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Retrait des agréments des médias en Guinée : RSF s’indigne et appelle à la mobilisation

Jeanne, Lagarde, chargée du plaidoyer RSF Afrique subsaharienne

Le ministère de l’Information et de la Communication de Guinée a récemment pris un arrêté pour retirer les licences de trois groupes de médias privés locaux. Cette décision suscite une vague de réactions, dénonçant une atteinte à la liberté de la presse. Jeanne Lagarde, responsable du plaidoyer pour Reporters sans frontières (RSF) Afrique subsaharienne, dénonce une mesure grave, arbitraire et illégale. Dans un entretien accordé à un reporter de Guineematin.com ce vendredi, 24 mai 2024, elle suggère d’engager une batterie de mesures pour se tirer d’affaire.
Guineematin.com : Les trois plus grands groupes de médias privés de Guinée ont vu leurs licences retirées. Comment réagissez-vous à cette décision ?

Jeanne Lagarde : cette décision est extrêmement grave pour la liberté de la presse en Guinée. Ce retrait des agréments revêt un caractère vague et arbitraire, voire illégal. Les autorités ont décidé, à travers le Ministère de l’Information et de la Communication, de retirer les agréments de médias privés, indépendants, qui étaient malheureusement déjà dans le collimateur du régime. Depuis six mois, 4 radios (3 concernées par le retrait des agréments) connaissaient des brouillages continus injustifiés qui les empêchaient d’exercer, ce qui était déjà une attaque contre la liberté de la presse en soi. Mais ce retrait des licences vient porter un coup de massue à la presse et confirmer nos inquiétudes par rapport au rétrécissement de l’espace médiatique dans le pays…

Guineematin.com : Quel rôle RSF compte jouer dans cette situation ?

Jeanne Lagarde: Le combat de RSF est de défendre la liberté de la presse, nous allons donc faire tout ce qu’il est possible pour la faire respecter. Le dialogue avec les autorités ne semble pas faire avancer les choses pour le moment, il faut donc mettre d’autres moyens en œuvre, des stratégies de plaidoyer et de recours juridiques. Nous sommes en contact avec les médias concernés, nous allons les accompagner dans ce moment inédit et difficile. Il s’agira aussi de mobiliser de nombreux acteurs pour que la situation soit connue et reprise à grande échelle.

Guineematin.com : Avez-vous entrepris des actions concrètes pour soutenir ces groupes de médias ou pour contester cette décision auprès des autorités guinéennes ?

Jeanne Lagarde: Nous avons tenté de joindre les autorités guinéennes, sans succès pour l’instant, mais nous allons persévérer en ce sens. Nous avions envoyé une lettre à destination du Premier ministre la semaine dernière pour lui demander de tout mettre en œuvre pour débloquer la situation, mais la situation a complètement empiré entre temps. En termes d’actions, nous allons accompagner les médias et sommes en train de réfléchir à une stratégie juridique.

Guineematin.com : Quelles mesures proposez-vous pour protéger les médias et assurer un environnement de travail sûr pour les journalistes en Guinée ?

Jeanne Lagarde: Des mesures doivent absolument être prises et appliquées dans les faits par les autorités de transition. Pour garantir la liberté de la presse dans le pays actuellement, les autorités doivent, dans un premier temps, annuler la décision retirant les agréments des quatre médias. Elles doivent ensuite tout mettre en œuvre pour que leurs programmes puissent reprendre complètement. Elles doivent également, de concert avec la HAC, tout mettre en œuvre pour que les chaînes de télévision concernées soient de nouveau accessibles sur les bouquets CANAL+ et StarTimes, et les laisser émettre sans interférence. C’est le pilier principal. Pour ce qui concerne la sécurité des journalistes, ces derniers doivent bénéficier d’un environnement ouvert et sécurisé. Nous recommandons notamment, pour assurer la sécurité des reporters qui couvrent des manifestations, de prodiguer des formations aux forces de police, notamment en amont. Il faut également mettre un terme aux arrestations arbitraires de journalistes et aux intimidations visant des journalistes, qui s’opèrent notamment via des convocations, et ouvrir des enquêtes systématiques et appropriées lors de cas avérés de menaces ou violences à l’encontre de journalistes, et sanctionner les auteurs d’actes répréhensibles contre les journalistes. Enfin, afin d’améliorer la gouvernance et d’assurer un accès essentiel à l’information aux citoyens, RSF recommande de promulguer dans les plus brefs délais la loi sur l’accès à l’information adoptée en 2010. Le Secrétariat général du gouvernement doit la publier dans le journal officiel de la République.

Guineematin.com : Quel est votre avis sur l’avenir de la liberté de la presse en Guinée dans le contexte actuel ?

Jeanne Lagarde: La liberté de la presse connaît actuellement une période très sombre en Guinée.  En plus des restrictions manifestes que connaissent les médias, des suspensions de journalistes, de médias, des interruptions de sites d’information, des intimidations de journalistes… le côté économique est également touché. Les journalistes évoluent dans des conditions extrêmement précaires, forçant parfois les médias à cesser l’intégralité de leurs programmes. En termes d’avenir, il faut que l’on reste optimiste et qu’on ne perde pas espoir.

Guineematin.com : Quelles sont vos recommandations aux autorités guinéennes pour améliorer la situation ?

Jeanne Lagarde: Comme je l’ai dit, les autorités guinéennes doivent mettre plusieurs chantiers en œuvre, en commençant par l’annulation de la décision retirant les agréments de quatre médias. Il est nécessaire que les médias, même critiques, puissent exercer librement. Il est nécessaire que la pluralité des voix soit entendue dans la société. Des dédommagements financiers doivent, dans l’idéal, être attribués aux médias concernés par les brouillages et blocages depuis des mois, qui ont contribué à mettre des centaines de journalistes en chômage technique. Les autorités pourraient, si elles le voulaient réellement, faire de la liberté de la presse une priorité. On observe plutôt l’inverse actuellement…

Guineematin.com : Quel message souhaiteriez-vous adresser aux groupes de médias concernés par cette décision ?

Jeanne Lagarde: Les médias concernés sont extrêmement courageux et font preuve d’une très grande résilience dans cette situation. La situation dure depuis des mois, mais aucun d’entre eux ne s’est découragé. Nous tenons à saluer ce grand courage dans un premier temps. Cette capacité à rester debout malgré les nombreuses restrictions qu’ils connaissent est à saluer et doit continuer, car elle envoie un message très fort, qui est de dire que peu importe ce qui est fait, la liberté d’expression sera toujours debout. Nous tenons ensuite à dire aux médias qu’il faut continuer sur cette voie et effectuer tous les recours juridiques possibles. Une évolution positive est possible, il faut que l’on soit toutes et tous mobilisés.

Guineematin.com : Que diriez-vous au public guinéen et à la communauté internationale sur cette situation ?

Jeanne Lagarde : Le public guinéen est actuellement privé de son droit à une information plurielle, qui est un droit fondamental. Les citoyens guinéens sont donc particulièrement concernés par ces restrictions et cette récente décision. La communauté internationale doit également être informée de la gravité de la situation en Guinée et de ce rétrécissement de l’espace médiatique, et elle doit se mobiliser. Nous  allons tout faire pour que ce soit le cas.

Interview réalisée par Mamadou Laafa Sow pour Guineematin.com 

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