Au cours de l’année 2024, le Tribunal pour enfants de Conakry a jugé et condamné une dizaine d’enfants mineurs pour des faits de crime. Quelques 70 autres enfants mineurs ont été jugés et condamnés pour des faits de délits, en matière correctionnelle. Ces chiffres ont été rendus publics dans la journée d’hier, mardi 7 janvier 2025, par N’Faly Sylla, président du Tribunal pour enfants de Conakry. A l’occasion d’un entretien accordé à une équipe de Guineematin.com, le magistrat est revenu sur les difficultés que rencontre son institution qui traite de dossiers très épineux.
Guineematin.com : quelles sont les activités que le Tribunal pour enfants de Conakry a réalisées au cours de l’année 2024 ?
N’Faly Sylla : mes collègues et moi, les collaborateurs, dont magistrats et greffiers, nous avons reçu des procédures courant l’année 2024. Des affaires qui sont classées en deux catégories. Nous avons des catégories pénales qui concernent les enfants qui sont en conflit avec la loi en matière correctionnelle et en matière criminelle ; mais aussi des affaires civiles, les dossiers d’assistance éducative. Donc, les jugements en matière civile et les ordonnances qu’on a rendues, concernant les enfants en danger, en situation de vulnérabilité. Les affaires sont comme ça. Elles rentrent et on les répartit entre les cabinets d’instruction et les juges des enfants. Ce sont les deux catégories de magistrats au tribunal pour enfants. Nous avons des juges d’instruction qui instruisent les affaires pénales, mais aussi les affaires d’assistance éducatives qui sont instruites et jugées par les juges des enfants. Donc, c’est comme ça que nous travaillons chaque année.
Pendant l’année 2024, le Tribunal pour enfants de Conakry a géré combien de dossiers ?
Là, je ne peux pas vous parler avec assez de précision. Parce que je n’ai pas les chiffres en tête. Mais je sais que globalement, au niveau de mon cabinet, les dossiers reçus avoisinent 300 affaires en matière d’assistance éducative. Donc, la matière civile, que ça soit des jugements où des ordonnances qu’on a eu à prendre à l’égard des enfants qui sont en danger, en situation de vulnérabilité. Parmi ces affaires là, vous avez des jugements de délégations, vous avez des décisions d’interdiction de sortie du territoire, vous avez des ordonnances de cas d’exclusive. Donc, toutes les questions relatives aux enfants qui sont en danger sont dans ce cadre civil. Quand on prend les affaires pénales, les différents cabinets ont reçu des dossiers. Ça avoisine 100 dossiers par cabinet. Nous avons pu juger ces affaires. On peut dire globalement qu’on a eu au moins une dizaine de personnes mineures, majoritairement des garçons, mais aussi des filles, jugés et condamnés pour des crimes. Mais il y a aussi environ 70 mineurs poursuivis, jugés et condamnés pour des cas de délits.
Quelles sont les infractions les plus fréquentes que vous avez reçues courant cette année 2024 ?
La première infraction, c’est le vol. Après ça, il y a aussi les dossiers concernant des enfants interpellés pour des cas de manifestation. Vous savez les enfants, ils sont très excités. Lorsqu’ils appellent le cadre de regroupement, ils sont les premiers à sortir. En dehors des cas de vol, ce sont les cas de manifestation où les enfants sont nombreux à être interpellés pour certaines périodes que vous connaissez. Vous avez aussi des cas de viol, en matière criminelle, mais aussi des cas de coups et blessures qui viennent en matière criminelle et correctionnelle.
Quelles sont les difficultés rencontrées au niveau du Tribunal pour enfants ?
On remercie Dieu. Comme je le rappelle souvent, vous savez là où nous étions jusqu’en 2022, on n’avait pas un local approprié. Mais grâce à Dieu, il faut féliciter les autorités. Ce sont elles qui nous ont aidé à avoir ces locaux. Aujourd’hui, le tribunal pour enfants, les magistrats qui sont là, chacun est dans son bureau. Nous avons une salle d’audience climatisée, qui a été équipée, où les enfants sont jugés. Nous avons la chance d’être accompagnés par une ONG qui donne de l’alimentation à chaque fois que les enfants sont extraits. Ils ont droit à un repas, le petit déjeuner, le déjeuner, et le dîner en rentrant, s’ils ne sont pas libérés. Donc, le magistrat travaille plus ou moins dans des conditions favorables. Mais à côté de ça, nous sommes confrontés à des difficultés. L’une des difficultés majeures est due au fait que nous n’avons pas de centre d’accueil public. Et ça, le code le prévoit, les instruments juridiques internationaux que la Guinée a ratifiés le prévoient. Ce qui fait que les enfants qui sont en conflit avec la loi se retrouvent à la maison centrale avec les majeurs. Sinon, il est prévu dans les textes, les enfants qui sont en conflit avec la loi pour certaines catégories, on doit les placer dans des centres fermés pour ne pas qu’ils se retrouvent avec les majeurs pour apprendre d’autres formes de criminalité. Donc, c’est un problème épineux auquel on est confronté. Nous avons aussi des difficultés liées à leur extraction. Nous avons posé le problème au niveau des autorités. L’extraction des enfants pose des problèmes. Les fourgonnettes qui sont là pour les majeurs, ce sont les mêmes fourgonnettes qui sont mises souvent à la disposition pour extraire les enfants. Mais au moment où nous avons la possibilité de faire extraire les enfants, ça trouve que la journée est pratiquement partie. Or la loi, le code de l’enfant prévoit que pour l’extraction de l’enfant, du lieu de détention au tribunal, il faut respecter leur dignité et leur honneur. Ça ne doit pas être avec des moyens où on peut vraiment les discriminer ou stigmatiser. Le problème de fourgonnette est une question qu’on a toujours posée. Heureusement aussi, avec les partenaires qui accompagnent l’Etat, nous avons fait la demande depuis le mois de juin passé à l’Unicef. L’Unicef a déjà donné son feu vert, ils ont fait un appel d’offres. Ils ont déjà obtenu une fourgonnette qui est encore au niveau des autorités. Il faut l’exonération pour le dédouanement. Nous avons fait, avec le Ministère, les documents appropriés, les courriers pour que cette fourgonnette soit mise à la disposition des enfants pour ne pas que leur audience soit retardée. Il faut aussi souligner les difficultés liées à la prise en charge des assesseurs. Le ministère a déjà pris des dispositions. Les assesseurs du tribunal pour enfants, il y a déjà un projet d’arrêté pour leur prise en charge. Nous avons aussi des difficultés liées à l’interprète. Souvent, les enfants qui sont interpellés, il y a des étrangers parmi eux, et même les nationaux aussi ne parlent pas Français. Le personnel aussi, il faut le dire, est insuffisant parce qu’avant le décret, il y avait une dizaine de magistrats ici. Mais la moitié est partie. Les procédures sont nombreuses, la question d’enfants est une question très épineuse. Donc, il est important que l’Etat n’oublie pas la juridiction d’exception pour qu’on ait un nombre important de magistrats pour éviter la lenteur des procédures.
Propos recueillis par Saïdou Hady Diallo et Mohamed Lamine Touré pour Guineematin.com
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