Mamady Mansaré (journaliste) au près du 28 septembre : « J’ai vu une femme qui était en train d’être déshabillée par un militaire »

Mamady Mansaré, journaliste et partie civile dans le procès du massacre du 28 septembre 2009

Âgé de 48 ans et journaliste de profession, Mamady Mansaré est à la barre du tribunal criminel de Dixinn (délocalisé à la cour d’appel de Conakry) ce mercredi, 17 mai 2023, dans le cadre du procès du massacre du 28 septembre 2009. Il y comparaît en qualité de partie civile et sa déposition est un condensé des horreurs qui ont été commises au stade du 28 septembre. Il déclare avoir vu des militaires tirer sur les manifestants et une femme qui était en train d’être déshabillée par un militaire. Il se plaint aussi de coups et blessures qui lui ont été infligés par des militaires.

Guineematin.com vous propose ci-dessous un extrait de sa déposition à la barre.

« C’était un lundi matin, le 28 septembre 2009, j’ai quitté la maison pour venir au bureau. A l’époque c’était la radio Famalia Fm. Et, après la conférence de la rédaction, on m’a dit d’aller avec Thierno Alpha Ibrahima Baldé au stade pour couvrir. Lui il devait faire le direct et moi l’interview… Arrivé au stade, j’ai vu un homme gros, court et teint couché sur le dos. Je ne sais pas s’il était mort, mais il était inerte. Derrière, je vois Tiegboro et son équipe en face de Mouctar, le correspondant de la RFI. On nous a dit qu’il (Tiegboro) lui a dépossédé de son matériel de travail. Et, comme j’avais une caméra, je l’ai sorti et j’ai commencé à faire la collecte des informations. J’ai filmé le monsieur qui avait le pied fracturé et celui qui était allongé sur le dos. Après, on m’a dit qu’il y a un mort juste à l’entrée du stade. C’était un jeune de 14 ou 15 ans. Mais, au moment où je le filmais, une policière est venue derrière moi. C’était une dame courte et de teint noir. Elle m’a arrêté et m’a conduit au bureau où ils ont pris ma caméra et effacé tout ce qu’il y avait là-dans. Ensuite, ils m’ont restitué la caméra. Mais, j’ai repris le filmage, parce que c’est quand-même mon travail et on ne peut pas m’intimider dans ça. Ainsi, je suis resté à filmer, puis une autre équipe est arrivée. Ils ont dit qu’ils vont aller pour cortéger les leaders. Je suis allé prendre ma moto ; et, le temps pour moi de revenir, les autres avaient déjà bougé. Je les ai suivis sur la moto. Mais, après une petite distance, j’ai entendu les jeunes dire : c’est nous-mêmes qui allons cortéger les leaders. Tiegboro a dit qu’il faudrait qu’il les cortège. C’est dans ça qu’il y a eu du gaz lacrymogène. Alors, je suis rentré vers la Fondis pour contourner et ressortir sur l’esplanade du stade. Et là, j’ai trouvé que la porte est déjà ouverte. Je suis entré avec la moto dans la cour du stade, j’ai garé et je l’ai fermée. Le stade était plein. Les gens avaient commencé à former des rangées pour la prière, j’ai filmé ça aussi. J’ai aussi remarqué que certains leaders étaient déjà sur la tribune couverte. J’ai pris la caméra, j’ai zoomé pour les filmer… Après, je suis venu vers eux, nous sommes restés là-bas, j’étais en train de filmer. Vers 11 heures-midi, j’ai vu une équipe venir en courant. Et, soudainement, on a entendu les coups de feu. Ce sont les militaires qui étaient arrivés. Ensuite, j’ai vu une équipe à la porte. Et, de ‘autre côté du stade, vers la droite, je vois un jeune à terre, il avait une chemise noir. Je regarde comme ça, je vois les militaires arrêtés sous le panneau où le score sort avec des fusils orienté vers le bas. Soudainement, j’ai vu un militaire qui a tiré sur un jeune. Et, quand ce dernier est tombé, il s’est agenouillé sur lui. Il oriente l’arme encore là-bas, je vois une femme qui était en train d’être déshabillée par un militaire. On l’a déshabillée nue comme elle est née. J’ai filmé ça aussi… le stade se vidait, on était en haut avec les leaders. Soudainement je vois un homme cagoulé, teint clair, gros, qui venait vers nous en tirant. J’entends une petite voix en bas : venez, venez ! Je ne voyais pas la personne, mais elle insistait trop. Mais, le monsieur-là (l’homme cagoulé, teint clair, gros) tirait en direction des personnes qu’on demandait de venir. Et, comme il s’approchait, le sang froid que j’avais a disparu. Je suis descendu par derrière, mais la porte-là était fermée. Donc, je suis remonté et je suis allé face à ce militaire. Sylla était devant moi. Et, dès qu’il a mis le pied sur la pelouse, on l’a tabassé, il est tombé. J’ai même pensé qu’il était mort. J’ai sauté Sylla, j’avais sorti mon badge et je tenais mon micro pour qu’il sache que je suis un journaliste. Mais, quand le premier militaire m’a pris, il m’a terrassé, je suis tombé. Mais, je me suis très relevé avec mon matériel. Cependant, quand le second militaire m’a pris, jusque-là je ne sais pas où se trouve le micro. Après ça, j’arrive là où j’avais garé ma moto. Et, une autre équipe arrive et me demande : qui es-tu ? J’ai dit que je suis journaliste. Après, ils ont dit : vous les journalistes, c’est vous qui parlez trop ? J’ai dit : oui, c’est nous. Il m’a alors dit : prends ta moto et vas. J’ai enlevé le cadenas et le temps pour moi d’enlever le pied, il a orienté l’arme et j’ai entendu : pan ! J’ai perdu connaissance. Et, quand je me suis retrouvé, j’ai senti que mes pieds étaient en train d’être traînés au sol. J’ai compris que quelqu’un était en train de me traîner, je me suis levé brusquement, c’était un militaire, je me suis échappé de ses mains. Je me suis enfui pour finalement sortir au niveau du goudron. Je suis allé derrière là-bas et une famille m’a accueilli. Je ne sentais pas de douleur, mais j’étais ensanglanté. Et, quand j’ai palpé mon corps, j’ai su que j’ai été touché par balle au niveau de la tête. La trace est là encore… J’ai appelé à la radio pour dire qu’on m’a blessé », a expliqué Mamady Mansaré.

A suivre !

Mamadou Baïlo Keïta pour Guineematin.com

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