Guinée : les premières victimes du régime d’Alpha Condé auditionnées à la cour d’appel de Conakry

Comme annoncé dans une de nos précédentes dépêches, les premières victimes et familles  de victimes du régime de l’ancien président Alpha Condé ont été entendues par les Officiers de police judiciaire (OPJ) dans le bâtiment qui abrite le procès du massacre du 28 septembre 2009 à Kaloum. Pour ce vendredi, 20 janvier 2023, ce sont au total 6 personnes qui ont été auditionnées sur plus de 260 victimes ou parents de victimes. À leur sortie, Me Thierno Souleymane Baldé et une des victimes se sont prêtés aux questions des journalistes.

Les auditions ont duré plusieurs heures pour ce premier groupe de personnes qui ont livré leurs témoignages sur ce qu’elles ont vécu lors des répressions faites pendant le règne d’Alpha Condé. L’ancien chef d’État guinéen est accusé « d’assassinat, de meurtre, d’actes de torture et d’enlèvement » et de « crimes de sang » commis son magistère.

Visiblement confiant, Me Thierno Souleymane, avocat des victimes du régime d’Alpha Condé, revient sur cette procédure qui commence.

Me Thierno Souleymane Baldé, avocat des victimes

« On a eu la première séance d’audition au niveau des familles des victimes. Comme vous le savez, nous avons plus de 260 victimes pendant le régime de M. Alpha Condé. Je précise que ce ne sont pas juste les victimes des crimes de sang, il y a aussi ceux qui sont victimes de coups et blessures, destruction de biens privés, menaces ainsi de suite. Il y a un groupe de personnes aujourd’hui qui a été auditionné. Chaque vendredi, on aura un groupe de personnes puisqu’au niveau logistique il n’y a pas suffisamment d’ordinateurs afin d’avoir plusieurs équipes des officiers de police judiciaire pour les entendre en même temps. Donc il est convenu chaque vendredi et éventuellement nous allons voir si on peut aussi programmer certaines auditions les jeudis. Puisque la salle est disponible les jeudis et vendredis. Donc si effectivement les conditions liées à la question logistique sont réunies, on va organiser les séances les jeudis et vendredis. Et à chaque fois on va essayer d’avoir un certain nombre des parents d’un certains de victimes qui vont venir se faire auditionner. À la fin nous allons continuer nous allons continuer avec les différents témoins. Lorsque la procédure des auditions sera bouclée au niveau de l’enquête préliminaire (avec OPJ), le dossier sera transmis au niveau du doyen des juges d’instruction du tribunal de première instance de Dixinn. Il y aura une nouvelle étape qui va commencer et qui consistera à entendre les personnes qui seraient éventuellement coupables soit de délit ou de crime d’être auditionnées afin de déterminer s’il y a des éléments de preuves suffisants pour pouvoir les inculper et éventuellement les traduire en justice. Donc aujourd’hui ce n’est que le début et comme vous le savez le chemin sera long mais j’ai la conviction quelque soit les difficultés, au bout du compte nous allons y arriver puisque nous n’allons pas abandonner. Il y a eu beaucoup d’obstacles avant qu’on arrive à ce stade mais nous allons continuer le combat pour que les familles des victimes puissent obtenir justice », a-t-il promis.

L’avocat a cependant mis en garde certaines personnes qui profitent des victimes pour avoir de l’argent et il promet qu’elles seront tôt ou tard traduites devant la justice pour ces agissements.

« Je ne vais pas m’attarder sur des questions à mon avis qui n’ont aucune importance. Toutes les victimes du régime de M. Alpha Condé sont connues. Les gens qui veulent qu’ils soient assistés, ils viennent librement. Ceux que j’aide ce sont les gens-là qui m’ont commis pour pouvoir les aider. Je sais qu’il y a eu un groupe de personnes et malheureusement depuis longtemps qui sont en train d’arnaquer les familles des victimes. Il y a certains de nos concitoyens à l’extérieur qui cotisent de l’argent pour envoyer afin d’aider les familles des victimes. Il y a des personnes qui prétendent pouvoir les aider et qui prennent ces fonds et ne donnent aucun centime au niveau des familles des victimes (…) Ceux qui sont en train de le faire tôt ou tard seront traduits devant la justice puisqu’ils ne peuvent pas continuer indéfiniment à arnaquer les victimes et prétendre avoir un statut qu’ils n’ont pas », a-t-il martelé.

Victime collatérale lors d’une manifestation de l’opposition en 2013, Mamadou Kissi Barry, revient sur ce qu’il a subi à Yattaya Fossidet.

Mamadou Kissi Barry, victime

« Je suis victime de coups et blessures en 2013, tabassé presque toute la journée, les preuves sont là (photos). J’ai entendu des bruits devant ma clôture, dès que je suis sorti les policiers sont entrés par la petite porte. Dès qu’ils sont entrés, ils m’ont trouvé ils ont dit voilà leader ici. Ils m’ont attrapé, il y en a eu un qui m’a terrassé, ils m’ont mis par terre, ils m’ont tabassé. Après, ils m’ont dit de me lever mais je ne pouvais même pas m’arrêter. Ils ont bastonné mon grand frère, ils ont retiré son téléphone. Après, je ne pouvais pas marcher parce que mon pied était cassé, je saignais trop (du nez) et ils nous ont emmenés directement à la police. Ils nous ont enfermés là-bas jusqu’à 16 heures avec une caution. Ils ont dit tous ceux qui sont blessés maintenant vous pouvez sortir, on a payé là-bas 650 000 francs guinéens (CMIS de Sonfonia SOS). On m’a emmené à l’hôpital Mère et enfants mais ils n’ont pas pu me soigner et je suis parti à Dakar. Je suis resté là-bas pendant 3 mois, au 4ème mois je suis rentré. Mais jusqu’à présent j’ai mal au nez, à la tête et au pied parce qu’ils ont cassé mon pied et mon nez », a-t-il expliqué.

Par ailleurs, Mamadou Kissi Barry invite toutes les autres victimes à aller se faire auditionner par les OPJ pour qu’il y ait justice sur les différentes répressions faites entre 2010 et 2021.

« Je souhaite que les autres victimes aussi viennent parce que nous sommes nombreux. Me Thierno Souleymane Baldé a parlé de 260 personnes mais je sais que ça dépasse 260 personnes seulement à Ratoma parce que dans mon quartier seulement, il y a eu plus de 10 morts là-bas », a indiqué la victime.

Mamadou Yahya Petel Diallo et Ibrahima Bah pour Guineematin.com 

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