Lu pour vous ! Le témoignage et les documents du lanceur d’alerte « Alpha » révèlent la mauvaise gestion de sociétés minières contrôlées par Orion Resource Partners
- Alufer et Bel Air Mining sont deux sociétés contrôlées par Orion Resource Partners un fonds d’investissement basé à New York, détenant un permis d’exploitation d’une mine de bauxite située dans la préfecture de Boffa, au cœur de la région de Boké.
- Le témoignage et les documents transmis par le lanceur d’alerte permettent de montrer que les sociétés sont suspectées d’avoir cherché à contourner les réglementations guinéennes pour exporter le minerais.
- En juin 2023, une barge affrétée par Alufer déverse en pleine mer environ 7 500 tonnes de bauxite et du fioul, provoquant une pollution considérable. Les sociétés en question auraient tenté de corrompre des officiels guinéens pour diminuer le montant de la pénalité à payer.
- Orion, Alufer et Bel Air Mining ont démenti toute allégation de corruption et de pots-de-vin et disent avoir mandaté un cabinet de conseil international pour mener une enquête “indépendante”, “exhaustive” et “approfondie”.
- Les communautés locales sont privées depuis des années des bénéfices de l’exploitation minière.
« J’ai été écœuré au fil des mois par tout ce que j’ai vu », explique Alpha, le lanceur d’alerte guinéen soutenu par la Plateforme de protection des lanceurs d’alerte en Afrique (PPLAAF) qui a préféré garder l’anonymat à cause des représailles qu’il a déjà subies. « Tout ce que je souhaitais, c’était de contribuer au développement de mon pays en apportant mon expertise dans le secteur minier ».
Au lieu de répondre de manquements graves, la direction des sociétés pour lesquelles le lanceur d’alerte travaillait a tenté d’étouffer l’affaire. En 2022, le calvaire d’Alpha commence lorsque le fonds d’investissement américain Orion Resource Partners prend le contrôle d’Alufer Mining Limited, une société enregistrée dans un paradis fiscal, l’île de Guernesey. Avec sa filiale Bel Air Mining, où travaille le lanceur d’alerte, Alufer détient un permis d’exploitation d’une mine de bauxite située dans la préfecture de Boffa, au cœur de la région de Boké, riche en ressources naturelles.
La Guinée-Conakry possède les plus importantes réserves mondiales de ce minerai utilisé pour la fabrication de l’aluminium. Elle en est le deuxième producteur, mais près de la moitié de sa population vit sous le seuil de pauvreté. Le pays est classé parmi les dix les moins développés au monde selon l’Indice de développement humain établi par l’Organisations des Nations Unies (ONU). En cause : une corruption endémique, la mauvaise gouvernance, l’instabilité politique.
Dans ce contexte, cette enquête révèle l’impact environnemental et économique dévastateur des pratiques irresponsables et frauduleuses de certaines sociétés minières étrangères opérant dans des pays riches en ressources naturelles, tels que la Guinée. En outre, la fraude fiscale et la corruption de ces entreprises privent l’État de revenus cruciaux pour son développement, tandis que l’inefficacité ou l’absence de mécanismes de contrôle renforce l’impunité, permettant à ces sociétés de mépriser tant l’État que les populations locales guinéennes.
De l’autre côté de l’Atlantique, Orion Resource Partners basée à New York et enregistrée dans un autre paradis fiscal, le Delaware, gère un portfolio d’environ 8 milliards de dollars. Orion se présente comme une multinationale de gestion d’investissements alternatifs, et comme une société de conseil en investissement auprès de la Securities and Exchange Commission (SEC), le gendarme boursier américain.
Orion parvient à prendre le contrôle de la mine de bauxite exploitée par Alufer Mining et sa filiale BAM en Guinée, grâce aux dettes qu’elle possède sur Alufer. Le prêt, accordé à Alufer par Orion, était en effet assorti de clauses permettant de la convertir en capital en cas de défaut de paiement, ce qui fut le cas pendant la pandémie de Covid-19.
Quand Orion prend le contrôle d’Alufer/BAM, elle nomme le britannique Jeff Couch Président-directeur général et membre de son Conseil d’administration. Lui et l’un de ses compatriotes et directeurs associés d’Orion, Michael Barton, qui y siégeait déjà, vont devenir les seuls maitres à bord. « C’était déjà suspect, car deux membres seulement pour un conseil d’administration, c’est peu et ça limite la supervision », souligne Alpha.
Jeff Couch est un personnage haut en couleur. Il se qualifie de « yankee » alors qu’il n’est pas américain, et est connu pour voir menacé de faire intervenir la CIA et le département d’État américain. Cet ancien cadre du Crédit Suisse et BMO Capital Markets à Londres, se présente comme un expert en stratégies d’investissement institutionnel dans le secteur des métaux et des mines. Il est également directeur de plusieurs autres sociétés dont Gabriel Ressources Limited, qui détenait jusqu’en juin dernier le permis d’exploitation du projet Roşia Montană en Roumanie. Projet lié selon l’Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP), à l’homme d’affaires israélien Beny Steinmetz, condamné en Suisse pour des faits de corruption commis en Guinée.