui ont exprimé leurs opinions sous la gestion de la transition qui, à cause de cela, sont aujourd’hui arrêtés et détenus. Je parle notamment d’Oumar Sylla (Foniké Mengué), d’Ibrahima Diallo ainsi que du doyen Saïkou Yaya Barry qui est sous contrôle judiciaire. Ces personnalités qui ont joué un rôle dans la lutte contre le 3ème mandant d’Alpha Condé sont des détenus d’opinion pour nous. Et très malheureusement, ils sont détenus ça fait plusieurs mois maintenant, ils ne sont pas jugés et tout ceci est encore plus grave d’autant plus que la plupart du temps, ils se plaignent de problèmes de santé. Donc, sachant les conditions de détention dans nos maisons d’arrêt, nous pensons quand même que c’est une situation qui doit être corrigée pour améliorer les droits de l’homme », a dit Alseny Sall.

En ce qui concerne les cas de morts enregistrés lors des manifestations, Alseny Sall pense que les autorités n’ont tout simplement pas la volonté de mener les enquêtes pour rendre justice. « Le problème est qu’on ne fait pas respecter les lois. Si vous prenez la loi sur les manifestations publiques, il faut d’abord préciser que les lois guinéennes n’interdisent pas l’usage des armes à feu à l’occasion des manifestations, mais il y a des circonstances qui sont prévues par la loi. Elles sont d’abord utilisées en dernier recours et lorsqu’un agent de force publique fait usage d’une arme à feu à l’occasion d’une manifestation et de maintien d’ordre public, il doit faire un rapport d’incident sur le champ à l’autorité hiérarchique. Vous imaginez si tous ces agents qui faisaient usage d’armes à feu à l’occasion des manifestations faisaient ces rapports, ce serait le point de départ des enquêtes. Vous imaginez les balles que nous entendons crépiter à l’occasion des manifestations, surtout le long de l’Axe Le Prince ? Toutes ces balles-là sont utilisées mais ce n’est jamais justifié. Aussi longtemps qu’on ne va pas appliquer la loi, l’armée est une institution très organisée, lorsqu’il y a manifestations on connaît le nombre de policiers et gendarmes qui sont déployés, les munitions, les types d’armes, les endroits (où ils sont déployés), on connaît tout. S’il y a de la volonté de situer les responsabilités quand il y a incident à l’occasion des manifestations, c’est très simple. Nous pensons qu’il y a ce manque de volonté qui persiste très malheureusement et après, quand nous les ONG et vous les médias, on dénonce des situations de ce genre, finalement on nous sert l’ouverture d’une enquête mais vous allez voir au bout qu’il n’y a jamais eu d’enquête. Il n’y a pas d’enquêtes sérieuses. Après, il faut que cela cesse », martèle-t-il.

Pour ce qui est de la moralisation de la gestion publique, Alseny Sall salut la mise en place de la Cour de répression des infractions économiques et financières (CRIEF) même si ses méthodes laissent à désirer. « Si nous regardons aussi la question de la moralisation de la vie publique en Guinée, évidemment l’initiative est bonne en soi parce que, comme vous le savez, la gabegie financière et les détournements de deniers publics étaient devenus monnaie courante chez nous avec les régimes précédents. Maintenant, le CNRD voudrait vraiment changer cette donne. Donc, la mise en place de la CRIEF a été saluée par tous les guinéens de tous les bords, mais aujourd’hui, ce qui préoccupe avec elle, c’est la méthode, c’est sa stratégie, c’est la violation des règles de procédure, c’est la violation de la présomption d’innocence et c’est la détention abusive des personnes qui sont poursuivies sans procès. Donc voilà autant de questions qui inquiètent ».

En outre, Alseny Sall n’est pas d’accord avec la junte qui n’a jusque-là pas déclaré ses biens. « Nous sommes à plus d’un an de gouvernance et ils veulent moraliser la vie publique, ils n’ont pas fait la déclaration de leurs biens. Et pour nous, l’exemple devrait venir d’en haut et l’imitation d’en bas. Lorsque vous voulez changer, il faut donner l’exemple à tous les guinéens, mais malheureusement nous sommes à plus d’une année, il y a même eu un changement de Premier ministre et de gouvernement, mais jusqu’ici, il n’y a pas de déclaration de biens. Tout ça pour nous est en porte-à-faux avec l’engagement de faire bien les choses. Cela dit, il y a des efforts, mais ils sont vraiment à revoir », martèle ce membre de l’OGDH.

Mamadou Yahya Petel Diallo et Ibrahima Diallo pour Guineematin.com

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