Boké : le cri de cœur des enseignants contractuels non retenus, « piégés, utilisés et abandonnés »

Les enseignants contractuels non admis pour la fonction publique locale continuent de protester contre le sort qui leur a été réservé. Ils accusent leurs responsables syndicaux de les avoir piégés et dénoncent le recrutement de gens qui ne sont pas allés en classe pour donner cours. Aujourd’hui, ils sont très en colère, à l’image des contractuels non retenus de Boké, qui ont dit leur frustration hier jeudi, 19 décembre 2024. Dans un entretien accordé à un reporter de Guineematin.com, ils ont déploré la fermeture de certaines écoles jusque-là tenues par des contractuels et sollicité leur engagement à la fonction publique.

Sékou Diallo, porte-parole des enseignants contractuels non retenus à Boké, dénonce la situation difficile qu’ils traversent, après des années de service dans les écoles du pays.

Sekou Diallo, porte parole des enseignants contractuels non retenus à Boké

« Il faut dire que nous sommes en train de traverser une situation très difficile, très précaire, qu’on ne pouvait imaginer. En tant que jeunes guinéens, nous avons accepté de nous donner corps et âme pour suivre nos études jusqu’à la sortie de l’université. Nous avons adopté une activité rentable, nous permettant de nous prendre en charge, d’être utiles à nos familles, à nos localités et à toute la nation. Mais, après 12 ans, 13 ans, 10 ans, 7 ans, 8 ans, 5 ans pour certains, et d’autres au-delà de 13 ans, on se retrouve aujourd’hui dans cette situation. Franchement, on ne pouvait l’imaginer. Mais, qu’est-ce que je peux dire par là ? On a été piégés, utilisés, abandonnés parce qu’on ne peut pas imaginer… », dit-il.

Poursuivant, Sékou Diallo dénonce le syndicat des contractuels, conduit par Alseny Mabinty Camara, et le Syndicat national de l’éducation dirigé par Michel Pépé Balamou. « Quand le syndicat ou le bureau exécutif d’une coordination nationale décide, avant d’abord de prendre une décision, ils doivent se référer à la base. Mais nous, dans notre situation, notre prétendu syndicat, Alseny Mabinty Camara, et la coordination avec Michel Pépé Balamou, ils sont allés signer des protocoles additionnels avec le gouvernement, sans pour autant nous consulter à la base. Non seulement ce n’est pas à l’issue d’un congrès qu’ils ont été élus, mais comme on supposait que c’était de manière volontaire, ils ont commencé les démarches, et nous avons accepté qu’ils soient notre coordinateur. Mais on a su que toutes les décisions qu’ils ont prises là-bas, ils n’ont consulté personne à la base. Renoncer à nos arriérés de primes, personne n’a été contacté. Revenir encore en classe, personne n’a été contacté. La signature du protocole d’accord avec le gouvernement, personne n’a été contacté. La signature du protocole d’accord additionnel, personne n’a été contacté. Quand on dit que ce n’est pas la manière, on nous répond de tout accepter, car tout ça aboutira à notre intégration. Donc finalement, nous-mêmes, nous avons pu vraiment canaliser les camarades. Chacun a patienté jusqu’au mois de juillet. On s’est dit, nous sommes en Guinée et vous savez quelle est la mentalité du Guinéen. Nous sommes engagés dans un processus. Vers la fin, on nous a dit concours pratique de classe. Nous avons dit qu’à partir de là, cela pourrait donner l’occasion à ceux-là qui veulent faire des affaires, de venir encore insérer des gens sur la liste. Ils ont dit non, c’est une formalité. C’est une manière pour nous de savoir réellement qui a été biométrisé. Est-ce que vous êtes en pratique de classe ? Ici à Boké, il suffit de venir en classe. On dit, voilà, toi tu entres en tant qu’enseignant en situation de classe. On dit aux enfants : vous connaissez ce monsieur ? On répond : oui, quel est son nom ? C’est le monsieur de tel. Il dispense quel cours ? Il dispense les cours de mathématiques. Vous le connaissez ? Oui. On dit, viens ici, remplis ça. On te donne ta note, tu sors. Est-ce qu’on peut appeler ça une évaluation ? Est-ce qu’on peut appeler ça un concours ? Et au-delà de tout, lorsque nous étions au nombre de 24 000 et quelques, le nombre a été réduit à 14 000. Le gouvernement nous a fait savoir qu’à la fin du mois de juin, la liste des 14 000 serait publiée pour leur engagement dans la fonction publique. À notre grand étonnement, c’était à la mi-juillet, je crois, le 15 août, je crois, qu’ils ont publié une liste pour dire que la liste des admis était prête. Et nous autres, on nous qualifie de non-admis. Pourtant, nous avons enseigné des gens qui ont été recrutés en 2017, qui sont aujourd’hui inspecteurs, proviseurs dans les écoles. Nous avons enseigné ceux qui ont terminé leurs études. Ils sont venus nous retrouver dans cette même situation. Ils viennent maintenant intégrer un processus où nous, nous avons commencé il y a deux ans. Ceux-ci n’ont même pas fait trois mois, ils ont été engagés à la fonction publique. Et nous, on nous traite de non-admis. En vertu de quoi ? Ce n’est pas pour nous humilier ? Après qu’on ait été piégés, utilisés, abandonnés. Donc, nous sommes là », regrette-t-il.

Par ailleurs, Sékou Diallo a évoqué les dernières actions entreprises pour régulariser leur situation. « La semaine dernière, nous étions partis à Conakry pour un sit-in. Le département était bien préparé en collaboration avec l’ancienne coordination pilotée par Alseny Mabinty. On nous a piégés. Une fois dans la cour du Ministère de la Fonction publique, les policiers s’en sont pris à nos collègues. Ils ont arrêté 38 d’entre nous, dont 16 femmes. Au-delà de tout, comme ils ont vu que le CNT s’est intéressé à notre dossier, nous sommes allés expliquer la situation au CNT. Le CNT dit que le ministère ment en disant qu’on a envoyé les enseignants partout dans les écoles du pays, alors que lors de la vulgarisation de l’avant-projet de la nouvelle constitution, la communauté a demandé notre retour. Parce que ceux qui sont arrivés, non seulement ils n’ont pas la maîtrise, ce ne sont pas des enseignants, mais il y a encore des écoles dans les collectivités locales qui sont fermées. Parce que celui qui était là, non seulement il était contractuel, il était directeur d’enseignement. Et s’il est déclaré recalé, comment l’école va vivre ? Les écoles sont fermées. Donc, le CNT a pris l’affaire à bras-le-corps, en nous promettant de rencontrer le ministre via la présidence. Maintenant, qu’est-ce qui se passe ? Ce sont les mêmes coordinations, l’ancienne coordination pilotée par Alseny Mabinty, qui mandatent encore des gens pour récupérer les RIB des enseignants contractuels recalés dans les préfectures, alors qu’il n’y a aucune annonce du ministère, ni du Premier ministre. Il n’y a aucun article dans la presse à ce sujet. Il n’y a aucune note de service publiée. Comment peut-on croire cela dans ce monde du XXIe siècle ? Donc, on a su qu’ils sont là encore, une seconde fois, pour nous piéger. Encore une fois, ils mettent des bâtons dans nos roues pour permettre à certains de s’enrichir sur notre dos, comme ils ont commencé depuis deux ans. Cette fois-ci, nous avons demandé à la DPE, qui nous a dit qu’elle n’a reçu aucune note de service. Maintenant, nous sommes sur le terrain pour la création des RIB. Nous-même, nous allons garder nos RIB (Relevés d’Identité Bancaire) par préfecture. C’est le représentant des contractuels non retenus. Et ces RIB seront envoyés auprès de la coordination nationale à Conakry, en présence de notre avocat, maître Paul Yomba Kourouma, et de notre syndicaliste Aboubacar Soumah, avec lesquels nous allons envoyer ces RIB au ministère ».

En outre, Sékou Diallo lance un appel aux autorités. « L’appel que je vais lancer peut-être à l’autorité, c’est de nous aider à faire notre insertion. Oui, c’est de nous aider à faire notre insertion sociale. Parce que là où nous sommes, nous sommes plus que des migrants. Nous sommes plus que des réfugiés chez nous. Mais imaginez tout ce que je viens de vous expliquer : 14 ans en classe. Quelqu’un qui n’a même pas fait deux mois, on le déclare admis. Regardez nos visages. À Boké ici, il n’y a que des enseignants qui ont fait plus de 7 ans, 8 ans, 10 ans dans les écoles qui ont été recalés. Aucun nouveau contractuel, arrivé en 2018, n’a été recalé à Boké, aucun… »

Même son de cloche chez Dirina Fangamou, instituteur à Dabis, qui dénonce l’écartement des véritables enseignants contractuels au profit de ceux qui n’ont pas accepté d’aller dans les villages.

Dirina Fangamo, enseignant instituteur et intervenant dans l’enseignement général à Dabis

« J’ai eu 16 de moyenne sur 20. Et on a constaté que ceux qui ont eu l’examen, le concours, ce sont des gens qui ne le méritaient pas. Je connais beaucoup. Il y en a d’autres qui travaillent dans des hôtels ici. Ils refusent d’aller dans les villages pour enseigner. On voit des dames qu’on n’a jamais vues ici. À chaque fois qu’il y a des formations, le DPE m’a choisi pour assister aux formations. Mais les enseignantes qui sont passées, on n’a jamais vu ces gens-là ici, sur le terrain. Mais le résultat est là. Et l’évaluation, vraiment, ne s’est pas bien passée, mais certains ont acheté les choses. Jusqu’à présent, même ces gens-là sont là. Et quand il y a un problème d’argent, ils vont donner 500 000 GNF au DSSE, 400 000 au DPE pour être couverts quand il y a des contrôles, pour faire croire qu’ils étaient sur le terrain. Ils refusent d’aller dans les villages pour enseigner. Ce sont ceux-là qui sont déclarés admis. Comment peut-on dire que ces gens-là sont meilleurs par rapport à nous ? Malheureusement, c’est nous qui avons accepté d’aller dans les villages, c’est nous qui n’avons pas été retenus », a-t-il déploré.

Ismael Diallo pour Guineematin.com

Tél. : 624 69 33 33

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