Orientation des jeunes filles dans les filières scientifiques : Pr Saliou Touré, ancien ministre ivoirien de l’éducation dit tout

Le Pr Saliou Touré, ancien ministre de l’Education nationale, ancien ministre de l’Enseignement Supérieur de la Recherche et de l’Innovation de la Côte d’Ivoire, est en séjour en Guinée dans le cadre de la tenue de la 2ème édition de la Semaine Nationale du Mérite Scolaire (SENAMSCO). Cet enseignant-chercheur, auteur de la collection mathématiques CIAM, a accordé une interview à deux reporters de Guineematin.com en marge de la SENASCO. Le Pr Saliou Touré est revenu sur plusieurs sujets relatifs à la formation, notamment à l’orientation des jeunes filles dans les filières scientifiques et techniques…

Nous vous proposons ci-dessous l’intégralité de cet entretien.

Guineematin.com : Pr Saliou Touré, vous avez exercé plusieurs fonctions, tant dans votre pays la Côte d’Ivoire qu’ailleurs en Afrique et dans le monde. Parallèlement, vous avez effectué plusieurs actions en faveur du développement économique et social à travers le développement de la science et de la technologie en Afrique Centrale et en Afrique de l’Ouest. Y-a-t-il eu d’impacts positifs au niveau des jeunes filles particulièrement ?

Pr Saliou Touré : comme vous l’avez dit, je me suis investi dans le domaine de la formation de la jeunesse. Parce que, j’ai eu la chance d’avoir eu une bonne formation et mon ambition, c’était de transmettre le peu que j’ai appris auprès des maîtres éminents en France, en Afrique même. Donc, j’ai souhaité partager mon savoir avec la jeunesse africaine. Parce que j’ai toujours estimé, depuis longtemps, que l’avenir de l’Afrique, c’est la science, c’est la formation scientifique. Si nous arrivons à former beaucoup de scientifiques, beaucoup d’ingénieurs, beaucoup de savants ; pour moi, j’estime que nous allons faire un parcours pertinent, un parcours qui pourra aider la jeunesse africaine à mieux se positionner sur le plan international et, c’est la raison pour laquelle je vous l’ai dit que dès les années 1970, dès que j’ai passé mon Doctorat en février 1975, je me suis mis bien sûr dans la recherche, une recherche à titre personnel. Je me suis dit, il fallait développer l’enseignement des mathématiques en Afrique. Parce que tous les pays francophones d’Afrique ont les mêmes problèmes de formation, les mêmes problèmes de développement économique, social et culturel. Et donc, il était pour moi primordial de m’investir dans ce domaine et c’est ce que j’ai fait en créant d’abord l’Institut de recherche de mathématiques au mois de mai 1976 ; et ensuite, en essayant de mobiliser les scientifiques africains autour des thèmes porteurs, et c’est ainsi par exemple qu’au mois de juin 1985, je suis venu ici pour la première fois en République de Guinée pour mobiliser les scientifiques, mobiliser les autorités de l’éducation nationale. Parce que j’avais envie de créer une collection de mathématiques. D’abord, faire la réforme de l’enseignement des mathématiques pour tous les pays francophones d’Afrique et ensuite, une fois que les programmes de cette réforme auront été définis, mon objectif, c’était de mettre à la disposition des maîtres et des élèves africains un manuel de mathématiques qui parlerait le même langage, que ça soit en Côte d’Ivoire, au Sénégal où à Madagascar. Donc, c’est dès 1985 que j’ai conçu l’idée de créer cette collection. Après plusieurs réunions à Abidjan, à Dakar à Cotonou, et à Conakry en Guinée, nous avons pu nous mettre d’accord sur le programme des mathématiques de la 6è, 5è, 4è, 3è… jusqu’en terminale. C’est pour cela que nous les scientifiques, on s’est mis d’accord, on a approché les autorités de l’éducation nationale qui ont avalisé ce projet-là. Grâce à cela, on a demandé à l’Institut de mathématiques de piloter la rédaction des manuels et moi, j’en étais le directeur de collection puisque c’est moi-même qui ai conçu cette idée. Voilà dans le domaine des mathématiques, le peu que nous avons pu faire et je suis heureux et fier de constater que quelque chose qui a été conçu depuis les années 1985, continue à produire des effets positifs à travers tous les pays francophones d’Afrique.

Guineematin.com : vous êtes à Conakry pour la deuxième fois consécutive. Cela, dans le cadre de la deuxième édition de la semaine nationale du mérite scolaire. Un programme d’ailleurs, dont vous êtes initiateur dans votre pays la Côte d’Ivoire. Qu’est-ce que cela représente pour vous ?

Pr Saliou Touré : la semaine nationale du mérite scolaire (SENAMSCO) est une excellente initiative du gouvernement guinéen. En effet, il s’agit d’une initiative de son Excellence, le Colonel Mamadi Doumbouya qu’il l’a bien voulu confier au ministre de l’enseignement pré-universitaire et de l’alphabétisation, Guillaume Hawing. C’est la deuxième fois que je viens pour cette initiative, je crois que cette cérémonie est devenue une tradition républicaine en Guinée. C’est là la raison pour laquelle, moi j’ai beaucoup de plaisir à venir ici. De quoi s’agit-il ? Il s’agit de célébrer le mérite, notamment chez les jeunes filles en République de Guinée. Et à cette occasion, je tiens à féliciter le Chef de l’Etat, le Colonel Mamadi Doumbouya pour avoir pris cette initiative-là. En effet, quand on enseigne dans les établissements, dans les universités comme je l’ai fait, j’ai constaté qu’il y a très peu de jeunes filles qui s’orientaient vers les professions scientifiques et technologiques. À l’Université d’Abidjan, nous avions de temps en temps, une fille, 2 filles, 3 filles mais pas beaucoup de filles en mathématiques. Dans les professions à l’université en mathématiques, physique et chimie, il y avait très peu de filles ou de femmes qui enseignaient. Et c’est la raison pour laquelle, en l’an 2000, j’ai pris l’initiative de créer ce que j’appelle le concours Miss Mathématiques en Côte d’Ivoire. Ceci, c’était pour créer une saine émulation entre les établissements d’enseignement secondaire de Côte d’Ivoire. Premièrement, c’était cela. Deuxièmement, il fallait encourager les jeunes filles à s’orienter de plus en plus nombreuses vers les carrières scientifiques et troisièmement, il fallait détecter, identifier, encourager des jeunes filles talentueuses parce qu’on constate aujourd’hui, que les jeunes sont souvent meilleures que les jeunes garçons. Mais par timidité, elles estiment que la science n’est pas faite pour elles. Donc, j’ai voulu enrayer ce processus-là, en créant le concours Miss mathématiques. Et, je constate que mes frères guinéens se sont orientés dans cette voie. C’est la raison pour laquelle je suis venu cette fois-ci encore à cette occasion, je viens chaque fois pour encourager les autorités à persévérer dans cette voie de promotion de la science auprès de la gent féminine. Donc, je suis très heureux de venir en République de Guinée, participer à cette action de promotion scientifique. C’est ce que je me suis fixé comme objectif. Je souhaite que la jeunesse africaine se développe sur le plan scientifique.

Guineematin.com : quel est votre constat sur les résultats de votre combat pour la promotion de la science et de la technologie et en faveur de l’Afrique en général et en particulier au niveau des jeunes filles ?

Pr Saliou Touré : je dois dire que les résultats sont visibles. Je vais prendre deux ou trois exemples ici même en Guinée. J’ai eu le plaisir de rencontrer Dr Moustapha Diallo. Dès qu’il m’a vu, il m’a dit : Pr, je vous dois beaucoup dans ma carrière. C’est la Collection CIAM qui m’a permis de passer mon baccalauréat ici en Guinée avec une mention et le gouvernement guinéen m’a envoyé au Maroc pour préparer les concours d’entrée dans les écoles d’ingénieurs et grâce aux mathématiques que j’ai apprises, j’ai fait les classes préparatoires, je suis entré dans une école d’ingénieurs au Maroc, mais j’ai pu accéder à l’école Centrale de Paris. Et aujourd’hui, il a non seulement son diplôme d’ingénieur, mais il a également passé un doctorat en énergie et il travaille aujourd’hui dans une autre structure en France. Je suis fier de ce garçon qui m’a affirmé que c’est grâce au peu de mathématiques qu’il a apprises ici en Guinée qu’il est devenu ce qu’il est aujourd’hui. En Côte d’Ivoire, nous avons formé beaucoup de jeunes filles, des jeunes gens qui sont entrés à l’école polytechnique à Paris, il y a une Miss Mathématiques de Côte d’Ivoire à qui le gouvernement ivoirien a donné une bourse pour aller aux États-Unis d’Amérique, aujourd’hui, elle travaille à la NASA aux États-Unis. Donc, il y a beaucoup d’exemples qui montrent que le peu que nous avons fait commence à porter ses fruits. Et je suis sûr que les jeunes africains ont à cœur de développer l’Afrique.

Guineematin.com : quels conseils donnez-vous aux jeunes élèves et étudiants africains, surtout les jeunes filles auprès de qui vous faites régulièrement la promotion de la science et de la technologie en vue de les encourager davantage à épouser les Mathématiques notamment ?

Pr Saliou Touré : je les invite à avoir confiance en elles-mêmes parce qu’elles sont souvent timides et c’est ce qui fait qu’elles ont l’impression qu’elles ne peuvent pas réussir dans les sciences. Loin de là. Il y a beaucoup de jeunes filles qui sont brillantes. Souvent, il y a des concours qui s’organisent en Guinée, en Côte d’Ivoire notamment, et tout ça c’est pour les aider à avoir confiance en elles-mêmes. Ce que je leur demande, c’est d’avoir confiance en elles-mêmes, de s’adonner au travail et de poursuivre avec abnégation le travail qu’elles font. Parce que l’Afrique a aujourd’hui beaucoup de défis à relever. Quels sont les défis qui se posent à l’Afrique ? Il faut maîtriser la démographie, il faut développer la démocratie en Afrique, il faut améliorer le système éducatif, le système de santé, combattre la désertification, combattre le changement climatique et dans tous ces domaines, j’estime que les femmes qui constituent 55% de nos populations ont un rôle éminent à jouer. Il faut qu’elles sachent que c’est la femme qui éduque la nation. Éduquer un homme, c’est éduquer une personne. Mais éduquer une femme, c’est éduquer une nation. Ce sont elles qui ont la charge de former la jeunesse. Ce sont nos mamans qui font de nous ce que nous sommes, ce que nous déciderons. Par conséquent, il faut que les jeunes et les femmes aient conscience de leur rôle dans la société. Notre fierté, ce serait que demain, dans la plupart des pays africains, ce soit les femmes qui soient aux commandes des activités économiques, sociales, politiques puisqu’elles en ont les moyens. C’est sur elles que repose l’humanité.

Guineematin.com : à l’intention des jeunes filles qui voudraient à l’avenir s’orienter vers les options scientifiques, notamment les mathématiques, c’est quoi le secret pour comprendre et maîtriser les mathématiques ?

Pr Saliou Touré : il n’y a pas de secret pour maîtriser les mathématiques. Maîtriser les mathématiques, il faut une petite disposition, mais il faut surtout beaucoup de travail. Personne, je le dis bien, personne ne naît mathématicien. On devient mathématicien, si on a envie de faire les mathématiques. On devient mathématicien, quand on a l’amour de transmettre la connaissance aux autres. Évidemment, quand on est dans les écoles primaires et secondaires, il faut apprendre ses leçons, pas par cœur, il faut apprendre et comprendre le bien fondé des définitions et des théorèmes. Il n’est pas question d’apprendre par cœur, il faut les comprendre. Une fois qu’on comprend les théorèmes, on peut les appliquer.

Guineematin.com : quel message avez-vous à l’endroit des enseignants ?

Pr Saliou Touré : aux enseignants, je voudrais dire qu’ils font un travail merveilleux. Tous les ingénieurs, les savants passent nécessairement, un jour ou l’autre, dans la main d’un enseignant. C’est ce que nous apprenons aux enfants qui leur permet de devenir aussi forts que nous. C’est ce qui leur permet de nous dépasser. Car notre ambition, quand on est enseignant, c’est de faire en sorte que nos élèves finissent par nous dépasser, finissent par savoir plus de choses que nous-mêmes. Il ne faut pas qu’ils se découragent. C’est vrai que ce n’est pas un travail prestigieux mais nous avons toujours la satisfaction de voir qu’un tel devenu chef d’entreprise, ministre, Premier ministre, ou Président de la République parce qu’il est passé entre nos mains.

Pr Saliou Touré, ancien ivoirien d l’éducation et de l’enseignement supérieur

Propos recueillis par Mamadou Bhoye Laafa Sow pour Guineematin.com

Tél : 00224 622 91 92 25

Facebook Comments Box