3 00 000 francs guinéens pour une tombe : le cimetière de Kountia Sud sous le feu des critiques

Le quartier Kountia Sud (dans la commune de Sanoyah, en périphérie de Conakry) est secoué par une polémique concernant des frais d’inhumation d’un corps au cimetière du quartier. Selon des témoignages, une somme de 300 000 francs guinéens est exigée aux familles du défunt pour couvrir les frais liés à l’enterrement. Une pratique qui a suscité l’indignation de nombreux citoyens.

L’affaire a pris de l’ampleur lorsque des voix se sont élevées sur les réseaux sociaux, accusant les responsables et les imams du quartier d’exploiter la douleur des familles endeuillées pour des raisons financières.

« À Kountia Takhoui, la tombe s’achète à 100.000 francs guinéens, le creusage de la tombe à 100 mille, la toilette mortuaire à 100 mille plus un seau. Ce qui fait un total de 330.000 francs guinéens. Ce montant est non négociable pour enterrer votre mort. Mais cela est accepté par tous là-bas. C’est nous qui venons d’ailleurs qui étions étonnés de voir ces genres de bêtises. En plus de leur arnaque, le cimetière n’est pas clôturé, il est à l’état libre, abandonné à lui-même », a écrit un internaute venu assister aux funérailles de sa défunte tante dans ledit quartier.

Cependant, un citoyen qui habite non loin du cimetière et qui a préféré garder l’anonymat contredit nos informateurs. Cette source parle de contributions volontaires. 

« Ce qu’on vous a rapporté n’est pas vrai. Tout ce montant n’est pas imposé aux parents du défunt. Compte-tenu de certains travaux dans le cimetière, l’imam de la mosquée du quartier avait demandé à chaque famille de payer un montant. Les familles qui s’acquittent de ce montant sont dispensées du paiement d’un quelconque montant du ressort de la mosquée. Ce montant était destiné à clôturer le cimetière. En ce qui concerne les fossoyeurs, c’est une contribution volontaire que nous faisons après chaque enterrement pour leur venir en aide. Ce qui est normal d’ailleurs. Pour ce qui concerne les thanatopracteurs (préparateur du corps des défunts), là c’est une habitude pour nous de trouver quelque chose pour eux. Ça aussi, c’est juste une somme symbolique pour le prix du savon : 30 à 50 mille jusqu’à 100 mille. Ça dépend de tes moyens », a expliqué cet habitant de Kountia sud.

Interrogés par un journaliste de Guineematin.com vendredi dernier, 10 janvier 2024, l’imam de Kountia Takhoui, Elhadj Aboubacar Mengué Sylla, a décliné toute responsabilité des imams dans le paiement de ces 300 000 francs guinéens déclarés. Toutefois, il reconnaît le paiement de 100 000 à la mosquée dans le cadre de certains travaux entrepris.

Aboubacar Mengué Sylla, imam

« Ce qui se raconte est un préjudice causé aux imams de Kountia Takhoui. Parce que ce n’est pas comme ça qu’a été planifié par les imams. Si vous voulez la sécurité dans votre cimetière, il faut le clôturer. C’est pourquoi l’imam et ses conseillers ont décidé d’exiger le paiement de 100 mille francs pour tous ceux qui voudraient enterrer leur corps. Donc, de nos jours, le cimetière est presque clôturé. Mais, il reste le crépissage. En plus, il y a la construction d’une morgue au sein de la mosquée. Voilà ce pourquoi les 100 000 francs sont demandés. Mais dire que c’est à 200 voire 300 mille que les gens sont facturés, ça, ce n’est pas vrai. Alors, si cela s’avère, cela ne concerne pas la mosquée et ses dirigeants. Il y a ceux qui creusent la tombe qui demandent 100 mille francs aussi. Mais si tu as des gens dans ta famille qui peuvent faire ça, il n’y a aucun problème. Ce n’est pas une obligation de payer quelqu’un pour ça si tu sais que tu as des bras valides dans ta famille. Mais tout cela n’a rien à voir avec ça », a-t-il déclaré. 

Face à la controverse, le président du conseil du quartier de Kountia Sud a tenu à s’exprimer pour clarifier cette situation. Aboubacar Sylla, pour sa part, n’a pas nié la pratique dans sa juridiction. Mais, il indique que cela est antérieur à sa gestion.

Aboubacar Sylla, chef de quartier

« Le montant fixé par la mosquée pour l’enterrement d’un corps est de 100.000 francs. Ça, c’est une décision conjointement prise par les sages et les imams du quartier. L’idée, c’est de pouvoir clôturer notre cimetière afin de le protéger contre les chiens errants et des personnes de mauvaise intention qui peuvent s’inviter là. Au-delà de ça, il y a la morgue de la mosquée qui est en chantier. Si tu n’as que 100 mille francs, va te trouver des fossoyeurs et des planches, ton corps sera enterré sans problème. Au cas échéant, tu seras obligé de négocier avec les gens pour faire tout le travail lié à l’enterrement. Ici, ceux qui partent couper les bois devant servir à fermer la tombe demandent 100 mille et les fossoyeurs aussi 100 mille. Donc, c’est ainsi que les 300 000 dont vous avez entendu parler sont repartis. Mais, les 200.000 ne sont pas une obligation. Ce n’est pas le quartier qui a imposé le paiement de ces montants. Moi, j’ai trouvé tout cela en place dans le quartier », a-t-il expliqué. 

Pour mieux cerner cette pratique, notamment sur le plan islamique, notre rédaction a joint au téléphone Elhadj Mansour Fadiga, imam ratib de la mosquée centrale de Nongo et doyen des imams de Guinée. Et, ce guide religieux assure que le paiement de la prestation des préparateurs de corps et les fossoyeurs n’est pas prohibé par la religion musulmane.

Elhadj Mansour Fadiga, imam de la mosquée Bilal de Nongo

« L’islam n’interdit pas de payer le fossoyeur (celui qui creuse la tombe). Ça, c’est autorisé. Dans d’autres pays, il y a des gens qui sont spécialisés pour ça, qui alignent très bien les tombes dans le cimetière. Vous savez, même ceux qui font le lavage funèbre sont à payer. C’est l’imam seulement qui n’est pas payé pour la prière funèbre sur le corps. Sinon, celui qui lave le corps, qui transporte et ceux-là même qui creusent peuvent être payés. Ce n’est pas mauvais en soi de demander un montant aux gens pour certains travaux. Mais faudrait-il que ce pour quoi les 100 mille sont réclamés aux musulmans soient utilisés à bon échéant », a déclaré l’imam Fadiga. 

Si l’imam et le chef du quartier insistent sur le caractère traditionnel et solidaire de cette pratique, les critiques demeurent vives, avec de nombreux habitants estimant que la somme demandée est disproportionnée et constitue une forme d’exploitation de la douleur humaine. La polémique a ouvert un débat plus large sur la question de la régulation des frais liés aux rites funéraires en Guinée, et sur la manière dont les communautés peuvent concilier tradition, solidarité et respect des capacités financières des familles.

Malick DIAKITE pour Guineematin.com

Tél : 626-66-29-27

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