La traite d’enfants persiste en Guinée : « Un jour, elle m’a frappée jusqu’au sang » (victime)

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Selon des données du Fonds des Nations Unies pour l’Enfance (UNICEF), les enfants représentent près du 1/3 des victimes de traite dans le monde, soit 28% des victimes identifiées de la traite. Dans des régions comme l’Afrique subsaharienne, l’Amérique centrale et les Caraïbes, la proportion des enfants parmi ces victimes est encore plus importante : 64% et 62%, respectivement. Des statistiques livrées par l’UNICEF et le Groupe Inter institutions de Coordination contre la Traite des Personnes (ICAT), le 29 juillet 2018 à New York. En Guinée, plusieurs enfants, en particulier des jeunes filles de moins de 15 ans, sont victimes de traite. Alors que les victimes expriment leur mésaventure, des défenseurs des droits de l’homme tirent la sonnette d’alarme, a appris Guineematin.com à travers un de ses reporters.

Si beaucoup de personnes banalisent la traite des enfants, pour les victimes, la pratique engendre d’énormes soucis, tant physiques que psychologiques. Pour la petite Kadi (prénom modifié), interrogée par Guineematin.com, les années vécus auprès d’une dame qu’elle appelle affectueusement maman, ont été tout sauf des périodes de joie. Entre exploitation par les travaux ménagers, violence physique et absence d’éducation, cette jeune fille est tout aujourd’hui sauf celle qu’on avait promis de construire lorsqu’elle quittait son village. « Quand je suis venue à Conakry avec ma tante, j’avais 11 ans. Elle était partie me prendre au village pour m’amener avec elle. Elle avait dit à ma mère que c’est pour rester avec elle vu qu’elle était seule et que son enfant était petit. Ma mère a accepté, mais elle lui a demandé de me mettre à l’école ou de m’aider à apprendre un métier. Quand je suis venue, au début, j’étudiais ; mais après, ma tante a dit que je ne suis pas intelligente. Elle m’a inscrite dans un atelier de couture. Quand elle a eu son deuxième enfant, je ne pouvais plus suivre bien ma formation. Je devais m’occuper de deux enfants, alors qu’elle allait à l’école. Avec les travaux ménagers que je faisais depuis mon arrivée, c’est-à-dire absolument tous les travaux, je ne pouvais plus faire autre chose. Quand je dis parfois que je suis fatiguée ou qu’elle revient et trouve que ses travaux ne sont pas faits, elle me frappe. Un jour, elle m’a frappée jusqu’au sang. Elle m’a gravement blessé. Les voisins ont parlé, mais elle a dit que j’ai volé son argent alors que ce n’était pas vrai du tout. Quand son mari parle, elle lui dit de ne pas s’en mêler. Ça fait plusieurs années  que je suis là, je n’ai rien appris. Depuis mon arrivée, je fais que des travaux ménagers. Ma mère est décédée, je ne peux plus retourner au village là-bas vu que je ne connais personne. Parfois, j’ai envie de partir mais je n’ose pas. Devant les gens, elle dit que je suis sa fille, mais je ne fais que travailler à la maison », raconte-t-elle.

Interrogée à ce sujet par notre reporter, maître Murielle Houesse Houindo, avocate au barreau de Guinée, revient sur ce qu’est la traite des enfants.

Me Murielle Houesse Huindo, avocate au barreau de Guinée

« Pour ce qui est de la traite des enfants, l’article 893 du code de l’enfant est clair. La traite d’enfants est le fait de recruter, de transporter, de transférer, d’héberger ou d’accueillir un enfant à des fins d’exploitation dans l’une des circonstances suivantes : soit avec l’emploi de menace, de contrainte, de violence ou de manœuvre dolosive, visant l’enfant, sa famille ou une personne en relation avec l’enfant ; soit par un ascendant légitime, naturel ou adoptif de cette personne ou par une personne qui a autorité sur elle ou abuse de l’autorité qui lui confère ces fonctions ; soit par abus d’une situation de vulnérabilité due à son âge, à une maladie, à une infirmité ou à une déficience physique ou psychique ou en cas de grossesse apparente ou connue de son auteur. Soit en échange ou par octroie d’une rémunération ou de tout autre avantage ou d’une promesse de rémunération ou d’avantage… Et souvent, le cas le plus palpable, ce sont ces petites filles qui quittent le village, qu’on amène en ville pour venir travailler qui ont moins de 15 ans, 16ans, dont la plupart ont 13 ans, 14 ans, c’est de la traite. On ne s’en rend pas compte, mais c’est de la traite », a-t-elle expliqué.

Par ailleurs, maître Murielle Houesse Houindo est revenue sur les textes de loi et les sanctions prévues à ce sujet et les circonstances dans lesquelles elles sont applicables. « Les sanctions liées à la traite sont à double défis. L’article 894 du code de l’enfant a énuméré des sanctions à deux tranches : vous avez un emprisonnement allant de 5 à 10 ans, et une amende de 50 millions à 100 millions de francs guinéens. Tout auteur ou complice convaincu de traite à l’égard d’un enfant, sa tentative est punissable. Maintenant, la deuxième sanction qui pourrait se greffer à cela, c’est l’interdiction de séjour de 3 à 5 ans, qui peut être prononcée contre les auteurs ou les complices. Et dans ce cas de figure, la particularité avec la traite des enfants est qu’il n’y pas de possibilité de condamner les auteurs ou les complices au sursis. L’article 894 est clair là-dessus », dit-elle.

En outre, l’avocat précise qu’en cas de circonstances aggravantes, la loi est plus sévère dans la répression. « L’article 895 vient rendre la peine applicable à la traite sévère, surtout lorsqu’il y a des circonstances aggravantes selon lesquelles lorsque l’enfant est âgé de moins de 15 ans, au moment de la commission des faits, lorsque l’acte a été commis avec violence, lorsque l’auteur a fait usage de stupéfiants pour altérer la volonté de la victime, lorsque l’auteur était porteur d’une arme apparente ou cachée, lorsque l’enfant a été séquestré ou placé dans un endroit public ou privé, les actes de traite ont causé à l’enfant une incapacité physique, morale ou mentale ou toutes autres séquelles médicalement consultées ; si la traite est l’œuvre d’un groupe organisé, si l’enfant a été soumis aux pires formes de traite, l’infraction avait pour but le prélèvement d’un ou plusieurs organes de l’enfant ; si c’est une récidive, si la traite a été commise à l’égard de deux ou plusieurs enfants, si la traite a été commise à l’égard d’un enfant qui se trouvait hors du territoire de la République ou lors de son arrivée sur le territoire de la République, lorsque l’enfant a été mis en contact avec l’auteur des faits grâce à l’utilisation pour la diffusion de messages à destination d’un public non déterminé, d’un réseau de communication électronique ; si la traite a été commise dans des circonstances qui exposent directement l’enfant à l’égard duquel l’infraction est commise à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mitigation ou une infirmité permanente ; si la traite a été commise par une personne appelée à participer par ses fonctions à la lutte contre la traite et le maintien de l’ordre public ; lorsque du fait de la traite des êtres humains, l’enfant a été placé dans une situation matérielle et psychologique grave. Donc là, la sanction qui est applicable, c’est la réclusion criminelle à temps, allant de 7 à 10 ans, et d’une amende de 50 millions à 100 millions de francs guinéens lorsque ces circonstances-là viennent se greffer à l’infraction de la traite d’enfants. Et à cette nouvelle sanction pénale, on peut toujours y greffer l’interdiction de séjour de 3 à 5 ans », a fait savoir maître Murielle Houesse Houindo.

Fatoumata Bah pour Guineematin.com

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