La situation des droits de l’homme en 2024 est marquée par plusieurs événements. S’il y a des avancées, telles que l’organisation du procès des événements du 28 septembre et la lutte contre les violences basées sur le genre, il y a également de nombreux manquements en matière de respect des droits de l’homme. Il s’agit notamment de la restriction des sites internet, de l’interdiction des manifestations, du retrait des licences de certains médias, du manque de liberté d’expression, des kidnappings, des tueries lors des manifestations et de la bousculade au stade de N’Zérékoré, où des dizaines de personnes ont perdu la vie. C’est ce qu’a fait savoir Souleymane Sow, directeur exécutif d’Amnesty International Guinée. Dans un entretien accordé à un reporter de Guineematin.com, il a dressé un bilan des avancées, mais aussi des préoccupations majeures qui continuent d’agiter la société guinéenne en matière de respect des droits fondamentaux.
D’entrée, Souleymane Sow est revenu sur les avancées enregistrées. « 2024 en Guinée, évidemment, il y a eu beaucoup d’événements. Il y a eu des aspects positifs qu’il faut signaler et encourager, comme le verdict dans le procès des événements du 28 septembre. Ce procès, cela faisait 13 ans qu’on l’attendait. Finalement, il s’est tenu et le verdict a été rendu fin juillet. C’est tout de même une avancée dans la lutte contre l’impunité. Il y a aussi cette loi, cet amendement concernant les victimes, le témoignage des victimes et, en fait, la protection des victimes dans le cadre de ce procès. Aujourd’hui, le ministère de la Justice et des Droits de l’Homme est en train de préparer un mécanisme. On espère en tout cas que cela aboutira également dans le domaine de la réparation des victimes d’État… »
A cela, il faut ajouter des efforts dans la lutte contre les violences basées sur le genre. « Il faut aussi noter des avancées auprès du gouvernement. Cette volonté, en tout cas, cette implication dans la lutte contre les violences basées sur le genre est à saluer. L’OPROGEM existe aujourd’hui. Depuis quelque temps, elle a un nouveau local avec des équipements. Il y a eu d’énormes campagnes de sensibilisation et d’éducation, notamment dans le domaine scolaire et universitaire. C’est un engagement des autorités à saluer. Cependant, nous appelons les autorités à ce que la Guinée se dote enfin d’une loi spéciale sur les violences faites aux femmes, notamment en ce qui concerne la définition du viol. Il y a aussi le fait qu’au ministère de la Justice, comme vous le savez, l’année prochaine, en 2025, la Guinée va passer à l’examen périodique universel. En 2020, quand la Guinée était passée, elle avait accepté 210 recommandations. Il est donc important de faire le bilan avant l’examen de l’année prochaine. Le ministère de la Justice, à travers la Direction nationale des droits de l’homme, a joué le jeu de l’inclusivité en invitant les organisations de défense des droits de l’homme à venir donner leur point de vue. Nous saluons cette ouverture et cette volonté de discussion, même si après, on ne sait pas si toutes nos recommandations seront prises en compte. Mais le simple fait de nous inviter et de nous écouter est déjà une avancée », estime Souleymane Sow.
Cependant, ceci ne doit pas occulter les nombreux manquements qui ont jalonné l’année 2024. « Malheureusement, il y a eu énormément d’inquiétudes et de préoccupations pour nous, acteurs des droits de l’homme et défenseurs des droits humains. Comme vous le savez, en début d’année 2024, il y a eu ce brouillage des ondes de radio, la suspension des sites internet, dont d’ailleurs le vôtre, Guineematin. Il y a eu aussi la restriction, voire la limitation de l’accès aux réseaux sociaux pendant plusieurs mois. Ce sont des signaux forts qui remettent en cause le droit à l’accès à l’information, à une information diversifiée, ainsi que la liberté d’expression et la liberté de la presse. Évidemment, cela nous a énormément préoccupés depuis le début de l’année. Et puis, il y a eu, en plus, des disparitions forcées, ce qui est très grave. La question aujourd’hui du droit à la liberté d’opinion, qui est remise en cause, de la liberté de penser, est aussi une préoccupation majeure. Si les autorités guinéennes n’acceptent pas qu’il y ait des voix dissidentes, alors que nous sommes dans un projet de transition, de refondation de l’État de droits, cela appelle à prendre en compte les contributions, mais aussi les critiques des uns et des autres. Car c’est ainsi que l’on construit un État de droit. C’est aussi très préoccupant. Cela fait maintenant cinq mois que nos camarades Foniké Menguè et Billo subissent des disparitions forcées. Il y a tout récemment le journaliste Habib Marouane qui a disparu, et dont on n’a aucune nouvelle. Cela nous interpelle, nous, acteurs des droits humains, sur la situation des droits humains dans notre pays. Il y a aussi le fait que, depuis 2022 et jusqu’à présent, les autorités guinéennes interdisent toutes les manifestations sur l’ensemble du territoire national. Et donc, cette restriction de ce droit à la liberté de manifester est également très préoccupante pour nous, organisations de défense des droits humains », a-t-il indiqué.
Devant cette situation, le directeur exécutif d’Amnesty International Guinée invite les autorités de la transition à revoir leur copie. « Nous appelons les autorités guinéennes à respecter leurs engagements internationaux. La Guinée est partie prenante de nombreuses conventions et traités. Nous demandons à l’État guinéen de respecter ses engagements et de tout mettre en œuvre pour réaliser les droits humains. En premier lieu, nous demandons aux autorités de libérer ces personnes, qu’il s’agisse de Foniké, Billo ou Marouane. Et surtout de garantir la sécurité physique, de faire en sorte qu’ils ne subissent pas de torture ou d’autres mauvais traitements. Nous demandons qu’une enquête soit ouverte et que les responsabilités soient établies. Voilà globalement la situation des droits de l’homme en Guinée. La remise en cause de la liberté d’expression, de la liberté de la presse et des restrictions de l’espace civique sont des préoccupations majeures pour nous », a-t-il dit.
En outre, Souleymane Sow déplore le non-rétablissement de l’institution nationale indépendante des droits de l’homme et appelle les autorités au respect des engagements pris dans la charte de la transition. « Actuellement, en termes d’institutions républicaines, il est vrai qu’il y a des manquements, des défis majeurs. Par exemple, l’institution nationale indépendante des droits de l’homme n’a pas été rétablie. Mais pendant cette transition, le Conseil économique et social a été rétabli, la Haute Autorité de la communication a été rétablie. Et malheureusement, l’institution nationale indépendante des droits de l’homme n’a pas été rétablie. Est-ce que cela envoie un signal fort pour dire au peuple où nous plaçons les droits de l’homme ? C’est une question importante. Nous espérons qu’avec cet avant-projet de nouvelle constitution, la place des droits de l’homme sera centrale. Même si dans la charte de la transition, la partie sur les droits de l’homme était la plus importante, il faut admettre que le respect de cette charte laisse à désirer. La Guinée a pris des engagements à l’international. Les autorités guinéennes ont adopté une charte de la transition. Ce que nous demandons aux autorités, c’est de respecter leur engagement et de tout mettre en œuvre pour réaliser les droits humains. En 2025, la Guinée passera l’examen périodique universel. Si les autorités guinéennes veulent donner une bonne image de la Guinée, il y a des minimums de base à respecter. En premier lieu, la libération des personnes disparues. Si la Guinée se présente devant le Conseil des droits de l’homme sans clarifier ces cas d’enlèvement malgré toutes les demandes d’éclaircissement, cela portera une tâche énorme sur la situation de la Guinée, sur son image. Nous appelons les autorités à lever l’interdiction de toutes les manifestations dans le pays. Vous avez vu que lorsqu’il y a des carnavals ou des actions de soutien aux autorités, il n’y a aucun problème, c’est autorisé. Mais quand la presse a organisé une marche pacifique, la répression qui a suivi a été sévère. Il ne doit pas y avoir deux poids, deux mesures. Nous appelons les autorités à respecter la charte de la transition qu’elles ont adoptée et leurs engagements internationaux. Ce que nous espérons, c’est un retour rapide à l’ordre constitutionnel, avec une nouvelle constitution qui prend en compte le respect et la réalisation des droits humains, et ensuite la mise en place des institutions républicaines qui respectent également les droits humains ».
En outre, Souleymane Sow a insisté sur la nécessité de rendre justice pour les cas de tueries, notamment en ce qui concerne les récentes violences lors des manifestations, y compris la tragédie survenue au stade de N’Zérékoré. « Nous demandons aux autorités guinéennes d’accepter le débat contradictoire, d’autoriser les manifestations pacifiques, de les encadrer, mais surtout d’ouvrir des enquêtes pour que toutes les personnes accusées de tueries lors des manifestations soient poursuivies. C’est ainsi qu’on construit un État de droit. Malheureusement, il y a eu ce cas de morts au stade de N’Zérékoré. C’est dommage pour la Guinée que l’on continue encore à compter les morts. Il faut que chacun prenne ses responsabilités et mette tout en œuvre pour respecter la vie humaine. Ce qui s’est passé à N’Zérékoré est triste pour notre pays. Si l’on commence à discuter du nombre de morts, c’est très regrettable. Nous appelons les autorités à mener rapidement et de façon indépendante et impartiale les enquêtes, à situer les responsabilités et à rendre justice. Il y a eu des morts, mais aussi de nombreux blessés. Les autorités ont pris en charge les blessés, ce qui est une bonne chose. Cependant, nous voulons savoir. Nos collègues des organisations de défense des droits de l’homme de la forêt ont publié une déclaration. Nous suivons attentivement l’évolution de ce dossier et nous espérons que ce ne sera pas une énième enquête annoncée sans résultats. Nous espérons que cette fois-ci, des résultats seront obtenus et que les responsables seront jugés conformément à la loi. Nous continuons notre plaidoyer, nous interpellons les autorités, demandons des enquêtes et que les responsables de ces tueries soient traduits en justice. Et d’ailleurs, sur le cas spécifique de Foniké Menguè et de Billo Bah, nous demandons aux citoyens d’aller sur notre site amnestyguinee.org pour signer cette pétition qui réclame, qui demande à M. le Premier ministre leur libération », a-t-il déclaré.
Ismael Diallo pour Guineematin.com
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