Née à Kankalabé, une commune rurale relevant de la préfecture de Dalaba, Hadja Iliassou Diallo est l’une des anciennes secrétaires du premier président de la République de Guinée, Ahmed Sékou Touré. Cette doyenne de 76 ans, formée en secrétariat, a été et continue d’être une vraie combattante de la vie. Elle a été enseignante, secrétaire et activiste. L’activisme, elle continue toujours de l’exercer malgré son âge avancé. Ayant évolué dans un contexte peu favorable pour une jeune fille de cette époque, Hadja Iliassou Diallo, a raconté au micro de Guineematin les différentes phases de sa vie socioprofessionnelle.
Hadja Iliassou Diallo a fait l’école primaire à Kankalabé. Ensuite, elle a été admise à l’Ecole nationale de secrétariat de Conakry, où elle a fait 5 ans de formation. Elle en sortira major de sa promotion, titulaire d’un BTS, avant de bénéficier d’une bourse d’études.
Interrogée par notre reporter, Hadja Iliassou Diallo parle de ses débuts dans le milieu professionnel. « Après ma formation, on a choisi certains stagiaires qu’on a envoyés suivre une formation professionnelle, parce qu’à l’époque, on avait besoin d’avoir des formateurs, des gens qui pouvaient assurer le perfectionnement des travailleurs. Donc, il y avait une équipe qui était sélectionnée, dont moi. On a fait le stage, parallèlement à ça je donnais des cours à l’Ecole de secrétariat et de comptabilité de Belle vue. J’enseignais, au même moment, je travaillais au Centre de perfectionnement du 2 août pour pouvoir l’après-midi former les employés, notamment les secrétaires. Donc, après cette étape, et après la soutenance de mon mémoire, j’ai été affecté à l’Ecole professionnelle de comptabilité qui était à la Belle vue, qui est aujourd’hui l’école des missionnaires à côté de la Case. J’enseignais là-bas, en même temps je continuais à travailler au Ministère de l’Hydrologie pour pouvoir un peu accompagner les travailleurs, notamment les secrétaires qui étaient dans les différents bureaux et qui n’étaient pas suffisamment qualifiés », explique-t-elle.
Par ailleurs, Hadja Iliassou Diallo a expliqué comment elle est devenue l’une des secrétaires de Sékou Touré. « Ce qui a motivé mon départ vers la présidence, c’est que quand j’étais à Belle vue et à Poly, j’ai eu un problème avec certains étudiants parce qu’il y en a toujours qui ne sont pas faciles à gérer et à cette époque, j’étais très nerveuse et je faisais des crises qui faisaient que tout mon corps tremblait. Donc, j’ai bénéficié d’une bourse médicale. Arrivée au Maroc, un médecin qui était de garde m’a trouvé en pleine crise et après consultation, il a décelé ce que je devais être opérée et qu’après mon opération, pendant 2 à 3 ans, je ne devrais plus enseigner, parce que je ne devais plus être exposée à des milieux où je m’énervais. Donc, à mon retour, on m’a donné un congé professionnel. Après ça, mon mari a eu quelques difficultés au travail et je suis allée avec ma belle-mère, voir le président pour négocier. En cours de négociation, j’ai trouvé qu’il y avait une de ses secrétaires qui s’était mariée et qu’il était en train d’en recruter une pour pouvoir la remplacer. A l’époque, le sujet du test, c’était un document de Jean Ciré Canal qui formait les gens à l’université et il avait transformé sa formation en livre. Alors moi, j’avais eu la chance de suivre ce cours à l’université, donc je pouvais mieux comprendre ce qu’il a écrit, alors que mes collègues qui n’avaient pas suivi ce cours et qui n’avaient pas le même niveau que moi, étaient déjà défavorisés. C’est comme ça que j’ai saisi ce document et j’ai déposé. Et quand il a vu ça, il m’a immédiatement recruté. Il était très exigeant, mais si tu savais faire ton travail et que tu faisais du bon travail, il savait encourager les gens par rapport à ça. Mais ce n’était pas aussi facile, parce que quand tu travailles dans certains milieux, ce n’est pas du tout aisé. Si tu travailles bien, ce sont des jalousies, et si tu travailles mal, ce sont des problèmes… »
A la mort du Président Sékou Touré, Hadja Iliassou Diallo a dû quitter la présidence. Mais déterminée à être une femme indépendante, elle s’est reconvertie en activiste dans le domaine de la santé.
« A l’arrivée du Président Conté, tous ceux qui ne relevaient pas directement de la présidence ont été demandés de rejoindre leurs ministères, parce qu’à un moment donné, le Président avait dit qu’il ne pouvait pas garder tout le monde. Donc moi, j’étais payé au compte de l’Université Gamal Abdel Nasser, mais je travaillais à la Présidence. Donc, je devais rejoindre l’université, mais je ne pouvais pas enseigner encore. Alors, je suis allée travailler avec une société aujourd’hui qu’on appelle les trois aïeux, elle était supervisée par monsieur Condé Mamady. C’était une structure qui permettait une mise en relation entre les opérateurs en herbes de chez nous et les opérateurs qui venaient des États-Unis. J’y ai travaillé jusqu’à l’arrivée d’un nouveau directeur qui a demandé aux anciens dignitaires que nous étions de dégager. Après là-bas, je suis devenue l’assistante du ministre du Plan de l’époque jusqu’au moment où j’ai dû quitter. Donc, j’ai préféré revenir dans les ONG. Alors, je suis venue travailler avec une ONG qui appuyait le Ministère de la Santé dans le cadre de l’appui pour les prestations en matière de santé reproductive. On était contre les mutilations génitales féminines et c’est une ONG qui formait les médecins qui sont au Ministère de la Santé dans le cadre de tout ce qui se faisait dans l’appui pour favoriser la promotion des soins de santé primaire. Après, cela je suis allée vers une autre ONG qui évoluait dans le même cadre, elle s’occupait de la lutte contre le SIDA et faisait la promotion des contraceptifs. Depuis, j’ai beaucoup aimé la vie associative et c’est ce que je continue jusqu’à présent. Je n’ai pas pu m’en débarrasser, malgré ma jeunesse actuelle. Je ne dirais pas que combiner tous ces boulots était facile, mais c’était fascinant pour moi », affirme-t-elle.
Par ailleurs, cette doyenne, aujourd’hui âgée de 76 ans, a partagé les difficultés auxquelles elle a été confrontée. « Ce n’était facile dans la mesure où les parents, dès que tu as un certain âge, ont peur que leur fille contracte des grossesses non désirées. Donc, il était tout un problème pour une jeune fille d’échapper à un mariage précoce ; mais, on a échappé à ça. Et il y a le fait qu’à l’époque, il n’y avait pas assez de collèges. Il fallait quitter ton village, venir jusqu’à Conakry pendant que ce n’était pas sûr que tu allais avoir un bon encadreur. Parce que même au niveau des encadreurs, tu peux être là et être immédiatement victime d’une certaine violence domestique et cela aussi pouvait empêcher que tu puisses suivre tes cours. A ce niveau, il faut dire que moi j’ai bénéficié d’une chance parce que quand on est venu, on était à l’internat et il y avait des surveillantes qui étaient là. Donc, tu ne pouvais pas être libre de sortir et faire du n’importe quoi. Alors, il y avait un chronogramme de toute la journée. D’abord, tu suis les cours, tu vas manger, et la nuit, tu viens faire la révision obligatoire. Et après, tu reviens te coucher à une certaine heure. Donc, tout était surveillé à la lettre. Ainsi, il y avait une discipline qui était là, qui te permettait d’étudier, de pouvoir le faire et c’était ça l’avantage. Mais l’inconvénient, c’est quand tu ne résistes pas à certaines tentations, parce qu’il y avait aussi à notre temps des filles qui, quand elles sortaient après une ou deux semaines à l’école, elles se livraient à ces tentations et elles étaient capables de mettre tout en l’air en tombant enceinte et abandonner ou alors se marier à un commerçant pour ne pas continuer les études. Donc, on a été confronté à beaucoup de difficultés pour pouvoir continuer les études jusqu’à l’université. Mais de l’autre côté, il y avait l’internat qui était un moyen qui permettait de discipliner les gens et d’avoir des comportements citoyens. Si je peux parler de ma promotion, nous par exemple, il n’y avait pas ce clivage qu’on voit aujourd’hui, c’est-à-dire se demander qui vient de quelle région ou bien toi tu appartiens à quelle ethnie. On était là-bas comme des frères et sœurs, on a vraiment appris à nous aimer, à partager nos peines et jusqu’à aujourd’hui, nous avons des associations qui permettent de développer ce sentiment », a-t-elle expliqué.
Poursuivant, Hadja Iliassou Diallo a expliqué qu’elle aussi avait failli être mariée pendant qu’elle étudiait. « Quand je suis nouvellement venue à l’institut, il y avait un aviateur qui était l’ami de mon beau-frère, là où j’étais, qui avait voulu m’épouser. Donc, il y a eu beaucoup de pression pour que j’accepte les fiançailles. Donc, j’ai donné mon accord et il a commencé à me dire qu’il fallait qu’on fasse le mariage, j’ai dit non. Au moment où tu es venu demander ma main, je t’ai dit que je ne peux pas associer les études et le mariage. Donc, si tu peux attendre, Ok. Dans le cas contraire, je ne peux pas continuer, je préfère rompre. Si tu ne peux pas m’attendre, il vaut mieux te trouver une femme ailleurs et il l’a fait. Finalement, les parents étaient très fâchés, mais mon père m’aimait beaucoup et je crois que ce qui m’a aidé. J’avais aussi un frère qui m’a beaucoup soutenu et surtout j’avais la volonté aussi. Ça a été très difficile, mais je crois que le fait de quitter ses parents très tôt pour venir quelque part, tu accumules une certaine expérience qui te permet de faire face à certains obstacles », a raconté l’ancienne enseignante.
Étant toujours active sur le terrain malgré son âge avancé, l’ancienne secrétaire de Sékou Touré conseille à toutes les femmes d’accepter de se former afin d’être indépendantes. « Il faut que les femmes acceptent de se former, de susciter cette autonomisation, qui leur permettra de mieux évoluer et d’avoir leur équilibre. Parce que si tu n’as pas ton équilibre, ça ne marche pas et cela peut déteindre aussi sur les enfants. Parce que la manière dont tu te comportes, la manière dont les enfants te voient évoluer, ça joue beaucoup, ça a un emprunt sur les enfants parce que la femme est chargée de l’éducation », a laissé entendre dame Iliassou Diallo.
Mariama Barry pour Guineematin.com