Le rapatriement par Conakry de plus de 400 ressortissants de la Sierra Leone vers leur pays, accusés dans des affaires de délinquance, continue de faire des vagues. Dans la soirée du dimanche, 15 décembre 2024, des ressortissants guinéens vivant à Freetown ont failli vivre le même scénario. Nombre d’entre eux ont été mis aux arrêts par la police et embarqués dans des camions. Une certaine peur s’est aussitôt emparée de la communauté guinéenne qui redoutait une réciprocité. Les interventions de différentes personnalités, dont la coordination Haali Pular et des députés léonais d’origine guinéenne, ont permis un dénouement heureux à cette situation, a appris Guineematin.com à travers un de ses reporters.
Sous anonymat, plusieurs de nos compatriotes ont joint la rédaction de Guineematin.com hier lundi, 16 décembre pour parler de la situation qu’ils ont vécue à Freetown la veille.
« Depuis hier dimanche à 17h, tout guinéen rencontré est pris et envoyé à la police. J’ai appris qu’il y a 2 camions à la gare routière de Guinée. Ils ont pris plusieurs chauffeurs guinéens pour les envoyer à la police. On m’a dit que certains ont été libérés, d’autres non. On m’a informé qu’il y a eu ratissage à plusieurs endroits, même dans la grande ville. Un autre guinéen qui se trouvait dans sa voiture a été pris. Ce matin, nous ne sommes pas sortis par peur de représailles. Les autorités guinéennes devaient se rendre compte qu’il y a plus de guinéens en Sierra Leone que de Léonais en Guinée avant de prendre ces mesures de rapatriement ».
Selon un autre, les arrestations ont ciblé tout le monde, sans exception d’âge ou de sexe. « Ce qui se passe là où je vis, c’est la chasse aux guinéens. Ils les prennent et embarquent dans les camions pour leur dire qu’ils les envoient à la frontière. Moi qui vous parle, j’ai fui pour ne pas qu’on me prenne. Ils ont pris beaucoup de personnes : nos vieux, nos jeunes, nos femmes…Tous ces camions sont remplis de gens. Aujourd’hui, c’est dimanche, un jour de cérémonies. Les gens sont sortis. On a bloqué l’Avenue Road. Ils ne faisaient que prendre les gens et les embarquer », explique-t-il.
Cet autre guinéen nous informe que même les guinéens qui viennent d’arriver en Sierra Léone ne sont pas épargnés. « Là où je suis, c’est vrai. Quelqu’un a été pris et relâché, parce qu’il avait sa carte d’électeur dans son téléphone. Celui avec qui il était a été arrêté et envoyé. Il y a un autre cas aussi. Un chauffeur guinéen qui travaille entre ici et la Guinée nous a trouvé ici. Il venait de Ferry Johnson. Les bagages de ses passagers venant de la Guinée sont avec lui. Une fois que les passagers sont descendus du véhicule, on leur a demandé de présenter leurs cartes d’identité. Tous les passagers ayant la carte d’identité guinéenne ont été pris. Ils ont été mis dans les véhicules directement. Il y a certains guinéens qui ont été pris chez eux, dans leurs maisons à Ferry Johnson. Le chauffeur cherche à débarquer les bagages de ses passagers et les garder en attendant de savoir s’ils seront libérés ou pas ».
Même son de cloche pour ce guinéen vivant à Freetown, la capitale de la Sierra Léone. « Il y a un problème à Freetown. Ils ont commencé à prendre les Guinéens ici. Le rapatriement des Léonais par les autorités guinéennes ne nous a pas aidés. Doumbouya ne nous a pas aidé. Ils ont commencé à nous prendre parce que Doumbouya a pris les Léonais et les a envoyés à la frontière. C’est la réciprocité ici en Sierra Léone. Ils ont pris des gens qui étaient partis assister à des cérémonies », dénonce-t-il.
Aux dernières nouvelles, selon Issiagha Bah, dit Aladji Mawdho, les personnes interpellées ont été relâchées. « C’est hier dimanche, vers les 17 heures, que la police est sortie pour faire des ratissages à Freetown. Selon mes informations, il y a eu entre 300 et 400 personnes arrêtées, majoritairement des Peuls. Constatant cela, les leaders de la communauté Foulbhè et Haali Poular de la Sierra Léone se sont mobilisés pour les faire sortir. Tous ceux qui ont été pris hier ont été relâchés. Ils nous ont promis de continuer à faire les investigations pour savoir pourquoi cela s’est produit. Ils nous ont aussi demandé de vaquer à nos occupations. C’est ce qui fait que ce matin, tout le monde est sorti travailler », a fait savoir Mawdho Bah.
Joint par téléphone, l’honorable Mohamed Billoh Shaw, député pour la région du Nord au compte du parti au pouvoir Sierra Leone People’s Party (SLPP) revient sur ce qui s’est passé ce dimanche 15 décembre 2024. « Le dimanche, vers 16h, j’ai reçu un appel de l’Honorable Alpha Bah de l’opposition, me demandant si j’ai appris ce qui se passe dans la ville. J’ai répondu par la négation. Il a ajouté que la police était en train de prendre les Guinéens mais en grande majorité des Peuls. Un jeune qui a été pris a montré à la police sa carte d’identité et son passeport. Malgré cela, la police est partie avec lui. Je lui ai demandé où on l’envoie. Il a dit qu’il ne connaît pas pour l’instant. Je lui ai demandé de m’envoyer son numéro de téléphone. Il m’a tout expliqué. Donc, j’ai abandonné tout ce que je faisais pour m’occuper de cette affaire. J’étais à 2h de route de là où il était. Les Honorables de l’opposition Alpha Bah et Mariame Bangoura et moi, nous sommes partis là où se trouvaient les gens. Nous avons trouvé 3 camions chargés de Guinéens. Dans ces trois véhicules, il y avait entre 9 à 10 personnes qui n’étaient pas des peuls. Il y avait des femmes, des jeunes et des vieux. Nous avons demandé aux policiers pourquoi ils ont pris ces gens. J’ai rencontré leur chef pour des explications. Il m’a rétorqué qu’ils sont en recherche des étrangers sans papiers. Je lui ai demandé avec quelle méthode il procède ? Il m’a répondu qu’il attendait le retour des agents. Je lui ai fait comprendre que les policiers sont en train de prendre que les peuls sans chercher à savoir s’ils ont des papiers ou pas. Il a dit que ce n’est pas le cas. Alors, je lui ai expliqué que ce qu’il dit et ce qui se passe sur le terrain sont différents. Il m’a dit d’aller là où les gens se trouvent. Entre-temps, plusieurs personnalités de la communauté sont arrivées sur le lieu : des avocats, le doyen Elhadj Mamadou Sadio Bah, etc. Ils ont fait descendre les gens et on a trouvé qu’effectivement la plupart de ceux qui sont pris sont des peuls. Ensuite, j’ai appelé l’inspecteur général de la police nationale pour savoir si c’est lui qui avait donné cet ordre. Il a dit : Non, ce n’est pas ce que nous leur avons demandé. Je lui ai dit alors de libérer les gens sinon à commencer par moi et tous les leaders politiques et sociaux ici présents, nous allons passer la nuit ici avec les gens arrêtés. Il y avait des appels entre eux et nous aussi de notre part, nous avons alerté des ministres et autres autorités du pays. Nous nous sommes tous mobilisés. Nous avons réclamé la libération de tout le monde que ce soit ceux qui ont le papier ou non. Au début, ils avaient dit qu’ils ne libéreraient que ceux qui ont des papiers. Nous avons dit que s’il y en a un seul qui reste, nous allons tous dormir ici. C’est ainsi qu’ils ont libéré en première position, les femmes ; les autres, après. Ils ont libéré les gens vers 23 heures », a fait savoir l’honorable député.
Poursuivant, l’honorable Mohamed Billoh Shaw déclare qu’il continue ses investigations pour comprendre ce qui s’est réellement passé.
« Ce matin, lundi 16 décembre, j’ai informé le speaker du parlement pour l’avertir. Aussi, j’ai appelé pour demander à l’inspecteur général de le rencontrer pour plus d’informations, pour savoir si ce qui s’est passé hier était lié au rapatriement des Léonais parce que les policiers qui sont là nous ont fait savoir que ceux qu’on a rapatrié n’étaient pas sur le bon chemin et les Léonais qui sont en Guinée et qui se comportent bien ne sont pas pourchassés ou appréhendés à domicile. Si c’était tous les Léonais qu’on prenait en Guinée, ceux qui sont bons ou mauvais, la police guinéenne allait entrer dans les maisons des bonnes personnes. Elle allait chercher seulement les léonais sans distinction. Ceux qu’on a rapatrié sont allés faire des actes que les autorités de là-bas ne veulent pas. C’est ce que je lui ai dit. Nous devons nous rencontrer pour d’amples informations », a déclaré ce député à l’assemblée nationale de la Sierra Léone.
Boubacar Diallo pour Guineematin.com