Lu pour vous ! Trois refus de titres de séjour, un prix à Cannes et un ultime espoir: Abou Sangaré, jeune guinéen apprenti mécanicien à Amiens, est le héros de « L’Histoire de Souleymane », un film de Boris Lojkine en salle en octobre. Le préfet de la Somme a sollicité un réexamen de sa situation.
En 2023, Abou Sangare, étudiant en mécanique, est bénévole dans une association d’éducation populaire à Amiens quand le responsable l’informe d’un casting: le réalisateur Boris Lojkine cherche des jeunes Guinéens.
« J’ai passé un entretien de 5-10 minutes, puis je suis parti, j’avais du travail sur une voiture… dans l’aprem, l’équipe m’a rappelé pour refaire un essai », raconte le jeune homme de 23 ans, chemisette et cheveux tirés en arrière, venu présenter le film en avant-première à Amiens.
Le réalisateur, à ses côtés, raconte avoir été convaincu par « un moment de silence » lors de nouveaux essais à Paris: « il y avait une telle densité, tout à coup, c’était du cinéma ».
Né le 7 mai 2001 à Sinko, dans le sud-est de la Guinée, Abou Sangare est déjà apprenti mécanicien quand il quitte son pays avec l’espoir d’aider sa mère, malade. Adolescent, il traverse Mali, Algérie, Libye, Méditerranée, et Italie avant d’arriver à Paris en 2018, à 16 ans.
On lui conseille de rejoindre une autre ville « plus petite », « on me dit +Paris, tu vas galérer+ », il choisit Lille, raconte-t-il pudiquement. Mais, « Gare du Nord, des contrôleurs sont sur le quai » et « je n’ai pas de ticket », il est tard, « je prends le dernier train, direction Amiens ».
– « Un grand acteur » –
Dans le film, en salle le 9 octobre, le héros Souleymane est lui aussi guinéen, mais c’est à Paris qu’il survit comme livreur à vélo, sillonnant la capitale sac cubique sur le dos, et préparant son entretien de demande d’asile.
Pendant une heure et demie, collés au personnage principal, « on épouse la perspective qu’il a sur le monde », observant Paris « dans ses yeux », raconte le réalisateur.
Présenté à Cannes en mai dans la section Un certain regard, le film a reçu le prix du jury, et Abou Sangare le prix d’interprétation masculine.
Boris Lojkine a mené des entretiens avec des livreurs pour connaitre l’envers du décor: la sous-location de compte, les clients, leur relation entre eux… Abou Sangare, qui n’avait aucune expérience d’acteur, est devenu livreur pendant deux semaines, pour se familiariser avec le rôle.
Afin d’incarner la « densité de réel, c’est important d’avoir des détails, toutes ces petites choses qu’on ne peut pas inventer », explique le réalisateur, qui a aussi « brouillé les pistes » entre Abou Sangare et Souleymane « pour l’aider à rentrer complètement dans le rôle ».
Lors de l’entretien pour la demande d’asile, l’une des scènes les plus poignantes du film, c’est une partie de sa propre histoire qu’Abou Sangare livre à l’écran.
« C’est le cadeau que Sangare fait au film, nous avons tous été bluffés, c’est le moment où il devient un grand acteur », loue le réalisateur.
– « Coups de massue » –
Au quotidien, Abou Sangare est un jeune homme « plutôt discret », décrit Sibylle Luperce, membre du réseau éducation sans frontières à Amiens, qui le suit depuis son arrivée.
Il a parfois été « découragé » après les trois refus de régularisation, des « coups de massue » pour le jeune guinéen, « travailleur », « sérieux », « exigeant », affirme-t-elle.
Le 24 juillet, le tribunal administratif d’Amiens a confirmé le refus de titre de séjour » et « validé l’obligation de quitter le territoire », a indiqué à l’AFP la préfecture de la Somme.
Toutefois, « en raison du parcours d’intégration de l’intéressé », le préfet a sollicité début août un réexamen de sa situation et un nouveau dossier doit être déposé auprès des services préfectoraux.
Le jeune Guinéen se dit pressé de reprendre son travail de mécanicien, tout en passant des castings pour d’autres films – des projets suspendus à une possible régularisation. « Tant que ma situation n’est pas réglée, je ne peux rien envisager », regrette-t-il.
« Quand on prend Sangare pour jouer le rôle principal du film, c’est une responsabilité », estime le réalisateur. « C’est seulement quand il aura obtenu ses papiers que j’aurai l’impression d’avoir fini mon film. »
AFP