Trois ans du CNRD au pouvoir : « L’image que la transition renvoie, par rapport aux droits humains, est très sombre » (Me Halimatou Camara)

Me Halimatou Camara, avocate

A son avènement au pouvoir le 5 septembre 2021 (après un coup d’Etat contre le régime d’Alpha Condé : ndlr), le Comité national du rassemblement pour le développement (CNRD) avait promis de faire de la justice la boussole qui guidera les pas de chaque Guinéen. Cette junte militaire dirigée par le Général Mamadi Doumbouya (à l’époque colonel) s’était aussi engagée à préserver et protéger les droits et les libertés individuelles et collectives dans le pays. Mais cet engagement ne s’est visiblement pas traduit dans les actes. « Les manifestations ont été interdites et la liberté d’expression de plus en plus restreinte… au moins 50 personnes ont été tuées en Guinée entre janvier et juin 2024 », selon un rapport des Nations Unies.

Dans un entretien accordé à Guineematin.com mercredi, 4 septembre 2024, Me Halimatou Camara, avocate au barreau de Guinée, a parlé d’une “image très sombre” des droits de l’homme dans le pays. Et pour illustrer son propos, elle a surtout pointé du doigt la banalisation de la vie humaine à travers les tueries et les disparitions forcées.

« Le tableau concernant la question du respect des droits n’est pas un tableau reluisant. L’image que la transition renvoie, par rapport aux droits humains, est très sombre. Ça fait plus de 50 jours aujourd’hui que Foniké Mengué et Billo Bah ont disparu. Alors que ces gens représentaient des voix discordantes. Donc pour moi, aujourd’hui, sur le plan des droits humains, nous sommes dans une situation très critique. Et cela n’émane pas simplement de l’apanage de la gestion du Général Mamadi Doumbouya. Aujourd’hui, on a assez d’éléments pour dire que des personnes haut placées seraient derrière ces disparitions forcées. Quand on reste dans le rôle régalien de l’État, celui de la protection des citoyens, de tous les individus, quand on reste simplement sur cette lancée, on sait qu’on ne peut pointer du doigt que l’État. Aucun responsable, si ce n’est lui. Et il faut se poser la question, la disparition de ces personnes, qui lançaient des campagnes pour les médias, profitent à qui ? Cette théorie selon laquelle les adultes peuvent disparaître volontairement, c’est une théorie totalement battue. Puisqu’on a affaire à des gens qui avaient envie de rester, de vivre avec leurs femmes et enfants. Il y a un certain nombre de questions qui peuvent nous assurer qu’ils ne peuvent pas disparaître comme ça », a-t-elle martelé.

Récemment, plusieurs dignitaires du pouvoir du CNDD (la junte militaire qui avait pris le pouvoir en Guinée en 2008 après le décès du Général Lansana Conté) ont été condamnés à Conakry pour crimes contre l’humanité. De nombreux acteurs ont estimé que ce procès impliquant un ex chef de l’Etat (capitaine Moussa Dadis Camara) devait servir d’exemple aux autorités du CNRD actuellement au pouvoir. Me Halimatou Camara a pris part à ce procès en tant que conseil de la partie civile. Et, elle trouve troublant et paradoxal le comportement de cette junte qui a pourtant organisé ce procès.

« L’ouverture du procès du 28 septembre a été saluée par nous qui réclamions justice depuis plus de 15 ans. Mais vous savez, quand une affaire judiciaire et emblématique est jugée, on suppose que cela doit marquer un élan dans ce qu’on appelle l’établissement des piliers de vérité, de justice, réconciliation qui concourent à des garanties. Donc, on ne peut pas avoir des décisions de justice où l’on condamne des gens pour des disparitions forcées, pour des assassinats, des crimes, de personnes qui étaient allées manifester, et être aujourd’hui dans une optique où les manifestations sont interdites. Puisque les mêmes causes conduisent aux mêmes effets… Vous savez aujourd’hui qu’on a à la tête de notre appareil judiciaire des gens qu’on a entendu dire qu’on les empêchait de faire leur travail. Est-ce qu’ils sont instrumentalisés, je dirais que non, ils ont simplement choisi le mauvais côté de l’histoire. À un moment donné, il faut arrêter d’infantiliser les gens. Ils sont conscients des enjeux et choisissent de continuer à banaliser la vie humaine. Sinon, la disparition de deux vies humaines devrait mobiliser l’ensemble de l’appareil judiciaire, le procureur général pour mener des enquêtes sérieuses et élucider cette affaire », a-t-elle indiqué.

Mamadou Baïlo Diallo pour Guineematin.com

Facebook Comments Box