Guinée : « 2024 a été une année sombre pour la liberté de la presse » (Sékou Jamal Pendessa)

Sékou Jamal Pendessa, secrétaire Général du SPPG

L’année 2024 a été marquée par une situation pénible pour la presse en Guinée, ballotée entre arrestation et enlèvement de journalistes en passant par la fermeture des trois principaux médias du pays. Le dernier en date est le cas Habib Marouane Camara, enlevé par des hommes en tenue militaire. Pour dresser le bilan de l’année qui s’achève en matière de liberté de la presse, un reporter de Guineematin.com a donné la parole à Sékou Jamal Pendessa. Le secrétaire général du Syndicat des professionnels de la presse de Guinée (SPPG), a dépeint une situation désastreuse pour les journalistes et la liberté de la presse pour 2024. Il en a profité pour appeler les autorités de la transition, particulièrement le Général Mamadi Doumbouya, à restaurer la liberté de la presse et garantir le droit à l’information.

D’entrée, Sékou Jamal Pendessa a expliqué les difficultés que certains confrères ont connu pendant l’année qui s’achève. « Cette année, c’est une année complètement noire. Parce que l’année dernière était partiellement noire, 2023, parce que les exactions ont commencé en milieu d’année et puis vers la fin de l’année, elles ont repris. Mais cette fois-ci, cela couvre toute l’année. Vous n’êtes pas sans savoir que le brouillage des ondes FM, qui a commencé en novembre 2023, s’est poursuivi jusqu’au mois de mai. Et à partir du 21 mai, nous sommes passés de l’étape de brouillage à celle du retrait pur et simple des licences de plusieurs radios et télés. Donc, des radios complètement fermées sur une base illégale, injustement fermées. Des radios complètement fermées, près de 1000 travailleurs contraints au chômage. Et sans compter que des journalistes sont allés en prison, y compris moi-même. Vous avez des journalistes qui reçoivent régulièrement des menaces. Abdoul Latif Diallo, Mamoudou Babila Kéita, ont fait l’objet de tentatives d’enlèvement. Il y a beaucoup d’autres qui reçoivent des menaces, comme Mamoudou Boullêré du groupe Hadafo. On ne peut pas les citer tous. Mais c’est dire que c’est tellement grave, et on assiste à ce qui ressemble au pire désormais. Parce que depuis le 3 décembre, mardi soir, nous n’avons pas retrouvé Habib Marouane, qui a été enlevé par des éléments de la gendarmerie, conduits à une destination inconnue. On n’avait jamais connu une telle année dans l’histoire de la presse indépendante de notre pays », a lancé le secrétaire général du SPPG.

Par ailleurs, Sékou Jamal Pendessa indique que le SPPG a mené de nombreuses démarches afin de résoudre la crise, mais les appels envers les autorités sont restés sans suite. « Au SPPG, nous avons mené beaucoup de démarches. Dès le début, nous avons voulu prévenir, prendre les devants. Si vous vous rappelez très bien, nous avions adressé des courriers d’alerte au ministre de la Justice et des Droits de l’Homme. À l’époque, c’était Charles Wright. Donc, en sa qualité de ministre en charge des Droits de l’Homme, nous lui avions dit, « si vous ne faites rien, les guinéens verront leur droit à l’information sacrifié, alors que c’est consacré par toutes les constitutions que nous avons connues dans ce pays. » Depuis les années 90, ces droits sont reconduits dans la charte de la transition. Maintenant, nous avons aussi écrit, nous avons pris langue à l’époque avec le ministre Julien Yombounou. À l’époque, nous avions tablé sur des estimations aux alentours de 100 et quelques emplois qui risquaient d’être perdus. Mais n’oubliez pas qu’on n’avait jamais imaginé qu’on allait passer à l’étape du retrait des agréments. Nous étions à l’étape du brouillage. Alors que les médias victimes de ce brouillage avaient commencé à nous alerter, nous disant que nous étions en train de perdre des marchés, parce que les annonceurs disaient que si vos antennes sont brouillées, nous ne pouvons pas envoyer de marchés ; et du coup, ils ont alerté le syndicat pour dire que, s’il n’y a pas suffisamment de recettes, nous serons obligés de renvoyer quelques travailleurs en congé technique. Nous avons été dépassés par les faits. Finalement, parce que nous, nous tablions sur une centaine d’emplois en jeu, mais finalement, nous nous retrouvions à près de 1000 emplois. Ces démarches administratives n’ont pas été prises en compte par les autorités, sinon notre alerte aurait porté. Nous avions essayé d’alerter aussi parce qu’avec l’arrivée du nouveau gouvernement, nous avons intégré nos préoccupations dans la plateforme globale du mouvement syndical guinéen. Une délégation du mouvement syndical conduite par le général Amadou Diallo, avait rencontré le ministre chargé du travail. Ces questions ont été évoquées. Moi-même, j’étais dans la commission des négociations pour poursuivre le volet presse. Ils ont bafoué les travaux de cette commission. La délégation dont je parle, conduite par le gouverneur Amadou Diallo, a également rencontré le Premier ministre actuel (Bah Oury). Tout cela, la question de la presse revenait. Et puis, vous verrez, par la suite, nous sommes allés jusqu’à écrire au président de la République. C’était le plafond. C’est-à-dire qu’on est allé progressivement, graduellement, jusqu’à atteindre le sommet. Et puis le dernier acte, peut-être, de l’année, qui pourrait rester dans les esprits, c’est notre rencontre avec le Premier ministre, là où nous avons parlé de ces médias fermés, mais aussi de la situation de Habib Marouane Camara », a rappelé M. Pendessa.

Pour un retour à la normale pour l’année 2025, dans le domaine de la presse, Sékou Jamal Pendessa lance un appel direct aux conseillers du président de la transition pour qu’ils intègrent la question de la liberté de la presse et des journalistes emprisonnés dans l’adresse à la nation. « Beaucoup de gens ont même peur de s’approcher du dossier des médias fermés. Il y en a certains qui veulent en parler. Vous pouvez commencer à échanger, dès que vous évoquez la question de ces médias-là, le débat s’arrête là. Si c’était des messages, on ne vous répond plus. Si c’était des appels, soit on ne vous décroche pas, ou on donne à quelqu’un pour décrocher, dire qu’il est occupé, qu’il est à autre chose. Donc, on ne sait pas ce qui se passe réellement. Je l’ai dit sur les antennes de la RTG, je le réitère chez vous. Alors, ceux-là qui sont les conseillers du président, qui doivent contribuer à la rédaction de son adresse à la nation, ils ont un élément incontournable à intégrer. Parce qu’en termes de communication, si vous ne savez pas ce qu’il faut mettre dans une adresse à la nation, cela va passer, les gens vont l’ignorer, cela ne va pas intéresser. Alors, que le président communique pour le peuple, la question des médias, il faut l’intégrer. Qu’il fasse officiellement l’annonce pour dire qu’à partir d’aujourd’hui, les médias dont les agréments ont été retirés sont rétablis. Donc, reprennent le travail dès le 1er janvier 2025. Vous verrez l’effet que cela aura au sein de la population qui est privée de l’information. Une bonne partie, il y a d’autres médias qui travaillent, mais une bonne partie des citoyens sont privés de l’information. Même si c’est un seul média qui est fermé, cela joue sur une partie des citoyens, parce que chaque citoyen se reconnaît dans un média. C’est pourquoi, ce n’est pas pour rien que la démocratie recommande le pluralisme des médias, des opinions, des courants, et chaque média a une ligne éditoriale. Cela permet à chacun de se retrouver quelque part. Donc, dès que vous fermez un média, quelle qu’en soit sa taille, cela joue sur une frange de la population, et ça, ce n’est pas bon pour un président, parce que c’est lui le garant de tous nos droits, y compris le droit à l’information qui est incontournable. Il y a même une loi spéciale en République de Guinée qui a été votée, adoptée, promulguée, qu’on appelle la loi sur le droit d’accès à l’information publique. Donc, si ce sont eux-mêmes qui commencent par violer cette loi-là, sans compter la charte de la transition qu’ils ont élaborée. Donc, il faut mettre le volet médias, la libération du journaliste Habib Marouane Camara, qui a été enlevé par la gendarmerie, et tous les autres, Foniké Menguè et Billo Bah. Quand ces éléments-là vont se retrouver dans son adresse à la nation, cela pourrait être l’adresse à la nation la plus intéressante de ces trois années de sa gouvernance, parce qu’on retient pratiquement toutes ces adresses à la nation », affirme le secrétaire général du SPPG.

Ismael Diallo pour Guineematin.com

Tél. : 624 69 33 33

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