Drame du stade de N’Zérékoré : « La responsabilité est sur le dos du CNRD et du Général Mamadi Doumbouya » (Dr Zoutomou Kpoghomou)

Dr Edouard Zoutomou Kpoghomou, président de l'UDRP

Une semaine après la tragédie survenue au stade 3 avril de N’zérékoré, à l’occasion de la finale du tournoi de football doté du trophée Général Mamadi Doumbouya, la capitale de la Guinée forestière est encore éprouvée. Alors que des enquêtes sont annoncées, des voix s’élèvent pour dénoncer la responsabilité des autorités de la transition dans cette tragédie qui a fait officiellement 56 morts. Dans une interview accordée à un reporter de Guineematin.com, Dr Édouard Zoutomou Kpoghomou, leader politique, accuse la junte qui a renversé Alpha Condé d’en être responsable et tous ceux qui ont joué un rôle dans l’organisation du tournoi de football.

Ci-dessous, l’intégralité de l’entretien du président de l’UDRP, vice-président de l’ANAD.

Guineematin.com : notre pays a été endeuillé suite aux événements survenus au stade de N’Zérékoré, où l’on parle de 56 morts, officiellement. En tant qu’homme politique et fils de la région forestière, comment avez-vous perçu ce drame et quelle est votre réaction ? 

Dr Édouard Zoutomou Kpoghomou : C’est avec un cœur meurtri que j’ai appris les événements douloureux qui ont eu lieu à N’zérékoré, à l’issue d’un match qui a été organisé pour des raisons que tout le monde connaît. Je voudrais tout d’abord présenter mes condoléances à mes compatriotes, mes parents et frères qui ont subi ce sort. Il faut le dire que je ne suis pas surpris parce que lorsque les gens persévèrent dans les entreprises sans issue, c’est toujours comme ça. Nous avions dit que nous ne pouvons pas situer la responsabilité de cette tragédie ailleurs. La responsabilité est en tout cas sur le dos du CNRD et sur le dos du général Mamadi Doumbouya. Parce que, nous le disons carrément, que tout ce qui se passait se faisait avec son aval. Parce que s’il n’y avait pas eu de carnage, on serait en train de conjuguer un autre verbe aujourd’hui. On cherche maintenant à s’éloigner de cette réalité pour faire comprendre qu’il y a eu tel ou tel autre chose. Le nœud du problème est le fait qu’on organise les compétitions sous le couvert d’une sorte de campagne déguisée qui ne dit pas son nom, et qu’on n’a pas pu cacher cette réalité, on est obligé de trouver autre chose. C’est malheureux qu’à ce stade qu’on est en train de me rappeler tristement un autre événement dans un autre stade du 28 septembre 2009. C’est l’équivalent du massacre de 28 septembre.

Alors, puisque le fait est déjà consommé, pour vous, quelle devrait être la gestion de cette situation notamment sur les cas de mort et sur le plan sécuritaire ? 

Malheureusement, les gens ont pris l’habitude de ne pas confronter les problèmes, c’est toujours comme ça. Ce genre de choses, c’est d’abord la vérité qu’il faut chercher à établir. Mais quand on dit 56 morts, or nous on a des sources hospitalières, nous avons des parents qui travaillent à l’hôpital qui nous rapportent un certain nombre de faits. Vous nous dites 56, alors que la morgue est remplie de cadavres superposés comme des sacs de riz. Le couloir de l’hôpital complètement jonché de cadavres, vous ne pouvez pas nous parler de 56 dans ce cas. Je pense que la première chose à faire aurait été de ne pas donner de chiffres en attendant qu’on ait une certaine estimation (…) Quand on organise un événement de ce genre, on anticipe toujours. Surtout quand on prend les enfants par-ci par-là dans les bus pour les amener dans un stade. C’est pourquoi la plupart des cadavres, c’était des adolescents. Parce que ce qui se passe est une fuite en avant pour essayer de minimiser l’impact. Ici, nous sommes dans la culture de la violence. Sinon, quand les gens manifestent, quel que soit la nature de la manifestation, le contrôle de la foule ne se fait pas avec les armes de guerre, avec du gaz lacrymogène surtout dans un stade poussiéreux. Pour ceux qui connaissent ce stade, il est très poussiéreux, avec une seule entrée et une seule sortie. Le stade n’est pas prêt et il ne l’a jamais été depuis que moi j’étais au lycée à N’zérékoré en 1976, le stade est à cette façon (…), mais si on doit organiser un tournoi pour appuyer la candidature, non annoncée mais qui est perçue et réelle, mais il faut qu’on prenne les dispositions. Même s’il y a échauffourées au stade, ce n’est pas avec les gaz lacrymogène qu’il faut départager les gens.

Puisque vous doutez de la crédibilité du nombre de victimes annoncé par le gouvernement, à votre avis, ils sont au nombre de combien ces disparus par estimation ? 

Les premières informations qui nous ont été remontées faisaient état de plus de 100 morts. Quelques heures après, les gens nous sont revenus pour dire qu’il y a plus de 300 morts. Peut-être que les autorités ne disent pas vrai, mais c’est ça la réalité (…). Du moment où les gens sont en train de chercher leurs enfants, leurs époux et épouses, on ne peut pas nous parler de 56 morts. En tout cas nous, nous pensons au-delà de la centaine ou de plusieurs centaines

Quelles sont les principales causes de cette tragique ? 

On est en train de vivre un climat où on ne veut pas qu’il y ait des bruits autour de cette candidature de façon non contrôlée. C’est raison pour laquelle on ne veut pas que les médias en parlent, c’est pourquoi ils sont fermés, on ne veut pas que les partis politiques en parlent, c’est pourquoi leurs leaders sont en sursis. (…) On ne veut pas que les gens parlent de la candidature du général Doumbouya qui est un parjure. Maintenant qu’on cherche à valider cette candidature, on est obligé de passer par le chemin plus ou moins tordu, et quand on le fait, il y aura des retombées. Et c’est dans ce cadre-là que ce tournoi a été organisé, pour booster la popularité du Général. Maintenant, si ça n’a pas marché, il faut rétropédaler, faire en sorte qu’on ne met pas en avant l’idée première de l’organisation de ce tournoi. C’est une fuite en avant. Vaut mieux dire la vérité aux gens et présenter des excuses.

Selon vous, est-ce que le gouvernement et même les autorités locales de N’zérékoré doivent assumer ce drame ? 

Pourquoi on parle de tout ça, parce qu’on ne veut pas respecter le contenu de la charte de transition. Si on veut faire un détour, on est obligé de passer cette formule-là. Ce qu’ils devaient faire, c’est d’abord de ne pas accepter qu’on organise ce tournoi dans ce sens parce qu’on sait que c’est illégitime.

À date, une commission indépendante serait sur pied pour étudier les raisons qui ont conduit à ce drame. Est-ce que vous avez foi à l’aboutissement d’une enquête sérieuse ? 

D’abord, on ne devrait pas parler de la commission d’enquête pour établir les raisons. Les raisons, nous les connaissons à priori. Si des enquêtes doivent être menées, c’est des enquêtes pour situer les responsabilités parce qu’une chose est d’organiser et il y a des gens qui ont activement supporté la chose. Si on veut établir les raisons, pour moi, et pour nous autres qui observons, on ne doit pas épargner le CNRD et même le général. Nous sommes catégoriques là-dessus. Les responsables, c’est ceux qui ont avalisé la tenue de ce tournoi pour supporter le général. Et les responsables, c’est ceux qui sont allés en campagne pour faire la promotion de cet événement. Nous ne voulons pas d’enquête cosmétique. Qu’on essaie de faire semblant de faire l’enquête. Prenez toutes les situations qu’on a eues ici, quelle est l’enquête sérieuse qui a été menée pour établir la vérité. Il n’y en a jamais eu. Nous sommes sceptiques. La seule façon pour nous d’établir les faits, c’est d’écarter carrément le gouvernement de ce genre d’enquête.

Selon plusieurs observateurs, depuis la survenue du drame, le président de la transition ne s’est ni déplacé ni prononcé un discours. Même le décret de deuil national est arrivé 24 heures après le drame. Qu’est-ce que vous en pensez ? 

Si les nouvelles qui arrivent ne sont pas bonnes, ça va bloquer même votre processus de réflexion. Au-delà de la capacité du président de réagir rapidement en termes de réflexion, c’est ce qui explique l’indifférence du président. Pour nous, il était sous choc. Il ne s’attendait pas que cela arrive. Quand c’est arrivé, ils étaient si confus qu’ils n’ont pas pu prendre des dispositions pour pouvoir gérer la suite. Sinon, le président de la transition aurait dû être beaucoup plus prompt en allant à N’zérékoré. À sa place, je l’aurais fait. Et mieux, quand on a envoyé un hélicoptère pour aller saluer, on aurait pu venir avec certains médecins pour renforcer l’équipe qui est sur place parce que c’est un cas d’urgence sanitaire. Moi je pense que le président devrait faire le déplacement en personne pour montrer à cette population que ce qui est en train de se faire en son nom, ce n’est pas en son nom on devait faire. Ça allait montrer qu’il a de la compassion pour la population endeuillée. Comme ça, il aurait eu beaucoup d’éléments d’apaisement en sa faveur.

Dr Kpoghomou, pour finir, qu’avez-vous à dire aujourd’hui au président Mamadi Doumbouya à l’issue de ce drame ? 

Ce que nous sommes en train de voir, ce sont des signes prémonitoires. Il y a beaucoup de mauvaises choses que les esprits sont en train de nous montrer. Nous avons toujours dit au Général que le soldat, c’est sa parole. On a dit au Général qu’on est en train de le conduire sur un terrain qui est très glissant. Nous, nous lui disons qu’il n’est pas encore tard. Il peut se ressaisir et revenir dire à ceux qui le poussent qu’il a donné sa parole et il va la respecter. Comme il l’a dit, qu’il est venu faire l’amour à la Guinée, pour ne pas qu’il vienne endeuiller la Guinée.

Propos recueillis par Malick DIAKITE pour Guineematin.com 

Tél. : 626-66-29-27 

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