Abdoulaye Oumou Sow du FNDC : « ceux qui sont au pouvoir aujourd’hui ne méritent plus de nous diriger »

Abdoulaye Oumou Sow, responsable de la communication du FNDC

Le responsable de la communication du Front national pour la défense de la constitution (FNDC), Abdoulaye Oumou Sow, vit dans la clandestinité depuis un peu plus de cinq mois. Lui et certains de ses camarades activistes sont menacés de poursuites judiciaires par les autorités de la Transition, alors que leur seul crime a été d’exiger un retour rapide à l’ordre constitutionnel en Guinée. Ils vivent cachés, coupés de leurs quotidiens et de leurs familles. Mais, ils ne désarment pas pour autant dans la lutte pour la démocratie et l’Etat de droit en Guinée.

Dans un entretien accordé à Guineematin.com ce lundi, 09 janvier 2023, Abdoulaye Oumou Sow a évoqué la nécessité pour le FNDC de poursuivre ce noble combat pour « une société juste et équitable » dans laquelle chaque Guinéen peut jouir de ses droits en toute tranquillité. Il a aussi alerté sur la manière dont la Guinée est actuellement gérée par le CNRD et les dérives (détournement, trafic de drogue, violation des droits de l’homme…) en cours dans le pays. Abdoulaye Oumou Sow assure que « la Guinée est en danger » et alerte sur le fait que « ceux qui sont au pouvoir aujourd’hui ne méritent plus de nous diriger ».

Décryptage !

Guineematin.com : Que pouvez-vous nous dire de votre vie en clandestinité à laquelle vous êtes contraints depuis un peu plus de cinq mois par le CNRD, la junte militaire au pouvoir en Guinée depuis le 05 septembre 2021 ?

Abdoulaye Oumou Sow : C’est une situation que nous traversons avec beaucoup de philosophie. Vous savez que quand vous vous engagez dans une lutte pour la démocratie, l’Etat de droit et la justice dans votre pays, vous devez faire face à beaucoup de difficultés. D’autant plus que c’est un pays où il y a plus de prédateurs de démocratie et de droits humains. Donc, c’est évident que ceux qui se battent pour cette bonne cause (la démocratie) vont subir le martyr de la lutte qu’ils mènent. Vous constaterez que ce mardi (10 janvier 2023) il sera 165 jours depuis que nous sommes entrés dans la clandestinité, mais également depuis que nos camarades (Oumar Sylla, alias ‘’Foniké Menguè’’ et Ibrahima Diallo) ont été arrêtés et emprisonnés de façon injuste, tout simplement parce qu’ils ont émis leurs opinions par rapport à la gestion du pouvoir par le CNRD et ont réclamé un retour rapide à l’ordre constitutionnel. Parce que nous avons pu mener trois années de lutte contre monsieur Alpha Condé, pour ne pas qu’il se présente à un troisième mandat, pour que la démocratie demeure dans notre pays, pour que l’alternance soit une réalité, pour que les populations soient les seules personnes à pouvoir choisir leurs dirigeants. Ainsi, nous avons vu venir cette junte militaire (le CNRD) par un coup de force, elle avait promis de nous ramener vers l’ordre constitutionnel, de ne reprendre les erreurs du passé. Mais, aujourd’hui fait pire, elle est devenue plus prédatrice des droits humains que le régime précédent. Et, nous le vivons avec beaucoup de philosophie, comme je vous le disais tantôt. Nous pensons que la lutte mérite d’être menée, malgré les sévices que nous subissons. Et, c’est pourquoi nous tenons encore bon.

Guineematin.com : Est-ce que vous vous attendiez, au lendemain du 05 septembre 2021, que le CNRD vous contraigne à vivre dans la clandestinité ?

Abdoulaye Oumou Sow : C’est une surprise, mais pas forcément une surprise désagréable, d’autant plus que nous nous étions déjà préparés à cela. Vous comprendrez qu’à l’avènement du CNRD [le 05 septembre 2021], nous avions plaidé pour que les militaires comprennent qu’ils ont pris le pouvoir, mais que le pouvoir reste celui du peuple et qu’il faille tout faire pour que des élections soient organisées pour que le peuple choisisse ses dirigeants du sommet à la base. Malheureusement, ce n’était pas l’intention des militaires. Leur intention était que nous, en tant que FNDC qui avons combattu pour un changement de régime, venions avec eux et dirigions le pays comme bon leur semble et sans pour autant passer par un suffrage. C’est ce que nous avons refusé et c’est ce que nous allons toujours refuser. Parce que nous estimons que le combat que nous menons, nous ne le menons pas pour pouvoir être au pouvoir, mais nous le menons pour avoir une société juste et équitable, où les droits de chaque Guinéen pourront être reconnus. C’est d’ailleurs ça le crédo de notre lutte depuis le lancement du FNDC le 03 avril 2019. Nous avons toujours pensé que malgré la prise du pouvoir par les militaires, il fallait être une sentinelle, ce chien de garde de la démocratie pour un retour à l’ordre constitutionnel. Et, je pense que c’est ce que les militaires refusent. Parce que leur intention, c’est de ne pas rendre le pouvoir au peuple. Ils veulent diriger le pays par la force des baïonnettes et ça ne marchera pas.

Guineematin.com : une vie dans la clandestinité suppose que vous vous séparez de votre quotidien et de votre famille. Alors, comment vous vivez actuellement ?

Abdoulaye Oumou Sow : Nous vivons avec un grand soutien de la famille. Vous savez qu’il n’y a pas de plus fort que le soutien moral et le pardon de la famille. Vous savez, ce que nous subissons aujourd’hui, nous nous étions déjà préparés à cela. Mais, la famille n’y était pas préparée et elle vit cela avec beaucoup d’angoisses, beaucoup de nostalgie et de peine. Mais, nous essayons de leur expliquer le bien-fondé de ce que nous faisons. Nous savons que nous leur faisons énormément de tort, mais nous estimons que c’est un sacrifice qu’il va falloir faire pour la patrie. Et, nous espérons qu’ils pourront nous le pardonner un jour.

Guineematin.com : est-ce que vous avez aujourd’hui des nouvelles de vos camarades, Oumar Sylla, alias ‘’Foniké Menguè, et Ibrahima Diallo, qui sont en prison ?

Abdoulaye Oumou Sow : Oui. Nous parlons chaque fois avec eux, par l’intermédiaire des familles qui leur rendent visite. Et, nous avons toujours leur encouragement. Comme eux-mêmes sont en train de le dire : nous sommes en clandestinité, nous vivons plus le martyr qu’eux, mais ils pensent que le combat mérite d’être mené et que nous devons tenir bon. Et, nous aussi nous pensons qu’ils subissent plus que nous, parce qu’ils n’ont pas cette petite liberté que nous avons. Donc, vous voyez bien que chacun de nous partage la peine de l’autre et nous estimons que la lutte mérite vraiment d’être menée.

Guineematin.com : Qu’avez-vous à dire aux Guinéens aujourd’hui sur cette lutte que vous menez et qui vaut cette clandestinité que vous vivez actuellement ?

Abdoulaye Oumou Sow : Je dis tout simplement au peuple de Guinée que la lutte que nous sommes en train de mener est la tienne et que chacun devrait la mener de son côté. Parce que si chacun met son sien, nous allons vite remettre le pays sur les rails, sur l’ordre constitutionnel. La détermination de chaque citoyen compte dans cette lutte et chacun devrait penser à quel sacrifice il devrait faire pour ce pays. Parce que nous pensons que si les lois sont respectées, l’Etat de droit est respecté et que la justice est véritable la boussole, chacun d’entre nous pourra vivre son quotidien et pourra mener à bien sa vie dans notre pays. Mais, tant qu’il y aura l’injustice, le népotisme, le clientélisme, certains Guinéens subiront un grand tort.

Guineematin.com : Aujourd’hui, quelle lecture faites-vous de la Transition guinéenne ?

Abdoulaye Oumou Sow : Nous pensons que le pays est en danger. Aujourd’hui, la Guinée, c’est comme quand vous prenez un boucher et vous l’amener dans un bloc opératoire. Nous avons une armée qui s’est réveillée un bon matin, avec la force des armes, et qui est partie arracher le pouvoir sans aucune notion de gestion du pouvoir. Et donc, aujourd’hui c’est l’amateurisme, l’incompétence, le clientéliste et le népotisme qui gèrent la Transition guinéenne. Et, nous sommes désolés de constater que, malheureusement, le pays est en train de devenir une plaque tournante de trafic de drogue. Il y a des détournements un peu partout, mais il y a aussi un groupuscule de personnes qui est en train de s’accaparer des ressources de tous les Guinéens. Et, malheureusement, les militaires sont en train de s’armer davantage pour pouvoir conserver le pouvoir. Et c’est pourquoi je disais tantôt que les populations devraient prendre leur destin en main pour que la somme des efforts de chaque citoyen puisse ramener le pays vers l’ordre constitutionnel. Sinon, si nous continuons comme ça pendant une année, ce pays n’existera plus en tant qu’Etat, il ne représentera plus une nation. Il sera un pays de sectes, de groupes et de clans. Et, ce n’est pas ce que nous souhaitons.

Guineematin.com : Pensez-vous que la CEDEAO est suffisamment impliquée pour une bonne gestion de la Transition et un retour rapide à l’ordre constitutionnel en Guinée ?

Adoulaye Oumou Sow : Vous savez, les institutions internationales, que ce soit la CEDEAO ou autres, ne sont que des principes. Le véritable combat doit être mené par les citoyens, parce que c’est eux qui sont sur le territoire guinéen. C’est à eux de réclamer leurs droits dans la portion du territoire qu’ils occupent et de prendre leur destin en main. Les institutions internationales ne viendront qu’en appoint pour aider la lutte citoyenne sur le territoire. Parce que vous savez que ces institutions sont gouvernées par des présidents qui ont leurs propres problèmes chez eux. Donc, il est important que les citoyens guinéens, que nous prenions d’abord nos responsabilités. Nous avons des amateurs à la tête de l’Etat et ils ne comprennent pas les enjeux internationaux. Ils veulent se mettre tout le monde à dos et ils pensent que c’est simplement par les armes qu’il faut s’imposer. Donc, la CEDEAO n’est pas écoutée, elle n’est pas respectée. Et, la Guinée est en train d’être balkanisée. Malheureusement, ce sont les populations qui vont en subir les conséquences.

Guineematin.com : Que compte faire le FNDC pour contraindre le CNRD à recadrer la Transition afin qu’elle débouche sur des élections crédibles pour un retour apaisé à l’ordre constitutionnel ?

Abdoulaye Oumou Sow : Nous y travaillons déjà. Vous savez que nous avons nos antennes dans les préfectures et sous-préfectures du pays, mais aussi dans les régions. Nous avons le responsable des antennes qui est en train de tourner et qui a eu des contacts avec tous nos représentants. Donc, nous espérons que d’ici la fin du mois de janvier qu’il y aura une prise de responsabilité de l’ensemble des forces politiques et sociales du pays pour qu’on mette ensemble les actions pour pouvoir agir afin de permettre le retour à l’ordre constitutionnel. Et nous y travaillons. Et, nous pensons que dans les prochains jours les populations prendront leurs responsabilités. Parce que nous estimons que ceux qui sont au pouvoir aujourd’hui ne méritent plus de nous diriger, parce qu’ils n’ont plus aucune légitimité.

Entretien réalisé par Mamadou Baïlo Keïta pour Guineematin.com

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