L’enlèvement à Conakry depuis bientôt un mois de Foniké Mengué et Billo Bah, responsables du Front national pour la défense de la constitution (FNDC), a fait objet de condamnations tant en Guinée qu’à l’étranger. Alors que les autorités judiciaires ont affirmé ne rien savoir de ce kidnapping, les guinéens dénoncent ces pratiques qu’on croyait revolues. Youssouf Camara, membre du bureau exécutif de l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG), dénonce ce rapt et rappelle qu’on est en train de toucher le fond. Il l’a dit dans un entretien accordé à un reporter de Guineematin.com ce mercredi, 07 août 2024.
« Nous ne pouvons pas comprendre que, dans un Etat de droit, des citoyens puissent disparaître comme ça, par suite d’arrestations, en dehors de toute procédure judiciaire. Nous avons entendu dans les discours ici, le 5 septembre 2021, que la justice serait la boussole, que les droits de l’homme seraient respectés, que la presse ne serait pas bâillonnée, que le peuple serait respecté dans toute sa dignité. Mais je crois que c’est le contraire que nous sommes en train de vivre. Le cas personnel de nos deux camarades du FNDC, Foniké Menguè et Billo Bah, nous inquiète à plus d’un titre, parce que ça, c’est une première. D’habitude, quand il y a une interpellation, je crois qu’on vous envoie à la DPJ, vous faites une déclaration, ou on prépare un procureur, on vous place sous mandat de dépôt. Mais ce cas nous inquiète à plus d’un titre, en ce sens que n’eût été les pressions du côté de Paris, où la plainte a été déposée par la famille des victimes, la famille biologique, du côté des États-Unis, il y a eu des démarches avec le bureau du FNDC, le journaliste Akumba, mais aussi et également le coordinateur du FNDC aux États-Unis, qui a rencontré le sous-secrétaire chargé des Affaires africaines… », a dit d’entrée Youssouf Camara.
Par ailleurs, ce membre du bureau exécutif de l’UFDG a rappelé d’autres actions allant dans le sens de la dénonciation de ce que subissent aujourd’hui les leaders du FNDC dont il réclame le retour à la maison. « Avant-hier, le 05 août, du côté de la Belgique, il y a eu une mobilisation dans ce sens. Et la déclaration des sociétés civiles africaines a été aussi tenue du côté de Kenya. Malgré tous ces moyens de pression, nous restons sans nouvelles de nos deux confrères. Et cela est très inquiétant, parce que ce n’est pas seulement eux, c’est que, la machine guette tous les Guinéens qui ne sont pas d’accord avec ce régime. Ne dis pas que non, moi je ne suis pas activiste, je ne suis pas dans la politique. Il peut y avoir des conséquences collatérales par rapport à ce qui se passe maintenant, parce que rien ne peut justifier la violation des droits de l’homme. Les droits de l’homme ont un caractère universel. Même en cas de régime d’exception, ces droits-là sont inaliénables. Donc aujourd’hui, nous demandons une fois encore, il y a cela plus de trois semaines, nous n’avions aucune nouvelle de ces deux activistes de la société civile. Nous demandons à l’autorité de la transition de tout faire pour que ces deux personnes reviennent à la maison », a-t-il déclaré.
Parlant des déclarations du Procureur général près la Cour d’appel de Conakry, Fallou Doumbouya, qui dit n’avoir pas d’informations sur le sort des leaders du FND, ce secrétaire fédéral de l’UFDG à Matam accuse le pouvoir exécutif. « Vous savez, il y a deux autorités. Il y a l’autorité judiciaire et l’autorité exécutive qui gouverne. Le procureur a été très clair, qu’il n’a été ni de près ni de loin impliqué dans cette procédure. Quelque part, c’est que ce sont des gens qui sont allés les arrêter, des agents qui ont été identifiés. On a vu la déclaration du jeune qui avait été mis aux arrêts avec eux et relâché après. Donc, nous pensons que si les autorités judiciaires s’en lavent les mains, nous savons que comme il n’y a pas un État dans un autre État, on demande aux autorités actuelles qui gèrent le pays de faire sortir ces jeunes. Ce que nous savons, c’est que les gendarmes et les policiers sont sur l’ordre de l’exécutif. Ils peuvent jouer le rôle d’OPJ dans la procédure de suivi des dossiers judiciaires, mais peuvent recevoir aussi l’ordre de la hiérarchie. Il y a ces deux ordres qui ne vont pas dans le même sens. Souvent, l’État utilise le fameux concept de maintien d’ordre public pour se justifier. Donc, ce qui reste clair, nous leur demandons de tout faire pour que ces deux jeunes-là retournent en famille. Si réellement, ils ont fait des infractions de droit commun, que nous respections la procédure. Il n’y a pas de super-guinéens. Personne n’est au-dessus de la loi. Je crois que la Guinée n’est pas maintenant comme la Colombie, comme le Mali, où il y a une autre force en place qui rivalise avec l’État dans la gestion du territoire. Nous n’avons pas ce problème. Parce que ces cas d’enlèvement, ça se pose dans un lieu où le territoire est divisé, on peut utiliser d’autres camps de dissidents, mais il n’y a pas cette dissidence en Guinée. Nous sommes dans un État unitaire. Donc, le fait que nous sommes dans un État unitaire, il appartient à cet État de faire la lumière sur cette affaire », a-t-il lancé.
S’exprimant par rapport à l’appel des forces vives de Guinée pour une journée ville morte le 12 août prochain, Youssouf Camara dit que c’est un appel citoyen, confirmant la participation de l’UFDG à la réussite de cette journée. « Cela est un appel de citoyen, au-delà des considérations politiques. Nous estimons que quand un appel citoyen est lancé, nous avons le devoir de répondre à l’appel. Une journée de ville morte n’est pas une journée de violence. C’est de s’abstenir de travailler, c’est une forme de désobéissance civile pour exprimer son mécontentement, sa frustration face à la conduite du pays. Donc, je pense que l’idée est très salutaire, l’UFDG et tous les autres partis politiques et les Guinéens épris de paix, de justice et de liberté répondront favorablement à cet appel parce que cela y va pour l’intérêt de tous. Nous resterons chez nous et l’opinion nationale et internationale sera informée des motifs qui sont le retour à l’ordre constitutionnel, le respect des droits des citoyens et la fin des arrestations arbitraires. Si on peut être dans un État de droit, il faut que nous respections les principes qui gouvernent cet État de droit. A défaut, on proclame un royaume, s’ils ont la possibilité. Et là maintenant, tout le monde devient sujet du roi. Mais l’époque médiévale ou l’époque des empires, sont des périodes déjà révolues. Nous sommes en démocratie, en plein 21ème siècle. J’appelle tous nos concitoyens à respecter cette journée de ville morte », a-t-il laissé entendre.
Youssouf Camara s’est également prononcé sur la restructuration des instances de l’UFDG actuellement. « Nous sommes préoccupés par la restructuration du parti ici et à l’extérieur du pays, pour que nous soyons dans le délai d’organiser notre congrès. Ce qui est d’actualité. Mais parallèlement à ça, nous participons à toutes les activités qui nous permettront de sortir de cette crise. La crise elle est là, il ne faut pas essayer de dévier la question. Parce qu’aujourd’hui il n’y a pas de dialogue sincère. Le ton est en train de monter et il y a la peur au niveau des populations. On ne peut pas dépasser un seul carrefour aujourd’hui où vous ne trouvez pas un dispositif de gendarmerie, de la police ou des forces spéciales. Donc, un étranger qui vient actuellement en Guinée dans l’intention d’investir, il suffit qu’on le conduise de l’aéroport à Kaloum, le lendemain il demande son billet retour pour repartir, parce que l’argent a peur des bruits de bottes. Et pour que nous sortions de la pauvreté, pour que nous améliorions nos conditions de vie, on a besoin des investissements étrangers, c’est extrêmement important. Parce que l’État n’est pas capable de prendre en charge de tous les problèmes sociaux à la base. Il faut permettre aux gens de créer des emplois, d’embaucher nos jeunes, leurs permettre de se faire des intérêts… Mais, c’est la politique qui constitue la locomotive, s’il y a crise au niveau de la politique, tous les autres paramètres seront bloqués… »
Mariama Barry pour Guineematin.com