La Guinée s’apprête à célébrer la date historique du 28 septembre, étape importante dans la marche de notre pays vers son accession à l’indépendance nationale en 1958. Pour rappeler le sens de cette date du 28 septembre 1958, le doyen Ismael Condé, professeur de Sociologie à la retraite, a organisé une conférence de presse à Conakry ce jeudi, 26 septembre 2024. L’échange avec les médias a eu pour thème : « À quoi, exactement, avons-nous dit NON au référendum du 28 septembre 1958 ou la signification profonde de l’indépendance Guinéenne ». Une rencontre riche en échanges et en enseignement, a constaté sur place Guineematin.com à travers un de ses reporters.
Après la révolte du Vietnam et de l’Algérie pour arracher leurs indépendances à la France, le Général Charles De Gaulle s’est lancé dans un combat pour le maintien du reste des colonies de la France sous sa domination. Le 25 août 1958, il fait campagne pour proposer aux colonies africaines une collaboration appelée « communauté française ». En Guinée, le PDG-RDA, sous le leadership d’Ahmed Sékou Touré, s’était opposé à sa proposition, aboutissant à un NON lors du référendum du 28 septembre 1958. Conséquence ? La Guinée obtient son indépendance le 02 octobre 1958.
C’est pour parler de cette date importante que le doyen Ismaël Condé a animé cette conférence de presse. D’entrée, ce partisan de la ‘’révolution’’ est revenu sur les conditions de domination des peuples africains expliquant ainsi, une partie des raisons de ce NON de la Guinée. « Il fallait définir la politique nouvelle de la France dans les colonies après que la guerre soit totalement terminée. Il y a eu ainsi la conférence de Brazzaville qui engageait la base qui a suivi la première phase de la colonisation. Cette nouvelle phase a été appelée l’Union Française. Avant cette union française, dans le cadre de l’empire colonial français, notre statut était celui de l’indigène. D’aucuns ont dit finalement que la colonisation était la transposition de l’exploitation esclavagiste en Afrique. Pour les travaux forcés par exemple, c’étaient des entreprises françaises qui venaient donner de l’argent aux chefs de canton pour pouvoir exploiter le peuple qui était là. Comme ils voulaient exporter nos produits, il fallait construire des routes. Donc, les infrastructures qui étaient là ont été faites à partir des travaux forcés pour l’intérêt des colons. Ça, c’est le statut d’indigène qui a occasionné cette triste histoire. On passa ensuite du statut d’indigène pour devenir un citoyen. Mais pas un citoyen à part égal avec le citoyen français. C’est la phase de l’assimilation qui était ainsi ouverte. C’est-à-dire, il fallait nous transformer en français. Donc, on nous a imposés des coutumes, des pratiques, qui nous assimilaient à la France ou bien aux français. Ainsi, l’avancement pour le fonctionnaire était conditionné par le fait que le fonctionnaire mange comme les français. C’est entre-temps que le Général De Gaulle a été rappelé au pouvoir. Quand un pays est en difficultés, la première solution pour sortir de cette difficulté, c’est une forte unité nationale donnant un Etat fort. Dans les circonstances d’après-guerre, il fallait à la France être un État fort rapidement. Il fallait libérer la France de la domination coloniale. Mais la France avait pour colonies les pays des militaires venus se battre à ses côtés et cela risquait de causer un dilemme à la France. Avant que le dilemme ne se pose, il fallait faire quelque chose. Et cette chose qui a été faite, c’était de poser la constitution de l’Union Française qui a remplacé l’empire colonial français. Malgré tout, certaines colonies se sont libérées de cette domination », a-t-il rappelé.
Par ailleurs, Ismaël Condé est revenu sur les raisons de la proposition de la « Communauté française » et son contenu, expliquant ainsi le refus de la Guinée face à la France. « Quand les guerres d’indépendance (Vietnam et Algérie) ont éclaté, la France s’est dit que cela risquait de s’élargir vers ses autres colonies, surtout qu’en octobre 1946, il y a eu la rencontre à Bamako de l’AOF (Afrique occidentale française) et de l’AEF (Afrique équatoriale française) pour la création du RDA (Rassemblement démocratique africain). L’idée fondatrice du RDA, c’était la libération des terres africaines de la domination coloniale. Et à partir de 1946, les idées indépendantistes coulaient un peu partout en Afrique, notamment au Cameroun dont le leader du mouvement (Ruben Um Nyobè, ndlr), a été tué (le 13 septembre 1958, ndlr) par Roland-Pré. Donc en mai 1958, le Général De Gaulle est revenu au pouvoir en France avec pour priorité de sauvegarder les colonies de la France compte tenu de l’importance de ces colonies pour la France du point de vue économique mais aussi de la guerre. Donc la France s’accapare de toutes les richesses de nos différents pays », affirme-t-il.
C’est dans cette dynamique que De Gaulle va débarquer en Guinée pour vendre son projet de la Communauté. Son contenu ne va pas convaincre les guinéens qui vont le rejeter lors du référendum, a fait savoir le conférencier. « Le Général De Gaulle est venu en Guinée le 25 août 1958 dans le cadre de la promotion d’un référendum pour pouvoir garder les colonies pour la France. Pour lui, il fallait mettre une croix sur la quatrième République et mettre en place la 5ème République à partir d’une nouvelle constitution. Quel est le contenu de la constitution de la 5ème République, spécialement pour nous les africains ? Dans le préambule de la Constitution de la 5ème République, il est écrit noir sur blanc : ‘’La communauté est fondée sur l’égalité et la solidarité des peuples qui la composent’’. On ne parle plus d’union française, maintenant c’est la communauté. Le Général De Gaulle a donc expliqué aux colonies, si le problème d’indépendance qui doit nous opposer, dès le départ vous aurez votre indépendance. Mais dans ce cadre, vous allez nouer avec la France des liens au sein d’un ensemble qu’on va appeler communauté franco-africaine. Alors la constitution de la cinquième République, c’est la constitution de la communauté franco-africaine. Dès le départ, on distingue la métropole des colonies parce que dans l’attribution des compétences, on dit que les colonies devenaient indépendantes, mais c’était la continuité de l’autonomie administrative accordée par la France au moment de l’union française. Les pays déclarés indépendants, n’ont donc pas la possibilité d’envoyer un ambassadeur dans quelque pays que ce soit, ces pays ne peuvent pas être représentés aux Nations Unies. Leurs représentants aux Nations Unies, c’est le représentant français ; leur ambassadeur, c’est l’ambassadeur de la France. Ces pays déclarés indépendants mais membres de la communauté, ne doivent pas avoir une armée, ils relèvent de l’armée française. La définition de la politique économique financière revient également à la France, leurs transports extérieurs également, la justice au niveau supérieur également, l’enseignement au niveau aussi relèvent tous de la France. Le PDG réfléchissant à cette réalité, a dit mais ça c’est de la tromperie. On dit que tu es indépendant, mais tu n’as aucune autonomie. C’est la vieille marchandise reconditionnée dans un nouvel emballage frappé d’une étiquette nouvelle. Alors c’est à partir de cette analyse de la constitution de la 5ème République que le PDG a dit qu’il fallait rejeter la proposition faite », a fait savoir le doyen Ismaël Condé.
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