Conakry : le calvaire des citoyens de Dar Es Salam, exposés à la fumée de la décharge de 6 km

Le calvaire des citoyens du quartier Dar-Es-Salam, dans la commune de Ratoma, persiste. La décharge publique de Conakry, longue de 6 kilomètres, dégage de jour comme de nuit, une fumée ininterrompue. Conséquences ? Les citoyens de ce quartier inhalent une fumée toxique. Aujourd’hui, la plupart d’entre eux sont frappés de toux et confrontés à des maladies respiratoires. Interrogés ce mardi, 31 janvier 2023, par un reporter de Guineematin.com, ils demandent aux nouvelles autorités de tout faire pour procéder au déplacement de cette décharge.

C’est une fumée épaisse qui se dégage de la décharge de Dar-Es-Salam, la plus grande de la Guinée. Elle s’étend sur une superficie de 6 kilomètres. La fumée est permanente ici depuis plus de trente ans maintenant, informent les riverains des lieux.

Abdoulaye Mané, habitant de Mamadou Bobo Diallo, citoyen de Dar-Es-Salam

Abdoulaye Mané, la soixantaine a toujours respiré cette fumée toxique. « Matin, midi et soir, nous ne faisons que respirer cette fumée toxique de la décharge publique de Dar-Es-Salam. La nuit, nous dormons avec des masques de protection. Tout le monde souffre de cette fumée ici. Ce matin, j’ai certains de mes enfants qui sont allés voir un médecin, car ils toussent et ont du mal à respirer. Il y a certaines familles ici qui prennent du lait chaque matin que Dieu fait. Les autorités font à chaque fois des promesses de délocalisation de cette décharge d’ordures ; mais jusqu’à présent, nous n’avons rien vue de concret », dit le père de famille.

Il n’est pas le seul à être confronté à cette situation. Bangaly Camara et ses amis ont leur habitation de fortune sous les pieds de la montagne d’ordures qui n’arrête jamais de dégager de la fumée. Il se plaint de maladies respiratoires, mais sa situation de précarité ne lui permet pas d’aller voir un médecin.

Bangaly Camara, citoyen de Dar-Es-Salam

« En plus de la fumée de la décharge, des gens viennent brûler des pneus ici pour extraire les fils qu’ils revendent après. Cette fumée se propage jusqu’à Gbessia au niveau Bénarès. Quand vous venez ici le soir, aux environs de 20 heures ou 21 heures, au moment où les gens se retrouvent pour discuter, vous verrez que le coin est couvert de fumée. Même maintenant là, vous voyez les mouches qui nous fatiguent. C’est dans ça que nous mangeons et faisons tout. Moi personnellement, je tousse beaucoup à cause de cette fumée. Si vous avez même remarqué, ma voix est un peu prise. Je suis enrhumé », a-t-il déclaré.

Ibrahima Souaré est marié à deux femmes et père de 10 enfants. Lui et sa famille vivent des tris qu’ils font à la décharge. C’est là qu’ils gagnent leur vie. Malgré le danger permanent d’un effondrement de la montagne d’ordures, comme ce fut le cas en août 2017 avec près de 10 morts, ils habitent dans deux baraquements qu’il a lui-même construit à la suite de la démolition de sa concession après le drame.

Ibrahima Souaré, citoyen de Dar-Es-Salam

« Je suis là avec ma famille. J’ai dix enfants et deux épouses. Mon beau-frère et mon jeune frère aussi sont là avec moi. En tout, on est plus de 20 personnes qui sont éparpillées dans ces baraquements depuis que notre maison a été démolie par l’Etat à cause de cette décharge. Nous ne dirons pas que nous sommes en bonne santé, mais pour le moment, on est debout. On se dit quand même que tôt ou tard, l’inhalation de cette fumée va nous rattraper parce que nous n’avons pas les moyens de nous rendre régulièrement à l’hôpital », dit-il.

Mariama Camara, citoyenne de Dar-Es-Salam

Son épouse, Mariama Camara, s’adresse directement au président de la transition, le Colonel Mamadi Doumbouya. « Vous avez vu, nous sommes logés dans ces baraquements sous les pieds de la décharge. Ils ont démoli nos maisons en 2017, sans nous dédommager. Dites au Colonel Mamadi Doumbouya que c’est lui qui est actuellement notre espoir ici à Dar-Es-Salam. Il n’a qu’à nous aider à trouver des logements pour quitter cet environnement malsain. Nos enfants ne vont plus à l’école. Ici, nous ne dormons pas la nuit, il y a souvent des explosions dans la décharge. Nous vivons la peur au ventre. Moi-même, je ne me sens pas bien actuellement, mais je ne peux pas me reposer. Je suis obligée de travailler pour nourrir mes enfants. Ils sont eux aussi fréquemment malades… ».

Mamadou Bobo Diallo, citoyen de Dar-Es-Salam

Le cimetière du quartier Dar-Es-Salam 1, situé à quelques pas de la décharge, est régulièrement envahi par les eaux usées qui descendent du flanc de la montagne d’ordures. Cette année, une bonne volonté a financé l’entretien du royaume des morts. « C’est un monsieur, une personne de bonne volonté qui a pris sur lui la charge de financer le remblai du cimetière. Il y a un moment, les usées rentraient dans l’enceinte du cimetière. Pour ce qui est de la fumée, on n’en parle pas, nous vivons cette situation depuis le début du régime de Lansana Conté. Tous les présidents qui se sont succédé ont toujours fait la promesse de déplacer cette décharge, mais personne d’entre eux n’a honoré son engagement. Nous les habitants de Dar-Es-Salam, nous souffrons plus que n’importe qui dans ce pays. Ceux d’entre nous qui avaient les moyens ont déménagé. Ils ont quitté ce quartier à cause de la fumée qui se dégageait sans relâche. Vous apercevez cette mosquée qui fait face à la décharge ? Actuellement, c’est des jeunes qui dorment là-dedans, personne n’y accomplit la prière », regrette Mamadou Bobo Diallo, gérant du cimetière.

Le rêve de tous les habitants de Dar Es Salam est de voir un jour leur quartier débarrasser de cette montagne d’ordures. Pour l’heure, ils inhalent sans le vouloir l’odeur et la fumée des ordures de Conakry. Un site est identifié à Baritoodé, dans la sous-préfecture de Kouriya, préfecture de Coyah, où il est prévu de transférer la décharge de Dar-Es-Salam. Le CNRD et le gouvernement de la transition parviendront-ils à réaliser ce projet pour mettre fin au calvaire de populations de Dar-Es-Salam ?

Mamadou Tanou Bah pour Guineematin.com

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