La ville de Conakry, capitale de la Guinée, fait face à d’importantes difficultés dans la gestion des déchets. Avec une population en constante augmentation et une urbanisation galopante et désordonnée, la production de déchets s’accroît de manière exponentielle. Chaque jour, des tonnes d’ordures ménagères, industrielles et commerciales sont générées, inondant les rues, les marchés, et les espaces publics. Le défi ne réside pas seulement dans la quantité de déchets produits, mais aussi dans l’inefficacité du système de collecte et de ramassage. Pour parler de cette problématique, un reporter de Guineematin.com a donné la parole à Sékou Keita, président de la Coordination des acteurs d’assainissement. Celui qui est également Directeur général de l’entreprise TRACO ASSAINISSEMENT, est longuement revenu sur les dangers liés à la décharge de Dar-Es-Salam, mais aussi sur les mesures à prendre pour en finir avec les difficultés ambiantes.
Guineematin.com : pouvez-vous nous décrire la situation actuelle de la décharge Dar-Es-Salam et les types de déchets qui y sont stockés ?
Sékou Keita : ce sont tous types de déchets qui viennent à la décharge de Dar-Es-Salam. Ce sont non seulement des déchets provenant des ménages, mais aussi des entreprises et des institutions. Tous genres de déchets arrivent à la décharge de Dar-Es-Salam. Ce sont seulement les déchets liquides qu’on envoie pas là-bas, parce qu’il y a un dépôt à Sonfonia, un à Yimbaya école, au bord de la mer, où on doit les envoyer.
Quelles sont les principales conséquences environnementales de la décharge Dar-Es-Salam, tant en saison sèche qu’en saison pluvieuse ?
Il y a une société qui a été recrutée par l’Etat pour la gestion des déchets au niveau de la décharge de Dar-es-Salam mais qui, par faute de moyens, n’a pas pu faire le travail conformément au cahier de charges. Normalement, c’est elle qui devait gérer ces déchets par enfouissement, mais malheureusement, l’entreprise n’a pas pu le faire. Elle procède à la brûlure des déchets. Quand vous arrivez aux environs de Dar-Es-Salam, vous êtes frappés par la fumée qui est toxique, nocive pour la respiration, même pour un simple passant, à plus forte raison pour les riverains. Vous n’êtes pas sans savoir que la fumée qui se dégage des ordures brûlées au niveau de la décharge-là jusqu’à Bambéto et ça va jusqu’à Gbessia rond-point. Tous ceux qui sont dans cette zone sont affectés par la fumée toxique provenant de cette décharge. Une fumée issue de toutes sortes d’ordures. Comme c’est déposé par terre, automatiquement ça attaque la nappe phréatique. Toute personne qui consomme l’eau puisée dans les puits creusés dans ces différents quartiers, ces personnes s’exposent à des maladies diarrhéiques ainsi que plusieurs autres maladies liées à consommation de l’eau souillée venant de la décharge. Il y a aussi les moustiques. Aujourd’hui, le paludisme tue plus que le SIDA. Il y a un système de développement de l’inoculation de l’anophèle femelle autour des déchets, surtout là où convergent tous les déchets de la ville de Conakry. Donc, on ne finit pas de citer les conséquences des déchets déposés au niveau de la décharge de Dar-Es-Salam. Les populations de Dar-Es-Salam ou des quartiers environnants, soit elles quittent, si elles ont les moyens, ou l’Etat trouve une solution immédiatement pour les traiter, même si la décharge doit être déplacée. C’est très dangereux pour la vie des hommes. Normalement, l’entreprise a signé un contrat basé sur un système d’enfouissement technique, c’est-à-dire creuser des trous et mettre les déchets dedans. Là on ne voit pas la fumée, ça va quand-même affecter la nappe phréatique, mais ça ne va pas jouer directement sur la vie des populations, comme c’est le cas maintenant. L’air transporte les maladies, mais l’eau aussi transporte les maladies en bas du sol. Vous verrez, dans les quartiers riverains où l’eau souillée est en train de couler, c’est une eau provenant surtout des déchets ménagers notamment organiques. C’est ce qui coule sous les pieds des gens et ça contient des bactéries qui peuvent facilement affecter le corps humain.
Un projet de construction d’un nouveau dépôt d’ordures à Kouria, dans la préfecture de Coyah, avait été entrepris. Où en est-on aujourd’hui ?
L’Union avait financé la construction du dépôt de Kouria plus précisément à Baretodé. Les travaux sont en cours. Mais ce n’est pas prêt pour le moment. Ils sont en train de travailler. Et ce qui va décongestionner la ville de Conakry en matière de gestion de déchets. L’ouverture de ce dépôt est prévue en 2027. C’est pourquoi les populations de Dar-Es-Salam qui sont venues trouver les déchets sur place puisque là-bas, c’était une zone inhabitée quand l’Etat donnait ça comme décharge. Ils doivent prendre leur mal en patience pour attendre ces deux ans là, le temps pour l’Etat de finir les travaux de la construction de ce nouveau dépôt Kouria. Sinon, c’est Conakry qui sera inondée de déchets.
Des riverains de cette décharge qui se rendent dans les hôpitaux sont interrogés souvent sur une éventuelle consommation de la cigarette. Est-ce que vous pensez que c’est la fumée qui se dégage à partir de la décharge qui en est la cause ?
Exactement. C’est la fumée qui se dégage à partir des déchets brûlés au niveau de la décharge qui les a affectés. Même quand il pleut, vous verrez la fumée qui se dégage au niveau de la décharge. Il y a un feu là-bas que la pluie ne peut pas éteindre. Même si vous réunissez tous les sapeurs-pompiers de Conakry, ils vont faire des mois et des mois en train d’éteindre ce feu. Donc, la fumée-là, respirée par les riverains, même par les passants, est très toxique. C’est normal que les médecins leur demandent s’ils fument ou non parce qu’ils fument en clair. Ce qu’ils fument est plus dangereux que ce que fume le fumeur de cigarette. La fumée qu’ ils respirent est plus dangereuse que celle produite par la cigarette. Parce que c’est la fumée des ordures, des déchets toxiques.
Comment les impacts de la décharge varient-ils entre la saison sèche et la saison des pluies ?
Que ça soit pendant la saison sèche ou pendant la saison pluvieuse, la décharge de Dar-Es-Salam, c’est un lieu à éviter. Il est dangereux de vivre auprès de la décharge de Dar-Es-Salam.
Y a-t-il des risques spécifiques pendant l’une ou l’autre saison ?
Pendant la saison pluvieuse, il y a les risques d’éboulement qui sont toujours là. Ça peut dégénérer à tout moment pendant l’hivernage. Le développement des maladies, comme le paludisme et la diarrhée, est vraiment facile pendant la saison pluvieuse. C’est-à-dire ce qui est mieux, c’est d’éviter de vivre auprès de la décharge de Dar-Es-Salam.
Quels types de solutions ou d’initiatives pourraient être envisagées pour améliorer la gestion des déchets et réduire les impacts négatifs ?
Il faut remercier et saluer l’Etat. Il a entrepris un programme de déplacer la décharge Dar-Es-Salam à Kouria à travers l’Agence nationale de salubrité publique (ANASAP). Les travaux sont beaucoup en avance. Cela va soulager à plus d’un titre. Ce qui est salutaire. Sinon, la décharge de Dar-Es-Salam ne peut plus être le dépotoir de la ville de Conakry. Dar-Es-Salam est dépassé. L’espace est petit. Depuis belle lurette, c’est à Dar-Es-Salam qu’on dépose les ordures. Quand vous êtes à côté de la décharge, vous allez penser que ce sont des rochers mais ce ne sont que des déchets qui sont accumulés jusqu’à ce que c’est devenu une montagne. Les déchets au niveau de Dar-Es-Salam pourraient produire de l’électricité, mais la décharge n’est plus à ce niveau. Le dépôt de Baretodé pourra produire de l’électricité, des engrais et autres, mais pas celui de Dar-Es-Salam. Ce n’est plus possible. L’espace est petit, le lieu est inapproprié, on ne peut plus rien de là-bas. Même vivre là-bas après 5 ans, 10 ans, 20 ans jusqu’à 50 ans, ça sera dangereux. La décharge d’ordures de Dar-Es-Salam doit être encadrée par l’Etat, la garder pendant longtemps pour ne pas que les populations s’accaparent des lieux pour y vivre, construire des bâtiments qui peuvent s’écrouler. Parce que les déchets ne sont pas comme de la terre. En construisant sur les déchets, on peut assister à l’écroulement de ces bâtiments très rapidement. La terre est brûlée depuis longtemps. Donc à Dar-Es-Salam, vaut mieux fermer. C’est ce que l’Etat est en train de faire, les travaux avancent à grands pas.
Quelles sont, selon vous, les étapes clés à suivre pour améliorer la situation dans les années à venir ?
C’est de trouver une entreprise qui va gérer efficacement la décharge, pour diminuer la peine des populations. Une entreprise qui a plus de moyens que celles qui la gèrent actuellement la décharge de Dar-Es-Salam. Il faut aussi dire que l’Etat est un mauvais payeur. L’entreprise qui là-bas est actuellement est appauvrie par le non-paiement de la part de l’Etat. Elle se permet de faire assister par d’autres entreprises pour fonctionner. C’est ce qui est marrant. La population n’est pas au courant de ça, souvent il y a des soulèvements. Vous allez trouver que ce n’est pas la faute de l’entreprise qui a la charge de gérer. Même nous acteurs qui sommes dedans, parfois, on est bloqué. Mais quand on va à la source de l’information, on trouve que l’entreprise a fait 6 mois, un an, sans être payée par l’Etat. Et tout ça n’encourage pas. L’Etat doit s’intéresser à la vie de la population, à la santé de population, en réduisant les causes des maladies au lieu de construire des hôpitaux en grand nombre. Nettoyer est bien, mais le pas salir est meilleur. Construire des hôpitaux et centres de santé est bien, mais investir pour éviter d’avoir un grand nombre de personnes malades qui viennent à l’hôpital serait le mieux.
Propos recueillis par Mamadou Laafa Sow pour Guineematin.com
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