Dans un entretien accordé à Guineematin.com ce vendredi, 06 janvier 2023, le directeur exécutif d’Amnesty international Guinée a fait le point sur la situation des droits humains en 2022 en Guinée. Souleymane Sow soutient qu’il a eu des avancées, mais il précise que le tableau est encore sombre par endroit. La violation de la liberté d’expression et de la liberté d’association est notamment l’une des situations que déplore ce défenseur des droits humains. Mais, il a aussi évoqué quelques difficultés rencontrées dans l’exercice de leurs activités, avant de parler des perspectives pour l’année 2023.
Décryptage !
Guineematin.com : Que pensez-vous de la situation des droits humains en République de Guinée en 2022 ?
Souleymane Sow : on ne peut pas dire que tout est blanc, ou tout est noir. Ce n’est pas comme ça que ça marche avec les droits humains. Il faut signaler d’abord qu’il y a eu des avancées en 2022, parce qu’il y a eu par exemple l’ouverture du procès des événements du septembre. Évidemment, c’est une chose que nous avons saluée. Nous encourageons la poursuite de ce procès pour que justice soit rendue, pour que les Guinéens sachent ce qui s’est passé en 2009.
Donc, cela est une très bonne avancée. Il y a eu aussi le passage de certains textes de lois au CNT. Comme exemple la loi protégeant les victimes, les témoins des violations des droits humains. C’est aussi une avancée qu’il faut reconnaître et mettre à l’actif les nouvelles autorités. Et, il y a aussi ce que nous nous avons constaté, c’est quand même cette ouverture. En tout cas nous nous avons pu rencontrer pas mal de ministres, des agents de l’État pour discuter de certains sujets, soulever notre préoccupation. Il y a eu des engagements, il y a eu des discours. C’est une chose que nous en félicitons et nous encourageons les nouvelles autorités.
Après, il y a eu évidemment des difficultés des parties où par contre on espère que les choses vont changer. C’est par exemple sur l’espace civique, la liberté d’expression et de manifestations que nous avons malheureusement constaté. Il y a des reculs. Cette décision des nouvelles autorités d’interdire toutes les manifestations à travers tout le territoire, pour nous, est inconcevable et ça viole le droit international, tous les engagements de la Guinée. Et donc, on ne peut pas interdire toutes les manifestations sur l’ensemble du territoire. Et puis, il y a eu aussi cette dissolution du FNDC. On ne peut pas prendre un simple arrêté comme ça pour dissoudre une organisation de la société civile. Il faut aussi reconnaître qu’il y a pas mal de journalistes qui ont été soit arrêtés ou des émissions suspendues, des convocations de certains journalistes notamment dans les camps militaires. Et tout cela évidemment ne favorise pas la liberté d’expression, la liberté d’association et de réunions pacifiques. Donc, on a des points positifs, mais le tableau est sombre à ce niveau, notamment les libertés fondamentales.
Nous Amnesty, au cours de l’année 2022, on a pu mener pas mal d’activités. Nous avons sorti par exemple un rapport sur les violences sexuelles, notamment les cas de viols. Et nous avons constaté sur le terrain qu’il y a beaucoup de viol, mais ce qui fatigue, c’est les difficultés des victimes et des parents des victimes pour avoir justice. Quand une personne est victime de viol, les premières difficultés, c’est par exemple l’arrêt justement de sa plainte ou aller voir un médecin légiste pour avoir le certificat médical. Et ça rend la procédure très complexe et difficile, et surtout qu’il y a un problème de chiffre. Vous avez le chiffre à l’OPROGEM. Vous avez d’autres chiffres à la brigade de la gendarmerie, vous avez d’autres chiffres au niveau de la médecine légale, vous avez des chiffres au niveau de la justice. Et, aucun service ne communique, de sorte que l’analyse de ces chiffres devient très complexe. C’était une des difficultés à ce niveau. À la sortie de ce rapport, nous avons pu rencontrer le ministre de la justice, le ministre de la sécurité, le ministre de l’éducation nationale, le ministre de la santé pour soulever nos préoccupations et nous avons émis des recommandations. Nous espérons que les nouvelles autorités vont prendre ces recommandations pour que les questions puissent avancer surtout que les victimes de viol bénéficient de justice, surtout une prise en charge sanitaire. Parce que c’est quand même le premier point.
En dehors de ça, Amnesty mène beaucoup d’activités sur le terrain. Nous faisons beaucoup de campagnes qu’on appelle éducation aux droits humains. On fait des sensibilisations. Nous allons dans des écoles pour parler des droits humains, notamment présenter la convention des droits de l’enfant, parler de la déclaration universelle des droits de l’homme pour sensibiliser à cette culture, de la citoyenneté au niveau des élèves. Mais aussi nous organisons des sessions de formation pour les journalistes ou pour d’autres personnes sur les mécanismes du droit international, sur la protection, sur d’autres sujets en tout cas en lien avec les droits humains. Mais, on implante plus d’activistes des défenseurs des droits humains. Nous avons des membres un peu partout à travers le pays, nous avons des antennes à l’intérieur du pays. Tout ça, c’est des activités que nous faisons. En plus, il y a des travaux de plaidoyer que nous faisons, des rencontres par exemple avec les membres du CNT, on organise les ateliers (…) avec les honorables conseillers.
Guineematin.com : quelles sont les difficultés que vous avez rencontrées dans l’exercice de vos activités ?
Souleymane Sow : Très souvent en Guinée, il y a cette distance. Maintenant ça va beaucoup cette année, les déplacements, les routes ça va beaucoup mieux. Mais, parfois c’est difficile de rencontrer certaines personnalités, d’avoir certaines autorisations. Et, cette restriction des manifestations fait que quand vous allez à l’intérieur du pays (…), on n’arrête pas de demander des agréments et alors on ne délivre pas actuellement d’agrément. Globalement, dans l’année, nous avons pu mener sans trop de difficultés nos activités. Ce qui fait d’ailleurs qu’on a obtenu certains résultats, même si par ailleurs d’autres résultats notamment la libération des prisonniers d’opinion, Foniké Manguè et Ibrahima Diallo, nous n’avons pas réussi à obtenir notre action urgente que nous avons lancée au niveau des nouvelles autorités. On n’a pas été entendu à ce niveau.
Guineematin.com : quelles sont vos perspectives pour l’année 2023 ?
Souleymane Sow : en 2023, suite à la sortie du rapport sur les violences sexuelles, nous allons lancer une campagne, en partenariat avec d’autres organisations de la société civile guinéenne qui travaillent sur le sujet, pour parler des violences faites aux femmes. Donc, il y a cette campagne qui va être lancée et nous espérons avoir des résultats pour que ça soit effectif. Que quelqu’un, victime d’une quelconque violence ou autres puisse porter gratuitement une plainte dans un commissariat sans qu’on ne lui réclame quoi que ce soit, qu’on ne lui oblige pas d’avoir un certificat médical parce que vous êtes victime de viol avant de déposer votre plainte. Et, on demande aussi à ce que des victimes puissent bénéficier d’une prise en charge médicale, que surtout la Guinée révise certains textes de lois aussi. Notamment qu’il y ait une loi spécialement par exemple sur les cas de viol. Et, nous nous battons aussi pour d’autres perspectives 2023. Nous espérons que la Guinée va se doter d’une loi portant promotion et protection des défenseurs des droits humains. Et, nous espérons aussi que la Guinée va enfin réviser la loi régissant les associations pour clarifier le rôle et le fonctionnement et surtout pour libéraliser les agréments pour les associations. Nous espérons également que les autorités mettront la lumière sur tous les cas de morts lors des manifestations, que les coupables soient poursuivis pour que justice soit rendue. Et, nous espérons que les autorités vont lever cette interdiction de manifestation et que les citoyens vont profiter de leur liberté.
Entretien réalisé par Kaïn Naboun Traoré de pour Guineematin.com
Tél. : 00224 621144891