La condamnation du leader politique Aliou Bah à deux ans d’emprisonnement continue d’alimenter les débats en Guinée. Dans une interview accordée à un reporter de Guineematin.com ce jeudi, 9 janvier 2025, maître Koné Aimé Christophe Labilé, président de l’ONG Avocats sans frontières Guinée (ASF Guinée) exprime son indignation face à ce qu’il qualifie de « justice à deux vitesses ». Il estime qu’il y a des faits plus graves que ceux imputés à Aliou Bah sur lesquels la justice aurait dû se concentrer, citant notamment la tragédie de N’zérékoré lors d’un tournoi de football, qui a causé des pertes en vies humaines, et les tueries pendant les manifestations à Conakry. Il n’a pas manqué de critiquer une décision « disproportionnée » dont l’auteur répondra devant l’histoire.
D’entrée, maître Koné Aimé Christophe Labilé a exprimé sa déception face à la peine de 2 ans d’emprisonnement infligée à Aliou Bah. « En tant que défenseur des droits de l’homme, je dois m’indigner et exprimer ma déception. Comme on a l’habitude de le dire, la Guinée est un État de droit, mais dans un État de droit, il y a des principes qu’il faut respecter. La question que je me pose chaque fois qu’un homme politique est poursuivi, c’est pourquoi le dossier est suivi avec une telle célérité, afin que l’on puisse fixer une peine, alors que dans nos prisons, il y a des personnes en détention préventive depuis des années. Dans certains cas, leurs dossiers ont même été pris en citation directe, mais la justice ne se bouge pas pour fixer ces personnes sur leur sort. Pourquoi, lorsque ce sont des hommes politiques, la procédure avance à la vitesse de l’éclair ? De plus, il y a des personnes qui ont commis des actes bien plus graves qu’Aliou Bah, mais qui se promènent librement et ne sont pas inquiétés. J’en veux pour preuves la tragédie de N’zérékoré, où, jusqu’à présent, on ne connaît pas le nombre exact de morts et de blessés. Pour ce cas, personne n’est inquiété. On est en train de chercher à justifier ce crime, car je le qualifie ainsi. Quand j’ai suivi la sortie calamiteuse du ministre de la Justice, Garde des Sceaux, qui dit que des incidents se produisent dans tous les stades du monde, je veux bien, mais quand il y a des victimes, il y a forcément des auteurs. Qui a commis ces crimes à N’zérékoré ? On sait qui a organisé ce tournoi, on sait qui était derrière et ce tournoi était fait en l’honneur de qui. Nous avons la culture du deux poids, deux mesures : offenser le chef de l’État, c’est vrai, c’est une infraction, mais dans le cas de morts, je crois que c’est plus grave. Un chef de l’État est un homme public, il doit pouvoir subir des critiques, il doit y avoir des voix dissonantes qui ne sont pas satisfaites de ce qu’il fait. Mais comme nous sommes dans une démocratie, ces personnes doivent avoir la possibilité de critiquer les actions de celui qui dirige, y compris le chef de l’État. Mais ceux qui tuent des citoyens honnêtes, on les laisse. Pas plus tard que cette semaine, suite à la manifestation projetée par les forces vives, j’ai appris qu’il y a eu des cas de morts. Est-ce qu’on a identifié celui qui a tiré la balle ? Pourquoi, quand il s’agit d’hommes politiques, on court pour les priver de leur liberté en leur collant un procès dont l’issue est déjà connue ? », a déclaré Me. Koné Aimé Christophe Labilé
Par ailleurs, le président de l’ONG Avocats sans frontières a dénoncé la situation des juges guinéens. Il les exhortés à assumer pleinement leurs responsabilités et à éviter d’agir sous l’influence de pouvoirs politiques ou autres. « Ma déception, c’est aussi face à cette justice guinéenne qui est incapable de s’assumer, car personne ne me dira que cette justice n’est pas indépendante. Nous avons des textes qui lui confèrent cette indépendance, et avec les moyens qui les accompagnent, pourquoi nos juges ne veulent-ils pas s’assumer ? Pourquoi appliquent-ils des peines disproportionnées ? C’est honteux. C’est sous ce régime-là que la justice devrait s’assumer. Quand on sait que, au lendemain du 5 septembre 2021, quelle a été la position de certains juges, nous l’avons vu à visage découvert. Ils ont agi de telle ou telle manière sous le régime d’Alpha Condé, car ils étaient sous pression. C’est cela une honte. Puisqu’ils ont eu l’honnêteté de le dire, ils devraient faire en sorte qu’ils ne soient pas mis sous pression par qui que ce soit. Chacun doit s’assumer, rester à l’écart des pressions et mettre à nu ceux qui exercent ces pressions. Mais pour l’instant, je ne crois pas que nos juges soient sous pression, ils sont plutôt complaisants. Ils veulent faire plaisir, je ne sais pas pour obtenir quel poste. C’est dommage et inquiétant pour nous, citoyens de ce pays. Nous ne méritons pas ce qui est en train d’arriver. Aliou Bah a été condamné de façon injuste parce qu’on n’a pas respecté la procédure. Je ne crois pas qu’il ait commis l’infraction pour laquelle il a été condamné après son arrestation à la frontière, car c’est un citoyen de ce pays, qui y réside. Ses adresses sont connues. Il peut avoir commis une infraction, mais on doit respecter la procédure, le convoquer et lui laisser le bénéfice du doute de comparaître ou non. Il a été appréhendé de manière illégale. Nous devons cesser cet état de fait. Je demande à nos juges de s’assumer, de s’affirmer, car plus personne ne les croira si un jour ils viennent déclarer qu’ils ont pris tel ou tel acte sous pression. Le pouvoir aide le pouvoir. S’ils n’entendent pas s’affirmer, que celui qui est incapable de le faire démissionne et aille ailleurs. Mais ceux qui posent des actes comme celui qui a condamné Aliou Bah devront répondre devant l’histoire », a-t-il lancé.
Ismaël Diallo pour Guineematin.com
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