Alpha Amadou Baldé, l’une des parties civiles dans le procès du massacre du 28 septembre 2009, comparaît pour la première fois devant le tribunal criminel de Dixinn délocalisé à la Cour d’Appel de Conakry. S’exprimant à la barre, dans sa langue maternelle, Poular, il est revenu sur sa mésaventure au stade du 28 septembre en 2009. Dans sa déposition, faite ce mardi, 04 avril 2023, dit avoir été victime de torture de la part d’agents agissant sous les ordres du Colonel Moussa Tiégboro Camara.
Guineematin.com vous propose une partie de la déposition d’Alpha Amadou Baldé :

« Le matin du 28 septembre, on a pris le départ pour le stade du 28 septembre. Arrivé au stade à 10 heures, nous nous sommes installés au niveau des tribunes. Des opposants ont commencé à parler. Ils n’étaient pas tous rentrés. On a vu Monsieur Jean Marie Doré soulevé par la foule. Au moment où il rentrait, on a entendu des tirs vers 10h 30 minutes, derrière le stade. Comme les tirs étaient très intenses, on s’est levé. J’étais avec un jeune, nous sommes montés vers les tribunes pour observer qui sont ceux qui tirent. Est-ce que c’est de l’intérieur ou de l’extérieur. On en a vu d’autres qui rentraient. Mon ami m’a dit: descendons par-là, on va passer par là. J’ai dit non. Si on descend ici, on va se rencontrer avec ceux qui tirent. J’ai dit que nous allions nous asseoir à côté des opposants pour que si quelque chose leur arrive que la même chose nous arrive aussi. Donc, nous sommes partis s’installer là-bas. En ce moment, on regardait de gauche à droite et les tirs étaient intenses. Après, j’ai regardé à gauche, j’ai vu des bérets rouges qui tiraient en venant. Après, j’ai fait signe à mon ami en lui disant, allons-y. Lui, il n’a pas pu se lever là où il était assis. Moi, j’ai monté les grillages pour partir de l’autre côté des tribunes. J’ai continué sur le grillage jusqu’à la sortie là où les jeunes sortent. Je suis descendu par là-bas pour aller vers la sortie. Là, j’ai trouvé des gens qui étaient tombés en tas.
Je suis resté là, un autre groupe est venu me pousser et m’a fait tomber sur les tas de corps. J’ai vu un jeune que je connais, je lui ai dit aidez-moi. Chacun était inquiet pour se sauver. Ceux qui étaient couchés sur moi, eux-aussi ils se battaient pour se lever. J’ai vu quelqu’un là-bas qui avait des fusils à deux pieds, mais il ne tirait pas. Mais la distance n’était pas aussi très loin entre nous. J’ai vu qu’il ne tirait pas, je me suis levé et je suis parti vers les vestiaires. Il y avait un passage, je me suis demandé si je pouvais passer. Mais là, j’ai trouvé qu’il y avait beaucoup de gens. J’ai regardé vers la droite aussi, j’ai eu l’intention tout doucement de me retirer. J’ai vu différents corps dedans. Je suis parti doucement là où il y a l’annexe du stade. J’ai vu les gens pleurer. Moi aussi, j’ai tenté de voir si je pouvais escalader la cour à ce niveau. J’ai trouvé que ce n’est pas possible. En ce moment, on tirait sur les gens, on les blessait. Je me suis arrangé pour rester dans la foule. Il y avait une petite porte.
À ce niveau, les militaires étaient alignés jusqu’à perte de vue. Je me suis dit, si je sors d’ici, ils vont me faire du mal. Je me suis retourné, j’étais obligé. Les gens tombaient, j’ai même aidé d’autres personnes parce que c’était des femmes, j’étais plus fort qu’elles. J’ai reculé, je suis sorti de la foule complètement.
Il y a un béret rouge qui est venu vers moi, il avait un couteau. J’avais mon téléphone et celui de mon ami. Les bérets rouges sont venus directement de gauche à droite. Ils ont pris les téléphones, ils ont commencé à fouiller dans mes poches. Sur place, beaucoup de militaires sont tombés sur moi. Comme ils n’ont pas eu quelque chose là-bas, ils m’ont pris là-bas directement. Ils m’ont bastonné avec les bois qu’ils détenaient. Je ne savais plus avec quoi on me bastonnait, tellement que la douleur était intense.
Ils m’ont fait monter dans un camion là-bas directement. Je me suis arrêté dans le camion là-bas. Ceux qui étaient dans le camion là-bas m’ont frappé en disant « assieds-toi. Après, je me suis assis là-bas. Je regardais à travers les petits trous du camion. C’est en ce moment qu’ils ont commencé à envoyer des gens petit-à-petit. Ils ont arrêté des gens jusqu’à remplir le camion. Ils ont fait leur massacre jusqu’à ce qu’ils ont terminé. Ils ont pris le camion avec sirène et nous sommes sorti au niveau de Dixinn terrasse. Ils ont tourné vers le pont 8 novembre. Arrivés au pont 8 novembre, ils ont pris la route de la corniche et nous sommes venus vers Dixinn échangeur et on a emprunté la route Le Prince. Nous sommes partis redescendre à l’aéroport et nous sommes rentrés au camp Alpha Yaya. Arrivé au camp à la présidence, ceux qui nous ont arrêtés ont dit « Monsieur le président, venez voir les ennemis du pouvoir. » J’ai soulevé ma tête et immédiatement un autre militaire m’a donné un coup. Tellement que le coup était dur, je ne sentais plus ma tête. Ce que je voyais, c’était obscur. En ce moment, je n’entendais que des cris des gens. C’est petit-à-petit que j’ai repris la vue. On nous a envoyés chez Colonel Moussa Tiégboro… »
Propos recueillis et décryptés par Mohamed Guéasso DORÉ pour Guineematin.com
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